Partagez sur "House of cards – Underwood fait la révolution des écrans"
Frank Underwood est de retour aux affaires. Si le personnage est d’un machiavélisme grandiose, l’homme se fait plus discret. On ne sait pas grand-chose de Kevin Spacey, si ce n’est sa capacité presque surnaturelle à entrer dans un rôle, une posture, pour un bonheur sans fin. A l’origine de cette merveille, Netflix. Ce nouveau protagoniste peut-il être le fossoyeur fantastique de la Télévision telle que nous la connaissons ?
Revenons brièvement sur son histoire : une entreprise américaine, qui, à l’origine, était un simple distributeur de DVD à la location. Mieux, il se proposait d’envoyer au domicile des abonnés l’objet en question. Plus besoin pour le cinéphile de se déplacer, le contenu venait à lui. Cette fin de siècle dernier contemplait sagement les balbutiements du Web. On se rappelle des modems 56k partageant le réseau téléphonique, de la peur du jeune enfant devant l’arrivée de la facture France Telecom. En ce XXIème siècle, avec l’explosion de la vitesse de connexion, le streaming s’est développé, et Netflix n’a pas manqué d’utiliser cette technologie à son avantage.
Aujourd’hui, l’entreprise a signé des accords avec les plus grands studios, Dreamworks, Weinstein, Paramount, pour ne citer qu’eux, et possède un catalogue de plus de 100 000 films. Mais Netflix ne s’est pas arrêté là, et produit depuis peu des séries originales, alors qu’elle n’est pas une chaîne de Télévision au sens classique. Reste qu’en 2014, ce pionnier est passé devant LA chaîne du câble par excellence, HBO. Avec plus de 29 millions d’abonnés aux Etats-Unis, Netflix se taille la part du lion, avec une expansion en Europe déjà avancée.
Netflix et la révolution des écrans
Chers téléspectateurs, vous avez à présent le pouvoir, celui de vous affranchir de cette médiocre lucarne
Depuis 2012, Netflix s’est implanté en Angleterre, au Danemark, en Finlande, Norvège, Suède, Irlande, aux Pays-Bas et tente cette année d’appréhender le marché français. A l’inverse de nos chaînes, qui aiment nous maintenir dans cette infériorité insatisfaisante qu’est devenue la Télévision, Netflix accompagne la révolution des écrans où le « petit » écran ne cesse de perdre du terrain sur les nouveaux modes de visionnage. Chers téléspectateurs, vous avez à présent le pouvoir, celui de vous affranchir de cette médiocre lucarne, de la contrainte d’une heure fixe, pour apprécier quand vous le voulez, un contenu. House of Cards est ainsi à la croisée des chemins. Chaque saison est distribuée en totalité, c’est l’internaute qui maîtrise le calendrier de diffusion. Kevin Spacey, producteur exécutif de la série, est un visionnaire, et en enjoignant aux patrons de l’audiovisuel étasuniens de « donner le contrôle à l’audience », il témoigne d’un respect infini à son égard. Les téléspectateurs passionnés par une série deviennent des spectateurs : à présent c’est le spectacle qui compte, non le théâtre. Ces derniers se sont affranchis du lieu et du temps de diffusion.
Concernant Netflix, si l’on observe les chiffres de 2011 aux États-Unis, 42% des utilisateurs l’utilise via leur ordinateur, 25% via leur console Wii. Si l’écran est omniprésent, la Télévision à proprement parler est à la marge. Les Français sont prêts à embrasser ce changement de paradigme. Il ne se passe plus une journée sans que des passagers du métro et autres transports collectifs ne visionnent un épisode de House ou Person of Interest, diffusées sur TF1 des mois après la diffusion américaine, sur leurs smartphones.
« Un David capable de défier ces Goliath vacillants »
A l’ère du « tout, tout de suite », l’individu connecté ne peut plus attendre une année pour déguster ces mets, ni d’arriver chez lui décidément. D’autant que l’offre outre-Atlantique est pléthorique, les chaînes françaises sélectionnant les programmes en amont. Or, l’homme du peuple, muni d’une connexion ADSL digne de ce nom, a devancé ces Léviathans télévisuels : il fait ses propres recherches et reprend sa destinée en main. Car la grandeur de la force ne se mesure que par la puissance de l’opposition, et le citoyen – un nouveau David – est véritablement capable de choisir, défiant ces Goliath vacillants. En effet, le contenant perd ici son sens premier dans lequel il s’entend. Il devient secondaire, son existence est sans finalité. La Télévision est plutôt encombrante pour l’internaute, n’acceptant plus qu’on lui dicte quel programme regarder.
La Télévision est plutôt encombrante pour l’internaute, n’acceptant plus qu’on lui dicte quel programme regarder.
Cela, au détriment des acteurs traditionnels, y compris le feu irrévérencieux Canal+. Le groupe est sans doute celui qui a le plus à perdre de l’arrivée de Netflix. Vis-à-vis de l’entreprise américaine, elle fait figure de vieux réfractaire. L’exemple d’House of Cards est éclairant. La première saison a été proposée en intégralité le 1er février par Netflix, pour être diffusée le 9 août 2013 sur la chaîne cryptée, à raison de deux épisodes par semaine, selon des schémas usés. Autrement dit, une éternité dans la galaxie internet. Les séries seront donc disponibles presque sans délai. Son offre de films est par ailleurs modeste, pour ne pas dire chétive, devant celle du futur concurrent. La ministre de la Culture veut forcer le méchant Américain à proposer dans son catalogue des films français et financer le cinéma hexagonal s’il veut s’implanter sur le territoire. C’est aussi pertinent que de demander à Apple de financer la création d’applications Android. Pascal Rogard, directeur général de la SACD, souligne en plus que Canal+, ni aucune chaîne en clair, ne financent pas la moitié de la production française.
Les colosses d’antan ne dictent plus les règles, ils subissent leur hybridation.
On perçoit une certaine méconnaissance du secteur et une peur de l’arrivée d’un compétiteur qui pourrait bouleverser la chronologie classique et faire baisser les prix. Chez Netflix, une offre mensuelle autour de 15 euros offre un accès streaming quasi illimité (films et séries). On peut comprendre la crainte de Canal+, déjà en procès contre beIN Sports, accusé de vendre ses contenus à perte, cassant les prix. Une sorte de procès à l’argent au fond, face à des Qataris voulant faire bonne impression. On ne peut pas les blâmer. La peur provoque souvent des réactions de repli. Canal+ s’est adapté, semble-t-il, et pour la saison 2, proposée en ligne depuis le 14 février, la chaîne diffusera les épisodes dès le 13 mars. Les colosses d’antan ne dictent plus les règles, ils subissent leur hybridation. La compétition n’est pas qu’un sinistre spectre, sachons discerner les capitalistes établis, généralement adversaires de celle-ci. Il faut se souvenir du destin funeste de TPS, de son absorption par Canalsat en 2007, remise en cause par l’Autorité de la Concurrence en 2011. Cependant, Netflix est loin d’être à son rythme de croisière, et des enjeux restent sensibles, comme les sources de financement.
Netflix arrivera bien à l’automne 2014 en France. Mais les institutions culturelles n’ont guère pris la mesure du changement des usages, de la façon d’apprécier un contenu. Il n’y a rien de pire que de garder un animal en cage, sous peine de le voir, dès que l’opportunité se présente, disparaître à jamais. On ne peut pas indéfiniment mépriser le téléspectateur sans un jour en payer le prix.