Dans A un clic du pire (Anne Carriere), l’ancienne actrice X Ovidie alerte sur l’ultra consommation pornographique provoquée par les outils numériques contemporains.
Les Éditions Anne Carrière ont publié à la fin du mois de février un remarquable petit ouvrage sur notre rapport à la pornographie. Le monde de 2018 est un univers dans lequel regarder une vidéo pornographique est plus facile pour un adolescent que d’acheter des cigarettes ou de boire de l’alcool. Le sous-titre du livre d’Ovidie est limpide : « La protection des mineurs à l’épreuve d’Internet ». En quinze ans, le World Wide Web a révolutionné nos existences. Ce livre permet de rajouter un pavé dans la mare qui commence à être bien remplie : Internet n’est plus l’utopie où tout fut possible ni l’accès à tous les savoirs. Internet est devenu le repaire de toutes les radicalités. La première phrase du livre d’Ovidie donne le ton et jette un froid dans le dos.
« En dix ans, l’humanité a regardé l’équivalent de 1,2 millions d’années de vidéos pornographiques ».
Cette apparente libération des moeurs cache un problème d’accès : « 95% de cette consommation se passe sur les « tubes », des sites de streaming gratuits ». La volonté de l’auteur est de réveiller les consciences sur cet accès devenu gratuit et trop facile. Tous les parents dont les enfants ont entre 0 et 15 ans ont eu un rapport à la pornographie radicalement différent de celui de leur progéniture. Il fut un temps où le visionnage d’un film pornographique était très difficile pour un mineur : Serge Gainsbourg menant à bien son année de service militaire offrait à ses camarades de chambrée de petits dessins obscènes dont les desseins se passaient de commentaires.
Les adolescents en danger ?
Jusqu’à l’apparition de Canal + et du film du samedi, la pornographie était visible dans les magazines, les cassettes vidéos vendues en kiosques, ou dans les sex shop. Les générations des années 1980 et 1990 ont découvert la pornographie grâce au porno du samedi soir précédé du bienveillant journal du Hard. Pour l’auteur de ces lignes, Philippe Vandel restera à jamais associé à la dure attente du samedi soir sur la chaîne cryptée.
En 2018, la pornographie est partout présente sur Internet et surtout très facilement accessible, y compris aux jeunes collégiens, qui peuvent avec leur consoles connectées, leur smartphone, ou leur tablette, accéder à la chose sexuelle. Ovidie, Laure Sinclair et les autres ont tourné des films à une époque où le porno possédait d’autres canaux de diffusion que ces sites de streaming gratuits. Personne ne pouvait prévoir que les choses évolueraient ainsi. Ovidie a cessé de jouer dans des films X, en a réalisé, a reçu des récompenses pour les films qu’elle a dirigés. Mais reconnaissons-le : sans la pornographie, point d’Ovidie. Le lecteur devra porter une attention particulière pour comprendre que ce n’est pas la pornographie qui est visée mais bien son accès illimité et illégal.
Le travail d’Ovidie met en avant grâce à sa notoriété des éléments qui pouvaient rester habituellement dans la sphère de la sociologie ou des rares politiques travaillant sur le sujets. Pour comprendre comment le porno est devenu le pain quotidien d’un bon nombre de personnes il faut remarquer l’invasion des codes pornographiques dans la société, la culture, et notre imaginaire érotique. Les acteurs et actrices porno sont de plus en plus nombreux à intégrer le cinéma « traditionnel ». La sextape devient un nouvel outil de reconnaissance.
