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Attentats: essayer de garder la tête aussi froide que possible. Tenter d’analyser, avec le maximum de lucidité et de réalisme. Être en ce sens un peu plus fort que la douleur et que la haine, pourtant profondes. Avoir un jugement apolitique, ou plutôt dépolitisé. Vaste programme…

Samedi, j’ai – une fois n’est pas coutume, la première personne du singulier, proscrite dans le journalisme, est utilisée ici – appris qu’un de mes copains avait été tué au Bataclan. Je lui ai écrit une lettre ouverte dans ces colonnes, une forme d’hommage qui ne suffit toutefois pas à effacer mon sentiment de culpabilité de ne pas avoir fait (beaucoup) plus pour cette personne profondément estimable et estimée. Je voulais que sa famille et ses amis proches le lisent. Je voulais, avec les éléments dont je disposais, décrire Christophe aussi fidèlement que possible. Porter l’accent sur ses (bons) goûts, son affection pour les choses de la vie, pour le rock, son amour déraisonnable d’un OM qui coule à pic. Bientôt viendra le moment, d’une pénibilité indescriptible, de son enterrement. En attendant, et même si les larmes coulent encore, que la colère s’est emparée de moi, ne me quittera pas de sitôt et que je sais que l’enfer se reproduira, pour quantité de raisons hormis l’intervention en Syrie que l’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic détaillera mieux que moi, on est en droit de rechercher activement les vrais coupables.

Christophe a selon moi été tué par l’incurie du monde occidental, qui pour des raisons économiques a le tort chronique – et qu’il faudra impérativement corriger une fois Daesh vaincu – de fourrer son nez dans des pays dont il ne saisit rien.

Je le saurai, mais je n’ai pas envie de savoir dans quelles circonstances précises les fumiers du vendredi 13 ont ôté à mon pote une vie qu’il croquait sans mesure, à pleines dents, fort d’un grand pouvoir de séduction et d’un charisme rares. Ce qui m’intéresse particulièrement, en revanche, c’est de savoir comment nous avons pu en arriver là.

Christophe a selon moi été tué par l’incurie du monde occidental, qui pour des raisons économiques a le tort chronique – et qu’il faudra impérativement corriger une fois Daesh vaincu – de fourrer son nez dans des pays dont il ne saisit rien. Ni les dirigeants, ni les forces en présence, ni la culture, ni les populations et encore moins l’histoire. Il a été tué par les Etats-Unis, qui ont été en première ligne pour armer des rebelles syriens péremptoirement dépeints en bons démocrates. Désireuse de ménager l’Oncle Sam, la France, cette humaniste incorrigible, a officiellement cru à cette théorie foireuse. Faible et candide, elle a suivi Obama, lequel n’a in fine pas fait beaucoup moins pire que son prédécesseur en matière de politique étrangère, et il fallait le faire… 

 Alors nous avons armé ces rebelles qui devaient faire tomber Bachar, puis nous avons perdu toute emprise sur une situation dont il était pourtant écrit qu’elle allait nous dépasser. Daesh est sorti vainqueur des querelles intestines, détruisant tous les autres opposants à grands coups de canon et de couteau, faisant une hallucinante démonstration de terreur aux yeux d’un monde entier ébahi par ce grand retour aux temps médiévaux.

Le désordre géopolitique

Pour autant, nous avons continué à croire que le principal ennemi est Bachar al-Assad. Nous n’avons eu de cesse de l’affaiblir, également pour faire contrepoids aux soutiens russe et chinois, ce qui situe le degré de globalisation du monde et son infinie bassesse en cette année de disgrâce 2015.

 Cet entêtement imbécile, que pour ma part je dénonce depuis de longs mois, a fait les affaires de l’État islamique qui, fort de combattants d’une détermination et d’une animosité hors norme, a assis puis renforcé ses positions en Irak et en Syrie, dévastant tout ce qui n’est pas comme lui, ultra-islamiste. Des dizaines de milliers de chrétiens d’Orient ont été décapités, des dizaines de milliers de musulmans ont été tués et ce n’est évidemment pas fini, même si le califat a vocation à perdre de sa superbe puisque les bombardements s’intensifient. Quoique, j’ai la conviction que son éradication passe par l’envoi de troupes au sol qui n’enthousiasme toujours pas ceux qui nous gouvernent… Le tort commun des victimes de l’État Islamique ? Ne ne pas suivre l’interprétation du Coran de ses membres et ne pas souhaiter l’application scrupuleuse de la charia, à la fois socle et paravent d’une entreprise d’une brutalité exceptionnelle. 

Est-ce être raciste que de souhaiter un infléchissement ou à tout le moins des contrôles substantiellement renforcés aux frontières ?

