Partagez sur "Attentats de Paris: la Libye, cette autre grande menace"
Alors que tous les regards se tournent vers la Syrie depuis les attentats perpétrés à Paris le 13 novembre dernier, lesquels ont entraîné une intensification des bombardements, un autre pays actuellement plongé dans le chaos le plus total mériterait bien davantage d’attention : la Libye. Focus sur une autre poudrière.
Parallèlement aux efforts entrepris en Syrie, « il sera fondamental pour tous de donner priorité absolue à la Libye, qui risque d’être la prochaine urgence », a estimé le président du Conseil italien Matteo Renzi lors d’une déclaration aux côtés de François Hollande à l’Elysée ce jeudi. Difficile de lui donner tort tant ce pays par ailleurs situé beaucoup plus près de nos frontières est désormais largement noyauté par les islamistes. Ces derniers ont prospéré sur un même terreau d’ingérence occidentale et de querelles intestines qu’en Syrie et les voilà qui « tiennent » aujourd’hui la Libye, d’une main de fer, presque aussi sûrement que Mouammar Kadhafi la tenait autrefois.
« Certains en rêvaient, bien avant l’attentat de Lockerbie (…) Nicolas Sarkozy l’a fait ».
Mouammar Kadhafi… Battu par François Mitterrand en 1981, Valéry Giscard d’Estaing n’a pas eu le temps de le renverser. Avec son assentiment total, ses services secrets ont pourtant échafaudé des plans à cette fin, comme l’a notamment écrit Vincent Nouzille dans son ouvrage Les tueurs de la République, palpitante fresque des opérations menées par les barbouzes français en marge des tractations diplomatiques officielles depuis 1958. Quelques années plus tard, Ronald Reagan a bombardé la Libye avec cette même finalité à l’esprit, sans plus de succès.
Certains en rêvaient, bien avant l’attentat de Lockerbie en 1988 – attribué au régime libyen peut-être un peu trop rapidement, sachant que l’Iran avait à l’époque un très lourd contentieux avec les Etats-Unis, qui n’ont jamais jugé bon de s’excuser après que l’USS Vincennes a détruit par erreur un Airbus A300 civil iranien – et celui du DC-10 d’UTA l’année suivante, pour lequel la responsabilité des sicaires de Kadhafi apparaît en revanche irréfutable. C’est finalement Nicolas Sarkozy qui l’a fait.
La grande erreur de Nicolas Sarkozy
« Contaminée » par le Printemps arabe, la Libye a basculé dans la révolte début 2011, alors même que le pays était revenu dans le concert des nations moyennant force négociations, ronds de jambe et concessions. Symbole de ce retour en grâce aussi spectaculaire que décrié : la visite en France du « Raïs », autorisé à planter sa célèbre tente dans les jardins de l’Elysée peu après l’élection de Nicolas Sarkozy, dont Mediapart soutient aujourd’hui encore, malgré des dénégations présidentielles systématiques, qu’il n’y a pas peu contribué financièrement. La justice statuera sur l’authenticité des preuves brandies par le célèbre site d’informations.
« A-t-il été exécuté ? A-t-il été tué dans un échange de tirs ? La communauté internationale a quoi qu’il en soit largement salué sa mort ».
Le vent de l’histoire a soufflé et l’humanité ne savait pas encore que les rébellions, qui se sont propagées selon la théorie des dominos chère à Eisenhower, n’allaient pas déboucher sur la razzia démocratique espérée. Il reste que l’ancien chef de l’Etat souhaitait par-dessus tout un succès éclatant en termes de politique étrangère, le scrutin présidentiel approchant à grands pas et les sondages lui prédisant unanimement un revers. Parce que l’ami d’hier peut devenir l’ennemi de ce jour, parce que les intérêts de l’opposition à Kadhafi étaient alors convergents avec ceux de Nicolas Sarkozy, parce que peut-être le tyran libyen disposait à son endroit d’un redoutable pouvoir de nuisance, l’ex-président de la République a tout mis en oeuvre pour avoir la peau du Raïs, l’indéboulonnable Raïs, accroché au pouvoir bon an mal an depuis 1969.
Fort d’un blanc-seing de l’ONU, il a pris la tête d’une entreprise internationale de bombardements qui a conféré aux rebelles l’assise aérienne nécessaire pour faire chuter le redevenu paria.
Acculé de toutes parts, ce dernier a vendu chèrement sa peau, mais a fini par disparaître le 20 octobre 2011, dans les environs de Syrte et dans des circonstances restées mystérieuses. A-t-il été exécuté ? A-t-il été tué dans un échange de tirs ? La communauté internationale a quoi qu’il en soit largement salué sa mort. D’aucuns diront qu’elle ne pouvait anticiper la suite, voire que le précédent irakien, c’est-à-dire l’émergence d’un épouvantable capharnaüm après le renversement d’un leader devenu trop gênant pour trop de monde au nom des valeurs démocratiques, a été oublié.