Interroger la pratique sexuelle, interroger ses propres pratiques
Selon une enquête de l’Ifop sur la sexualité des Parisiens, « 47% des jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans pratiqueraient la bifle ». (p.39) Ainsi, davantage que l’éjaculation faciale, davantage que la sodomie, on peut s’interroger sur la capacité intellectuelle de celui qui prend du plaisir à gifler son ou sa partenaire avec son sexe, mais cela relève du jugement de valeur. Il est cependant urgent de voir que cette pratique est purement et simplement répétée de vidéos pornographiques se retrouve en peu de temps dans les pratiques sexuelles des jeunes. Enfin, Ovidie soulève un autre lièvre, celui de l’intégration par les jeunes filles des gestes masculins de sexualité. « 13,2% des 18-24 ans admettent pratiquer à contrecoeur la fellation, et 3,6%, la sodomie. A contrecoeur, voilà qui pose problème. »(p. 48)
« Les adolescents sont les cobayes d’un monde nouveau, numérique, particulièrement libre de toute morale. Ils sont les cobayes de l’usage des écrans, des cobayes d’Internet, des cobayes de la pornographie libéralisée. »
L’auteur n’hésite pas à qualifier les générations nées à la fin des années 90 et au début des années 2000 de génération « sacrifiée » voire de génération « cobaye ». En effet, les adolescents sont les cobayes d’un monde nouveau, numérique, particulièrement libre de toute morale. Ils sont les cobayes de l’usage des écrans, des cobayes d’Internet, des cobayes de la pornographie libéralisée. Ovidie a le mérite de décrire concrètement les effets du porno libre et de ce que nous pourrions appeler la « pornographisation » du monde. Les pratiques sexuelles changent, et comme la majorité des films pornographiques deviennent de plus en plus axés vers le genre masculin, l’estime de soi évolue aussi selon les codes de cette sexualité : les garçons complexent sur la taille du pénis ; c’est un classique. Mais les jeunes filles elles-aussi subissent les doutes véhiculés par la pornographie. Énonçons d’un trait les stéréotypes reçues par les jeunes spectateurs du porno aujourd’hui : les poils n’existent pas. Une vulve normale est une fente sans le moindre morceau de chair qui déborde, surtout pas des petites lèvres. La vulve ne sécrète rien puisque la lingette est sans doute l’outil de travail principal des actrices X. Aussi, le pire dont parle Ovidie vient parfois de lui-même à l’écran. L’ouvrage se clôt sur une réflexion sur l’exhibitionnisme des temps modernes, à travers la pratique la plus réjouissante : la « Dickpic ». Littéralement photo de bite, cette pratique se répand comme une traînée de poudre chez les jeunes hommes qui à la manière de la bifle, partent d’une blague potache pour arriver à une pratique qui semble prendre les atours de la séduction.
L’école et la morale
A un clic du pire est une nouvelle pierre dans le travail très riche d’Ovidie ; l’une des mieux placée pour parler de pornographie en France aujourd’hui. Ce petit livre permet aux adultes et aux parents de réfléchir sur des pratiques et des habitudes qui ne sont pas forcément les leurs mais qui seront celles de leurs enfants. La pornographie est devenue accessible pour tous en dix ans. L’école n’a rien changé à ses cours d’éducation sexuelle, régis par les mêmes textes depuis vingt ans. Cet ouvrage a la vertu de poser des mots sur un phénomène grandissant et inquiétant. Loin de la panique morale qui semble naturelle, Ovidie offre des pistes de travail et de dialogue avec nos enfants, nos adolescents, nos élèves. Il est encore temps de ne pas les sacrifier.
« En 2000 ans, le sexe est passé de sujet d’exil en sujet de une des journaux. Personne ne reproche à Brigitte Lahaye d’avoir fait du X, mais personne ne l’oublie. »
En l’an 1 de notre ère, Ovide écrivit L’Art D’Aimer. L’Empereur Auguste trouva ce livre bien trop amoral. L’antique auteur, pour de sombres raisons, s’exila sur les bords de la mer noire. 2000 ans plus tard, Ovidie, détentrice, par son travail dans et autour de la pornographie, du nouvel art d’aimer 2.0. nous montre sa volonté honnête de protéger les plus jeunes, mais aussi de se rapprocher de notre petit empereur jupitérien, en reconnaissant notamment vouloir interpeller le gouvernement. En 2000 ans, le sexe est passé de sujet d’exil en sujet de une des journaux. Personne ne reproche à Brigitte Lahaye d’avoir fait du X, mais personne ne l’oublie. Cette activité particulière marque profondément les esprits et ne peut pas être rangée à côté de la simple créatrice ou de la comédie traditionnelle.
En France, une ancienne actrice X ne peut pas être oubliée, c’est ce que découvre aujourd’hui la jeune Nikita Bellucci qui se voit littéralement harcelée par des fans qui confondent la fiction et la réalité. Ni Brigitte Lahaye, ni Ovidie n’ont honte de leurs années X car ces temps ont façonné les femmes qu’elles sont devenues. En reprenant dans son livre ce que bon nombre de pédopsychiatres disent discrètement, Ovidie fait un geste de salubrité publique.