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Internet Explorer tire sa révérence, Facebook tente de nous imposer l’utilisation de patronymes légalement reconnus, qu’en est-il de l’internet libre face aux carcans du monde sensible ? Facebook, sans doute par la voie de son jeune président Marc Zuckerberg, s’est récemment illustré en bloquant et supprimant des comptes portant des noms, certes peu communs pour l’Américain moyen, mais existant réellement. Il faut se souvenir que Google avait décidé en son temps d’abandonner ce critère. Revenons sur les significations de ces futiles impositions.

La raison serait anecdotique si elle ne reflétait pas la rampante uniformisation de notre monde moderne. En effet, les prénoms impliqués ont été perçus par le Léviathan social comme étant « atypiques », donc potentiellement « faux ».

Pour Facebook, un « vrai nom», c’est d’abord un prénom occidental. Avec ce dernier, parangon de la mondialisation à sens unique, le monde doit se fondre dans la matrice autoritaire de l’Oncle Sam. Rien ne doit apparaître comme irrégulier ou hors de la norme édictée.

It looks like the name on your Facebook account may not be your authentic name”.

Internet, nous n’avons jamais cessé de l’écrire au Nouveau Cénacle, c’est la liberté. Alors pourquoi se borner à vouloir décalquer notre monde réel sur le monde virtuel ?

Les Indiens d’Amérique, et leurs noms, ont fait les frais de cette cabale patronymique. Ici, des noms véritables tel que Dana Lone Hill, littéralement, Dana Coline Solitaire, ont été balayés d’un revers de la main par un algorithme

La liberté passe par cet anonymat si célébré, une façade, tant nos comportements sur le WEB, nos trajets, nos trajectoires, sont analysés, comparés, vérifiés, inventoriés par le gentil géant Google, un ami qui vous veut du bien. Par conséquent, nous devons parfois avancer masqués. Certains expliquent qu’un pseudonyme ne change pas la manière de s’exprimer sur la toile. C’est beaucoup plus complexe. Nous offrant une liberté illusoire, on pense qu’on peut dire tout et son contraire dans un flux de tweets ou de commentaires. Il n’en est rien. Toutes vos fulgurances, plus ou moins heureuses, sont la propriété de ces entités pour l’éternité ou presque.

Les Indiens d’Amérique, et leurs noms, ont fait les frais de cette cabale patronymique. Ici, des noms véritables tel que Dana Lone Hill, littéralement, Dana Coline Solitaire, ont été balayés d’un revers de la main par un algorithme, froid et distant. La phrase est limpide pour nos amis anglophones : It looks like the name on your Facebook account may not be your authentic name”. C’est en quelque sorte l’histoire des Etats-Unis qui se répète, les Indiens d’Amérique à nouveau exclus de la terre de leurs aïeuls, par le nom. Leur identité est niée une seconde fois.

Cela a évidemment donné lieu à des commentaires assez cocasses dans la presse outre atlantique tels que : « So an aboriginal name gets flagged, but I can sign up as John Smith. »

Toujours aussi cristallin quand on connaît les rapports pour le moins pittoresques de l’homme avec la tribu des Powhatans.

La liberté sous le masque

Facebook, avec ce nouveau coup d’éclat, va encore à l’encontre de ce qu’a incarné et incarne le WEB pour des millions d’Internautes : un endroit où l’on pouvait devenir ce qu’on voulait, autant de fois qu’on le voulait. Or Facebook nous impose, et l’imposition en tout cas frontale, est en opposition avec ce que représente Internet.

La différence entre le patronyme dit « légal » et le pseudo « virtuel » était la règle, sinon la norme.

Internet, et ce depuis les débuts, a toujours opéré une séparation salutaire entre le quotidien parfois médiocre du réel et l’aventure des réseaux. Ce besoin de se différencier du réel revêt différentes formes. Ainsi, les forums, jeux de rôles en ligne et autres FPS (Quake, Counter Strike et autres joies vidéo-ludiques) ont toujours été l’occasion pour les joueurs de s’inventer un alter-ego surpuissant, avec un pseudonyme préalablement choisi pour refléter une partie de leur être, dans ce qu’ils aimaient ou tenaient pour important. La différence entre le patronyme dit « légal » et le pseudo « virtuel » était la règle, sinon la norme.

