Tu te faisais une joie, au point de dédier un statut Facebook à ce concert. Eagles of Death Metal, ou le mauvais endroit au mauvais moment.
Il était un peu plus de 15h00 lorsque j’ai découvert ta photo sur l’un des articles du Huffington Post. Quoi ? Toi, le beau gosse en cuir, le cheveu bien peigné, les yeux clairs et fixes, le sourire carnassier, tu fais partie de ceux qui n’ont pas donné signe de vie ? J’ai vérifié immédiatement et ai vu un torrent de commentaires sur ton profil Facebook. Avec toute cette folie, ces images insoutenables, cette panique immense et la nuit blanche qui en a découlé, j’avais oublié que tu avais mentionné ta présence prochaine au Bataclan ce vendredi 13 que la France et même le monde n’oublieront jamais.
Il a fallu se rendre à l’évidence lorsque ta cousine a officialisé ta disparition, à 34 ans. Un âge indécent pour mourir, bientôt mon âge.
J’ignore si tu as souffert, j’ignore si tu as été exécuté parmi les premiers ou si tu as vécu le calvaire de la prise d’otages, avec ces fous d’Allah si éloignés des contingences de ton quotidien fait de nanas, de potes, de rock et de foot. Tu n’avais rien à voir avec eux et ils t’ont tué, comme des centaines d’autres innocents, parce que tu avais le tort d’être Français.
De France, ce pays qu’ils exècrent et qui lutte comme il peut contre l’islamisme, avec ses moyens dérisoires face à la folie des hommes et sa législation si peu conforme aux nouvelles réalités. Des disciples de Daesh déterminés à crever en martyrs et qui savent bien qu’ils se trompent de cible ont eu ta peau Christophe et je n’oublierai jamais cela, même si nous étions simplement des copains, alors que nous avions bien des points communs à même de nous faire devenir amis. Mais je n’ai pas assez répondu présent, happé par la vie, le temps qui passe, le quotidien avec ses joies et ses contraintes, et je le regrette infiniment ce samedi 14, lendemain de cuite à l’horreur monumentale.
En ce week-end apocalyptique, où la France commence à panser ses plaies, ravagée par la douleur, la colère et l’incompréhension, j’ai une vision forcément personnelle, mais assez précise des causes de cette deuxième entreprise terroriste majeure de l’année. Charlie Hebdo et l’Hyper Casher ? Des répétitions générales avant les « vrais » feux d’artifice, le scénario redouté des experts de déferlantes de kamikazes dans les zones les plus fréquentées de villes insuffisamment protégées. Je ne m’appesantirai cependant pas sur toutes les considérations civilisationnelles, géopolitiques et sociétales relatives à la tragédie, qui me touche d’autant plus que les événements de Paris se sont déroulés non loin de chez moi et que je connais parfaitement les zones où les morts se sont entassés.
Ce qui domine au moment où j’écris ces misérables lignes, c’est le dégoût. Il y a de la cendre et du vomi dans mon cœur, il y a aussi des crises de larmes intermittentes depuis deux heures et le moment où j’ai appris que non, il ne sera plus possible de te faire mentir en te battant à FIFA.
Je me remémore le concert de mes amis à l’OPA Bastille, auquel tu as participé à mes côtés il y a quelques années. Je me souviens aussi de nos échanges footballistiques en marge du développement du site Internet Soccer Daily, qui était l’un de tes projets, trop vite abandonné, mais auquel j’ai eu l’honneur de prendre part. Je te méprisais gentiment, toi le fidèle supporteur de l’OM – les années Papin et Waddle ont de toute évidence laissé des traces -, traître parmi les Franciliens, mais j’adhérais à ton esprit caustique et décalé et respectais ta culture footballistique.
Tu m’as, le temps où je t’ai connu, le trop peu de fois où je t’ai vu, donné le sentiment d’un type bien, serein, à l’aise dans ses baskets et plutôt heureux de ce que la vie avait pu lui offrir. Ça me tue de te rendre (un modeste) hommage, parce que tu es trop jeune pour claquer, parce que personne ne mérite de trépasser dans ces conditions et encore moins pour ces raisons. Toi, Christophe Lellouche, alias Chris Kelevra, alias Chris LS, grand amateur de musique et de bière qui ne s’est jamais pris au sérieux et fourmillait de bonnes idées, flingué par Daesh ? C’est quoi ce p… de décalage ? C’est ça le monde dans lequel on vit ?
Un an et demi avant de mourir, tu tenais à promouvoir mon ouvrage sur le tennis via les réseaux sociaux, à le faire découvrir à ta copine et tu ne t’es pas privé de me dire, avec la gentillesse propre à ceux qui savent faire plaisir très exactement quand il le faut, que les premiers retours étaient très encourageants. De mon côté, à défaut d’avoir suivi de près les méandres de ton parcours professionnel et ton actualité sentimentale, j’ai liké la page d’ØLIVER, ton groupe indie-pop, ton nouveau bébé.
J’aurais aimé te voir à l’œuvre. En attendant, je vais aller écouter l’EP, le cœur extrêmement gros. J’espère que, de là où tu te trouves, la vie est un peu plus douce pour ton club de cœur, que tu fais ton son en toute tranquillité et que tu peux pisser les restes de tes pintes sur ces chiens islamistes qui ont brisé ta belle personne. Que Dieu te garde, mon copain.
NB: Un peu moins de 48 heures après l’écriture de cette lettre, à vif, dévasté par la consternation, l’écœurement, j’ai lu que ton nom apparaissait dans les colonnes du JDD, du Figaro et de Libération. Un consensus se dégage autour de toi : beau gosse, charismatique, plein d’humour et d’esprit… Tout le contraire des porcs obscurantistes, assoiffés de sang et gouvernés par la rage qui t’ont tué.