Quatre ans plus tard, la politique étrangère de Nicolas Sarkozy, avec en arrière-plan les gesticulations de l’autoproclamé philosophe Bernard-Henri Lévy, jamais le dernier pour prendre la pose en chemise aux côtés des prétendus combattants de la liberté en treillis, se doit en tout cas d’être considérée à l’aune de ce qui se trame aujourd’hui en Libye. Le prédécesseur de François Hollande a-t-il agi « de bonne foi », convaincu du bien-fondé de la chute de Kadhafi pour l’avenir du monde ? L’a-t-il bombardé par peur de révélations dévastatrices pour son image et la suite de sa carrière politique ? Celui qui a en outre déroulé le tapis rouge au Qatar, désormais présent dans le capital de nombre de grandes entreprises françaises, pour ne citer que cela, pouvait-il prévoir une islamisation de la Libye ? L’état déplorable du pays donne en tout cas à penser que l’ère Kadhafi était peut-être, tout compte fait et toutes choses égales par ailleurs, un moindre mal…
Une autre vague de migrants est à prévoir
Contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, et malgré des vestiges archéologiques exceptionnels aujourd’hui menacés tant par l’exploitation de l’or noir que par les djihadistes, la Libye n’est pas une puissance touristique. Elle est en revanche une puissance pétrolière de premier plan, ce qui explique l’intérêt que lui porte la communauté internationale. Celle-ci n’en apparaît pas moins dépassée par les événements dans le pays, devenu, les attentats commis en Tunisie ces derniers mois l’ont prouvé si besoin était, un vaste terrain d’entraînement pour djihadistes.
« Une Europe qui apparaît plus que jamais tiraillée entre l’humanisme qui fait son essence depuis des décennies et la nécessité de ne plus ouvrir sa porte à n’importe qui ».
« Ils ont d’abord attaqué les centres-villes de la Libye pour mobiliser les dirigeants locaux, tandis que la périphérie devenait une proie facile. La deuxième phase consiste à se lancer dans des massacres d’une rare sauvagerie pour forcer les populations à rejoindre les djihadistes en croyant qu’ils sont ainsi les seuls à rétablir la paix civile face à des gouvernements locaux qui ont échoué […] Les djihadistes utilisent ensuite leurs techniques barbares en Libye pour asservir les récalcitrants en décapitant et en accrochant à des croix douze combattants locaux, dont des salafistes, qui voulaient les déloger de Syrte. L’exemple marque; les civils tremblent et les moins téméraires se rallient en nombre », a relaté Jacques Benillouche dans un article paru sur le site Internet Slate.fr.
En cette fin d’année 2015 marquée par un nombre record de victimes du terrorisme partout dans le monde, avec Daesh et Boko Haram en nouveaux leaders de l’horreur, trois provinces libyennes sont régentées par des combattants que l’auteur juge « aguerris » et très éloignés des profils des Salah Abdeslam et consorts, originellement petites frappes, influençables et corvéables à merci. Lesdits combattants ont, comme en Syrie et comme en Irak, tiré pleinement parti du chaos et de divisions politiques qui paraissent aujourd’hui bien dérisoires au regard des enjeux et des risques encourus. Bien implantés, « ils représentent les nouvelles structures d’un État qui a disparu dans les décombres de la guerre civile », résume l’auteur.
De quoi inquiéter les groupes terroristes concurrents de Daesh, dont les effectifs fondent à mesure que l’Etat islamique engrange des succès et qui réussit à séduire jusqu’au Soudan et au Yémen. De quoi surtout susciter des inquiétudes supplémentaires en Europe, continent vieillissant, ingénu et dépassé, dont les failles en matière de lutte antiterroriste sont désormais criantes. Une Europe qui apparaît plus que jamais tiraillée entre l’humanisme qui fait son essence depuis des décennies et la nécessité de ne plus ouvrir sa porte à n’importe qui, en plus de celle d’un grand nettoyage idéologique dans les frontières de ses Etats membres. De quoi enfin subodorer un avenir des plus sombres pour les pays frontaliers de la Libye, en particulier pour la Tunisie, qui paie très cher son progressisme, pendant que l’Égypte reste politiquement des plus instables.
On peut, au bout du compte, anticiper une autre vague de migrants et, peut-être, des terroristes infiltrés dans leurs rangs. Daesh a formulé une menace on ne peut plus claire en ce sens en début d’année et a explicitement pointé l’Italie. On ne peut pas dire qu’il n’a pas tenu ses funestes promesses jusqu’ici.