Pour ma part, Rémi Loriov est un alias. En m’affublant de cette désignation, je peux sortir de moi-même, me libérer de certaines injonctions, pour écrire ou mettre en image mes pensées et autres réflexions au service d’une revue. « Rémi Loriov » est indissociable du Nouveau Cénacle, j’ai choisi cette signature spécialement à cet effet. Présent sur plusieurs réseaux sociaux, cependant, jamais sous mon fameux patronyme non choisi. Car Internet, c’est aussi le choix, et ce choix, Facebook est en train de nous le retirer, par ses directives fascisantes.

Si l’on s’intéresse à un pays connu de tous, mais certainement plus mystérieux qu’il n’y parait, le Japon, on se rend compte que Facebook n’est pas un site plébiscité.

Ainsi, si l’on prend la totalité de la population nippone (127 millions d’habitants), seulement 18% de la population possède un profil en 2014. Si l’on prend en revanche la région nord-américaine (Etats-Unis et Canada), plus de 50% de la population est connectée au réseau social. Par-delà les batailles de chiffres, on observe que la tradition virtuelle japonaise est à mille lieux de ce qu’offre Facebook. Les autres réseaux sociaux « autochtones », comme Mixi.jp,  offrent la possibilité à l’internaute de masquer son identité, de jouer avec les différentes facettes de l’être, via des noms différents.

Paradoxalement, la nation la plus connectée du monde boude le géant américain et beaucoup de Japonais y voient d’abord une intrusion dans leur vie, pour toujours privée, ce qui est évidemment beaucoup moins les cas pour nous ou nos collègues américains. La tradition du secret au pays du soleil levant est bien vivace, et a empêché Mark Z. de s’implanter durablement sur le territoire.

Un éloge du pseudonyme

Un autre nom, c’est peut-être l’espoir d’une autre vie

Les utilisateurs de Facebook aux États-Unis ont ainsi tendance à recréer des relations sociales réelles en ligne, retrouver de vieilles connaissances, aussi utopique que ce hobby éphémère puisse paraître. En revanche, pour de nombreux Japonais, l’anonymat sur le WEB est une condition nécessaire pour s’exprimer, librement, loin des tracas du quotidien, dans une évasion du conformiste. « Je est un autre », nous disait Rimbaud, l’identité humaine est un flux, changeant, chancelant, voire instable. Internet n’est pas le contraire.

Dans Esthétique, Tome 1, Hegel écrit, « Être en soi et pour soi, se redoubler sur soi-même, se prendre pour objet de sa propre pensée et par là se développer comme activité réfléchie, voilà ce qui constitue et distingue l’Homme, ce qui fait qu’il est un esprit ».  Appliqué à la dénomination des humains, les prénoms usuels ne permettent pas de saisir ce qu’il y a de singulier en l’Homme, ils ne sont là que pour identifier ce qu’il y a de commun et de général. L’utilisation du pseudonyme peut être ainsi vue comme une tentative – parfois vaine – de libérer son esprit, de se manifester sous les traits d’un autre, devenir unique. George Sand, Émile Ajar, Alcofribas Nasier, tant de noms connus, étranges parfois, qui nous rappellent la nécessité de porter le nom vers des cieux plus cléments. Un autre nom, c’est peut-être l’espoir d’une autre vie.

Facebook, par ses nouvelles conditions contraignantes de « prénoms authentiques », un concept sujet à caution tant la variété des appellations humaines est immense, nous prouve, si l’on en doutait encore, qu’il est aussi ici, pour nous maîtriser, nous calibrer. Nous aspirons à devenir les mêmes, des Agents Smith en puissance, tous identiques, dotés d’une pensée mutualisée et unifiée.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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