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Après la gloire, la chute. Après l’éclat, la solitude. Après la conquête, la lutte contre le désespoir. La vie de Napoléon en exil à Sainte-Hélène renferme le paradoxe de l’Empereur, auréolé de gloire pour les siècles à venir mais terminant ses jours loin des champs de bataille, du panache et des triomphes retentissants.

Il demeurait malgré tout un amour de Napoléon, un seul. Dans sa bibliothèque, c’est donc parmi les livres que l’ancien empereur termine ses jours. Dans un ouvrage remarquable intitulé La Dernière passion de Napoléon (éditions Passés composés), Jacques Jourquin fait immersion dans la bibliothèque de Sainte-Hélène et retrace avec minutie l’impressionnante collection que Napoléon était parvenu à se constituer durant son exil.

L’inventaire n’aurait pas eu cette précision sans les mémorialistes (Las Cases étant le plus fameux et peut-être le plus consciencieux), ni l’inestimable Saint-Denis qui l’a accompagné jusqu’à son dernier souffle. Jacques Jourquin passe ainsi en revue la « dernière conquête » de Napoléon, son dernier empire de papier et de mots. A peine déchu, sa seule obsession est d’ailleurs de se faire livrer des ouvrages, jugeant sa bibliothèque de campagne bien trop maigre pour occuper ses journées. Le travail de fourmi effectué pour dépouiller les archives force l’admiration : chaque catalogue est épluché et recensé, et plusieurs inédits viennent s’ajouter à une liste jusqu’alors plutôt méconnue.

L’historien rapporte d’ailleurs une confession émouvante de Saint-Denis : « Entendait-il parler d’une chose qui ne lui était pas familière ou qu’il ignorait, il se faisait apporter tous les livres de sa bibliothèque où il pouvait en être question (…) ». Nous imaginons l’Empereur déchu, déambulant dans son dernier royaume, songeant devant ces innombrables témoins muets de l’histoire des Hommes et du monde.

La « bibliothèque invisible » de Napoléon

Si chacun se figure « son » Napoléon, il est tout aussi possible d’imaginer « son » Napoléon-lecteur. Avant d’ouvrir le livre de Jacques Jourquin, le lecteur est en situation d’attente, parce que nous connaissons le caractère de l’Empereur, à tout le moins ce que la légende en a retenu : l’agitation, l’impétuosité, la vivacité d’esprit qui dénote des facultés intellectuelles hors du commun. Le Napoléon-lecteur semble être conforme à ces présupposés. L’homme est pressé. S’il lit frénétiquement, il aime surtout lire utile.

Nous reprenons à notre compte l’expression de « bibliothèque invisible », concept que William Marx a théorisé en 2021 lors de son cours au Collège de France. Il existe une « bibliothèque mentale » de Napoléon, celle que nous imaginons car elle correspondrait à l’espace de lecture de l’honnête homme de la fin du XVIIIe siècle : les grands historiens de l’antiquité, les Classiques du XVIIe siècle, les philosophes des Lumières.

Si l’examen des différents catalogues confirme cette intuition (Voltaire y est largement présent, tout comme Diderot), il n’en demeure pas moins que la curiosité de Napoléon ne connaissait pas de limite : atlas, théâtre, philosophie, philologie et histoire religieuse, rien ne semblait lui échapper. La bibliothèque mentale de Napoléon est comparable à son envie de dévorer le monde. Sa bibliothèque matérielle est donc l’ultime demeure de l’Aigle dans laquelle nous nous le figurons, peut-être la nuit, en pleine insomnie, alors que la pénombre berce Longwood House, ouvrant un traité militaire in-quarto qu’il avait fait soigneusement relier, méditant sur la splendeur et la misère d’une existence sans commune mesure.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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