share on:

Alors que la France et ses alliés de soixante-dix ans ont fêté l’anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie, l’autoproclamé voyoutologue Vincent Platini nous offre l’occasion de découvrir tout un pan de la culture allemande ignoré jusque là par la critique et l’histoire. La littérature de masse rescapée des autodafés nazis.

Enseignant-chercheur à la Freie Universität de Berlin et docteur en littérature, l’auteur de cette anthologie propose un travail résolument nouveau. D’abord de par sa richesse. L’ouvrage est une anthologie du récit policier dans l’Allemagne aux mains d’Hitler et de sa bande. Le Krimi (kriminalroman, récit policier) constituait une littérature du divertissement, un divertissement de masse. D’abord ignoré par les autorités nazies car vu comme trop ringard, il peut être simultanément récupéré par le pouvoir pour montrer l’efficacité de la police du Reich, et transfiguré en acte de résistance depuis l’œil du cyclone nazi par des auteurs de l’opposition qui eux, n’ont pas quitté le pays. Les textes choisis sont riches et divers, complexes et profonds.

Vincent Platini propose aussi un ouvrage exigeant, qui tire le lecteur vers le haut. En effet, chaque récit est accompagné d’un bref texte explicatif où l’on trouvera les éléments nécessaires à la compréhension du contexte historique allemand. De même, la savante introduction générale présente la place du Krimi dans l’édition et la société allemande du temps. Ce qui fait l’exigence de cet ouvrage, ce sont ses multiples lectures. Ces Krimi et l’appareil critique qui les accompagne satisferont à la fois les amateurs de polar et les historiens de tous poils. Ces textes peuvent être lus à la va-vite ou avec l’œil de l’expert en polardise, en intellectuel de la Sorbonne ou en amoureux du nerveux moustachu. L’auteur a même poussé le vice jusqu’à faire paraître quelques jours après cette anthologie son pendant théorique qui montre bien que l’homme connaît son affaire : Lire, S’évader, Résister, Essai sur la culture de masse sous le Troisième Reich (La découverte). Enfin, ces Krimi peuvent permettre de découvrir la littérature allemande par la petite porte. Ces textes semblent un bon moyen de contrebalancer le poids des mastodontes à la Gunther Grass ou Bertolt Brecht et ainsi d’élargir ses connaissances Avec ces deux ouvrages, le lecteur n’est pas pris pour un bleu-bite ni pour un intellectuel germanopratin, c’est assez rare pour être mentionné.

À la recherche du Krimi : redéfinir la recherche universitaire.

Ce travail colle un véritable uppercut dans la masse endormie de la recherche universitaire en littérature. La seconde guerre mondiale, période historique préférée des français ou presque, a encore des secrets à livrer lorsqu’on regarde du côté allemand. De là à penser que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs il n’y a qu’un pas. Ces deux ouvrages dépoussièrent la définition plan-plan de la recherche universitaire en montrant que l’on peut encore trouver de nouveaux savoirs, cachés, bien au fond des librairies ou des collections privés. Sans doute est-ce là l’essence de ce que devrait être un chercheur : un observateur capable d’élargir et de fouiller dans l’angle mort, bien au fond de la merde de l’histoire, là où personne n’a encore osé regarder.    

D’ailleurs, le coup d’œil de l’auteur ne vient pas de sa distance de français observant l’histoire littéraire allemande. « L’Allemagne […] souffre d’amnésie face à sa littérature policière. Elle ne la reconnaît pas. » (Introduction, p. 6 ). Outre-Rhin, le Krimi n’est pas non plus reconnu pour sa force historique. Ainsi donc, c’est un travail inédit en France et en Allemagne qui paraît : cela renforce la richesse de l’amitié franco-allemande. A l’heure où les élections européennes ont vu le parti de Marine Le Pen l’emporter haut la main, il est bon de voir un livre sérieux et intelligent montrer la preuve que l’Europe peut encore servir. Sans doute, l’œil français de V. Platini lui a permis d’observer sans complexe ces Krimi sulfureux qui portent tous l’empreinte d’un pays en mutation comme pouvait l’être l’Allemagne du Troisième Reich. Voir les citoyens allemands de l’époque à travers le Krimi, c’est voir entre les lignes, toute l’inquiétude qui point, toute la nécessité indispensable du divertissement de masse et de l’échappatoire, c’est voir un groupe humain à travers un prisme nouveau, ici culturel et littéraire. C’est ici le sens de toutes recherches en Sciences Humaines. Espérons simplement que ces deux travaux n’ouvrent pas une boîte de pandore sur l’étude de la littérature populaire. San Antonio a été ratiboisé, pour Gérard de Villiers ça ne saurait tarder, les Krimi ressortis du vestiaire par Platini étaient endormis, puisse son étude réveiller l’intérêt des lecteurs et non l’appétit avide des professeurs d’université à la recherche de nouveautés pour leurs pauvres étudiants.

Nous conseillerons particulièrement la lecture des Krimi suivants :

Schwenke, simple brigadier, Hans Joachim Freiherr von Reitzenstein

– Sortie de Scène, Adam Kuckhoff

L’annexe 27, Zinn

Dix alibis irréprochables, Edmund Finke

– Vincent Platini, Krimi, une anthologie du récit policier sous le troisième Reich, éd. Anacharsis

– Vincent Platini, Lire, S’évader, Résister, Essai sur la culture de masse sous le Troisième Reich, La découverte.

La chronique du libraire de France Culture

Christophe Bérurier

mm

Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

Laisser un message