On peut s’interroger sur le degré de frustration qui habite tous ces êtres au point de tuer les adversaires d’une philosophie fort peu emballante. On peut aussi, outre les fautes diplomatiques précitées, très lourdes, émettre les plus vives réserves en matière d’accueil des migrants dans l’Union européenne. Alors que l’enquête en cours soulève très clairement la piste d’un prétendu réfugié s’étant fait exploser aux abords du Stade de France, est-il si inhumain de se remémorer la menace de Daesh de disséminer des terroristes dans cette déferlante ? Est-ce être raciste que de souhaiter un infléchissement ou à tout le moins des contrôles substantiellement renforcés aux frontières ? Pourquoi diable les chantres de l’accueil sans réserve n’ont-ils pas la décence de revoir leur jugement angélique dans ces circonstances ? Pourquoi messieurs Jean-Claude Juncker et Barack Obama, avec l’assentiment de ce pantin rouillé qu’est l’ONU, se montrent-ils si persuadés que rien ne justifie un regain de vigilance ?

 Retour en France et aux attentats de janvier, révélateurs de failles dans le quadrillage sécuritaire. D’aucuns rétorqueront que le territoire ne peut être intégralement sécurisé, mais enfin, pourquoi depuis chaque individu coupable d’avoir commis ou voulu commettre un attentat dans l’Hexagone(Isère, Thalys) est-il fiché « S » ? Ne fallait-il pas, bien avant ce funeste vendredi 13, recruter massivement, étoffer les effectifs de la gendarmerie, de la police et de la justice, et affecter plus de personnel à la surveillance ? Etait-il impossible d’envisager plus tôt une meilleure collaboration avec nos partenaires, notamment dans le cadre de la transmission des fichiers de personnes dont la radicalisation est avérée ? 

 Le plan Sentinelle est insuffisant, c’est une certitude et quiconque vit à Paris pouvait le deviner sans difficulté, ne serait-ce qu’en pénétrant dans les gares et les grands magasins. Il y a, en France, un véritable tabou sécuritaire, une peur irrationnelle de la restriction des libertés individuelles, qui semble inacceptable à beaucoup quels que soient la raison, le degré de la menace et sa nature, un droit-de-l’hommisme inadapté parce qu’on ne peut parler fleurs à des gens qui nous parlent kalachnikovs et ceintures d’explosifs, un antiracisme viscéral tout aussi inadapté parce que concernant directement aussi des islamistes qui n’entendent rien au vivre ensemble et, par conséquent, trop de portes de sorties offertes aux délinquants radicaux ou en voie de radicalisation.

Les nouvelles écuries d’Augias

Un défi immense nous est lancé. Il faut le relever et il faut gagner cette guerre, car oui, la guerre est déclarée. Pour que le futur soit meilleur, il est vital de nettoyer les banlieues, de renforcer la surveillance, de débusquer les imams radicaux et de les exclure, et de déchoir plus facilement la nationalité, quitte à rendre apatrides ceux qui exècrent la France au point de vouloir tuer le plus grand nombre possible de ses ressortissants. Il faut aussi s’allier à Vladimir Poutine et s’entendre avec Bachar al-Assad pour éliminer l’État islamique. 

Enfin, et peut-être surtout, il faudra revoir ses alliances avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, deux pays wahabites dont chacun sait qu’ils financent le terrorisme et sont forts d’une manne qui paraît inépuisable.

Une fois ce grand oeuvre accompli, il faudra assurer une transition politique efficace, à la différence de ce qui s’est produit en Irak et en Libye, où le chaos l’a emporté, passer l’Europe au peigne fin et repenser l’Union Européenne (UE), son droit, ses institutions, afin d’augmenter la capacité de chaque Etat à légiférer comme il l’entend, de sorte à ce que chacun ait les moyens de répondre le plus efficacement possible à la menace qui lui fait face. Enfin, et peut-être surtout, il faudra revoir ses alliances avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, deux pays wahabites dont chacun sait qu’ils financent le terrorisme et sont forts d’une manne qui paraît inépuisable. « Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité », ont complété les historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi.

On peut rêver, mais tout cela, il faudra bien finir par le faire, aussi sûrement que l’islam devra, tôt ou tard, faire son autocritique une bonne fois pour toutes, suivant le voeu du philosophe Abdennour Bidar, qui sait de quoi il parle. Oui, il faudra faire cet immense ménage. Pour que Christophe, Valentin, Fanny, Houda et tous les autres, qui étaient sans doute tous Charlie par ailleurs, ne soient pas morts pour rien.

 Guillaume Duhamel

 

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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