Partagez sur "Michel Onfray, entre Orwell, Finkielkraut et Camus : récit d’une mutation idéologique"
A l’heure où Libération s’interroge sur la perte d’une pensée de gauche dans le paysage intellectuel français, il est un philosophe d’Argentan qui connait une mutation spectaculaire. Un lecteur averti de Buffon remarquera que l’ancienne chrysalide socialiste Michel Onfray se voit pousser des ailes de papillon réactionnaire.
L’homme qui, dix ans auparavant, était encore une chenille mâchant quotidiennement sa Une de Libération, s’en prend aujourd’hui à elle. Elle serait devenue une feuille de chou, voire indigeste. Cependant l’intoxication alimentaire ne date pas d’hier. En 2010, La passe d’armes entre les médias de gauche et le philosophe lors de la parution de son ouvrage Le Crépuscule d’une idole déboulonnant Sigmund Freud et les divers sobriquets dont il fût alors affublé, « fasciste », « nazi », furent les prémices d’une future rupture amoureuse.
« Les histoires d’amour finissent mal, en général ». Le philosophe de province l’apprend à ses dépends. Il est désormais la cible de ses maîtresses cocufiées et piquées au vif par le virage pris par leur amant d’autrefois. Les anciennes conquêtes socialistes lui jettent la vaisselle à la figure, ses vêtements passent par la fenêtre, on le traite de tous les noms. Manuel Valls en tête. Car le Premier Ministre ne daigne pas être le bouc émissaire de tous les maux de la gauche. Ces mêmes maux qu’Onfray pointe aujourd’hui du doigt et dont la symbiose est la conséquence d’une nouvelle réflexion littéraire et philosophique.
Entre L’Hommage à la Catalogne et L’homme révolté
Il sera désormais l’intellectuel du peuple, et à ce titre, de tout le peuple, y compris ceux qu’il considère comme laissés-pour-compte.
La mutation kafkaïenne de Michel Onfray est le fruit d’une lente maturation. Ancienne gloire de la rue de Solférino, ce dernier n’est plus. Il aura fallu attendre l’exercice du pouvoir socialiste et la lecture de nombreux penseurs républicains pour que l’homme nouveau naisse. En Georges Orwell des temps modernes, Michel Onfray rejoue sur la scène médiatique la guerre civile d’Espagne. Portant fièrement le costume de l’auteur d’Hommage à la Catalogne, ironie tragique, il prend dès lors conscience du fossé le séparant des communistes – aujourd’hui Front de Gauche -, et des socialistes dévoués au capitalisme. Pire, il invective personnellement Jean-Luc Mélenchon, son ancien allié. La coupe est pleine. Celui qui se prétend encore comme un anarchiste fouriériste prend ses distances avec son ombre.
Le néo-positionnement Onfrayien s’inspire aussi d’Albert Camus. La pensée du philosophe d’après-guerre lui sert en effet de canevas idéologique : L’image d’un intellectuel provincial, d’une figure dissidente de gauche en constante opposition avec le parisianisme de l’époque symbolisé alors par Jean-Paul Sartre et ses ouailles. Son récent ouvrage, Camus ou l’ordre libertaire, n’est pas étranger à cela. Il sera désormais l’intellectuel du peuple, et à ce titre, de tout le peuple, y compris ceux qu’il considère comme laissés-pour-compte. Les mêmes qui représentent le fertile terreau électoral du Front National.
Le crépuscule d’une idole de gauche
L’auteur de l’Anti-manuel de philosophie persiste et signe. Ancien opposant intellectuel farouche des philosophes classés maladroitement par les bouffons Buffon à droite tel Alain Finkielkraut, il est aujourd’hui l’un des leurs. Les antiques querelles idéologiques sont enterrées. Et quand Michel Onfray cite à présent l’auteur de L’identité malheureuse, c’est pour mieux le défendre. La naguère figure de proue du bateau socialiste n’a plus le vent en poupe. Désormais, les penseurs de gauche crieront au loup Onfray comme à une époque ce dernier criait au loup réac. Armé de son marteau philosophique, il va tour à tour, briser tous les tabous sociétaux. Sous sa plume, les totems chutent les uns après les autres. Non content de déchaîner les passions, celui-ci va s’attirer les foudres journalistiques. Aussi, dans son article Mauvais Genre paru sur son site internet en mars 2014, Michel Onfray se distingue de ses illustres prédécesseurs et fustige violemment la théorie du genre et ses conséquences. L’effet est immédiat. L’on prend sa plume dans certains médias – Libération, Rue89, l’Obs – pour mieux dénoncer le nouveau paria de la gauche et le populisme dont il fait preuve. Pire encore. Le normand se réclame de Friedrich Nietzsche et, à ce titre, est un penseur anticlérical convaincu. Dès lors, après l’attentat contre les auteurs de Charlie Hebdo, l’intellectuel anciennement adoubé pour son Traité d’athéologie, s’en prend à la religion islamique et au Coran qui seraient vecteurs de violence.
L’acte de divorce est consommé et l’homme est devenu islamophobe. Au gré des années, le personnage Michel Onfray s’est mué en un être malfaisant. Et ses idées, se mirant dans le miroir du Front National, renverraient alors une image nauséabonde de lui-même.
Une transformation incomplète
Rendons grâce à Don Quichotte de lui avoir ouvert les yeux.
La mutation philosophique de Michel Onfray en papillon réactionnaire n’est cependant pas totale. S’il ne cesse en effet d’opposer la notion de libertarisme dont il serait le représentant ultime et le libéralisme capitaliste d’intellectuels tels que Bernard Henri Levy, Jacques Attali ou encore Alain Minc, il refuse d’admettre, contrairement à d’autres, le lien pernicieux de cause à effet qui existe entre elles-deux : le libertarisme outrancier serait une des causes de l’individualisme forcené qui s’exprime pleinement dans une société capitaliste. Onfray, lui, est un philosophe équilibriste et prétend pouvoir faire cohabiter le tout : il promeut l’homme hédoniste qui, tel l’individualiste, jouit de la vie, jouissance qui refuse le consumérisme produit par le capitalisme, mais qui s’inscrit cependant dans une dynamique collective. Il ira même jusqu’à parler de capitalisme libertaire. Cet oxymore lui vaudra par ailleurs de vives légitimes critiques, notamment celles du philosophe et éditeur anarchiste Michael Paraire qui, dans son ouvrage Michel Onfray, une imposture intellectuelle, dénonce vivement la posture idéologique bancale et insensée du penseur d’Argentan.
Dans son dernier ouvrage, Le réel n’a pas eu lieu : Le principe de Don Quichotte, Onfray s’attaque aux fossoyeurs de la réalité. Au déni du réel, ce dernier répond aujourd’hui par une écriture permanente du quotidien. Rendons grâce à Don Quichotte de lui avoir ouvert les yeux.