Prix de la biographie politique, le « Bonaparte » de Patrice Gueniffey (aux éditions Gallimard) est l’occasion pour Julien de Rubempré de présenter cette nouvelle biographie de l’Empereur et de revenir sur la figure de celui-ci dans l’imaginaire contemporain.
Lorsque dans ses Mémoires d’Outre-tombe Chateaubriand évoque l’épopée napoléonienne, il écrit dans son préambule « Cette vieille Europe pensait ne combattre que la France ; elle ne s’apercevait pas qu’un siècle nouveau marchait sur elle ». On ne saurait mieux dire, tant il résume à merveille Napoléon Bonaparte et son destin, qui se confondent avec l’histoire européenne de 1789 jusqu’à (au moins) 1918. De Stendhal à Bainville en passant par Victor Hugo et Taine, Napoléon a fasciné tant les poètes que les historiens. Hegel ne déclara-t-il pas avoir vu « l’âme du monde » en apercevant l’Empereur défiler ?
« On a accusé la biographie de faire trop bon ménage avec la littérature, de consentir une part trop importante à l’imagination »
Proposer un énième livre sur Napoléon relevait donc de la gageure, tant la littérature sur le Premier empire est abondante, mais avec son Bonaparte, Patrice Gueniffey – historien, professeur à l’EHESS, auteur d’Histoires de la Révolution et de l’Empire – s’attache à faire découvrir la jeunesse de ce « Petit officier à vingt-cinq ans » devenu « empereur à trente-cinq », comme l’écrit Bainville.
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte
En revenant sur sa jeunesse corse,ses premiers galons à Toulon, sa vie parisienne puis « Le tournant de 1801 », Gueniffey explique avec brio comment – pour paraphraser Hugo – Napoléon a percé sous Bonaparte.
L’exercice biographique est un perpétuel combat contre la tentation du dénigrement et le désir d’hagiographie. Certains auteurs comme Ian Kershaw avec sa biographie d’Hitler ont connu la dépression tant le face-à-face avec leur sujet, cette intimité prolongée sur plusieurs années a fini par nuire à leur travail d’historien, fondé sur le détachement et l’analyse. C’est pourquoi dès son introduction, Patrice Gueniffey prend acte : « On a accusé la biographie de faire trop bon ménage avec la littérature, de consentir une part trop importante à l’imagination » avant de préciser son objectif principal, démontrer que Napoléon est « la figure de l’individu moderne ».
En revenant sur sa jeunesse corse,ses premiers galons à Toulon, sa vie parisienne puis « Le tournant de 1801 », Gueniffey explique avec brio comment – pour paraphraser Hugo – Napoléon a percé sous Bonaparte. En d’autres termes, il revient sur son éducation, sa formation, ses lectures, son caractère pour écrire l’histoire d’un soldat corse devenu l’homme le plus puissant du monde.
Napoléon face à l’éternité du peuple français
Cette fascination pour l’Empereur et la profusion d’ouvrages consacrés à sa geste sont révélatrices de cette nostalgie collective à l’égard des « grands hommes ». Les pages de biographie sont écrites pour combler le vide intersidéral de notre classe politique actuelle qui n’invente plus rien. Depuis Waterloo et les deux guerres mondiales, la France est reléguée dans la ligue 2 du concert des nations. Et c’est justement cette frustration nationale qui est le moteur de notre admiration pour l’Empire.
Cet engouement pour Bonaparte est d’ailleurs révélateur. Sa figure continue de fasciner le peuple nostalgique d’une France puissante et souveraine tandis que les élites ne cessent de vouloir l’effacer du roman national : aucune commémoration du 2 décembre, suppression des programmes d’histoire, aucune célébration d’Austerliz ou de Wagram. Qui pourrait imaginer Napoléon aller demander à Bruxelles de valider son budget prévisionnel ?
Finalement, comme au XIX ème siècle, le mythe napoléonien fédère le peuple français et continue de rebuter les élites européennes.