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2013 marque le centenaire de la naissance d’Albert Camus, écrivain, mais aussi philosophe engagé de l’après guerre, mort prématurément le 04 janvier 1960 suite à un accident de voiture. Cet hommage est l’occasion de reconsidérer son œuvre, de réhabiliter l’homme, mais aussi, pour certains, de se le réapproprier. Au risque de le dénaturer.

Lors des deux dernières élections présidentielles, le citoyen a pu entendre lors des discours de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, une ou plusieurs citations de l’auteur de La Peste. Tantôt le leader de  gauche exaltait l’égalité des chances qui avait permis à Albert Camus de devenir Prix Nobel de Littérature, tantôt Henri Guaino le faisait figurer dans les discours du représentant UMP en 2012.  Ces citations étaient alors reprises tels des exemples mettant en avant une infime partie de la pensée de Camus, une philosophie alors tronquée, vidée de toute substance. Camus devient un apôtre de la morale de gauche, ou de droite, l’homme est récupéré, quitte à être galvaudé.

Albert Camus n’est pas seulement un homme qui, parti de rien, deviendra un philosophe de renommée mondiale, ou encore un intellectuel engagé dans la guerre d’Espagne, c’est aussi l’homme d’un concept bien plus large, qui rythme sa pensée, celle de l’absurdité du monde. Dans le Mythe de Sisyphe, l’auteur développe l’idée d’un combat permanent entre l’homme et ce qui le contraint à n’être qu’un homme, et en ce sens tirer l’homme de sa solitude, de sa torpeur, refuser la résignation par la révolte, au nom de la justice et de l’amour.

Quand Michel Onfray s’emmêle

Albert Camus devient Michel Onfray et inversement

Michel Onfray, à son tour, écrit en 2013 un ouvrage conséquent sur le philosophe, L’ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus, fruit de ses recherches dans le cadre de ses cours à l’Université populaire de Caen. Le professeur provincial de philosophie n’hésite pas à faire de son sujet un homme libertaire niant les lois sociales, au profit d’un engagement contre tous, quand ce dernier affirmait dans Réflexion sur la peine capitale en 1957 « L’homme du siècle demande des lois et des institutions de convalescence, qui le brident sans le briser, qui le conduisent sans l’écraser ». Cette vision du philosophe est symptomatique de la méthode Onfrayienne, qui vise à inculquer aux penseurs ses propres idées afin d’en faire l’un des siens. Albert Camus est alors sous la plume d’Onfray, un anarchiste, un Proudhon des temps modernes, refusant toute autorité supérieure. De plus, Michel Onfray ne cesse d’opposer l’œuvre de Camus à celle de Jean-Paul Sartre, ce « Thénardier des temps modernes » selon ses termes, afin de mettre en valeur le premier. La philosophie devient alors un éternel conflit entre deux visions distinctes, l’une représentant le bien, l’autre le mal absolu. Jean Paul Sartre est enfin sur le banc des accusés, il devient l ‘homme qui a dynamité la philosophie de Camus. L’être et le Néant est donc à vouer aux gémonies suite aux oracles du bougon d’Argentan. Michel Onfray reproduit alors le schéma de dénigrement intellectuel effectué cinquante ans plus tôt par Sartre lui même envers Camus.

Enfin, le rejet éprouvé par le philosophe de l’après-guerre pour l’intelligentsia parisienne de Saint-Germain-des-Prés n’est pas sans rappeler le même rejet qui a pour fondement l’ambition culturelle d’Onfray : exporter la culture hors de Paris, hors des nantis. Albert Camus devient Michel Onfray et inversement.
Huster : de Terre Indigo à L’Etranger

Son œuvre n’est plus protégée par la SACEM intellectuelle, il est permis de l’utiliser à toutes fins possibles, à l’image d’Edwy Plenel, dernièrement sur son site Mediapart.

Plus récemment, Francis Huster, s’autorise, lui aussi, à parler du philosophe dans son ouvrage intitulé Camus, un combat pour la gloire. Dans cet ouvrage, l’acteur « engagé » va encore plus loin que Michel Onfray. Non content de s’approprier la pensée d’Albert Camus, Huster va s’emparer de son langage.  Il tente, avec plus ou moins de talent, de copier le style du philosophe, afin de le faire sien.

Dès lors, Camus n’est plus réutilisé, il est singé, Francis Huster fait corps avec son sujet, il est à travers l’auteur, tel Montaigne, lui même la matière de son livre. Le combat pour la gloire du philosophe devient celui pour la gloire de Francis Huster, qu’il souhaite égaler dans la pensée, mais aussi dans le verbe. Le comédien affirme que l’auteur est universel, et qu’en ce sens il appartient à tout le monde, dès lors il n’appartient plus à personne, ni à Camus lui-même. Son œuvre n’est plus protégée par la SACEM intellectuelle, il est permis de l’utiliser à toutes fins possibles, à l’image d’Edwy Plenel, dernièrement sur son site Mediapart. 

Mediapart et la moralisation de Camus

Il devient alors possible de comparer Camus à tous les résistants d’hier et d’aujourd’hui. Yannick Noah résisterait à l’industrie de la chaussure, Philippe Torréton résisterait à l’envie de bien jouer la comédie

Le 16 avril, le journaliste mettait en ligne sur son site d’investigation une courte allocution dans laquelle il évoquait tour à tour Albert Camus, la résistante Françoise Seligmann, et le désormais célèbre feu Stéphane Hessel. Et quand le journaliste ose des comparaisons hâtives, et s’essaie à la philosophie, il se prend les pieds dans la moustache.

Il convainc son auditoire qu’il s’inspire d’Albert Camus, qu’il est l’un de ses fils spirituels à la volonté farouche de dénoncer les horreurs de ce monde et que le message diffusé par Mediapart est comparable à celui de Combat, journal clandestin dans lequel écrivait le philosophe dès 1940. Cependant, là où Albert Camus dénonçait au risque de sa vie, Plenel tente par tous les moyens de reproduire son véritable modèle, le Washington Post qui révéla une affaire d’espionnage qui aboutit à la démission de Richard Nixon en 1974. Edwy Plenel rêve d’être l’instigateur du Watergate version 2.0, d’être l’homme à l’origine de la chute d’un grand de ce monde, il confond volonté de liberté journalistique et volonté de faire un coup médiatique.

 Dans le même exposé, le fondateur de Mediapart  fait référence à Stéphane Hessel, et le cite aux cotés d’Albert Camus, louant leur capacité à dire non. Ainsi l’ancien résistant reconverti philosophe devient l’égal de l’intellectuel. Il devient alors possible de comparer Camus à tous les résistants d’hier et d’aujourd’hui. Yannick Noah résisterait à l’industrie de la chaussure, Philippe Torréton résisterait à l’envie de bien jouer la comédie, Ariane Massenet résisterait à l’idée de faire du journalisme.

A l’intérieur du fascicule Indignez-vous, Stéphane Hessel justifie son engagement, son désir de changement, de révolution en citant à de nombreuses reprises Jean-Paul Sartre : « Et là, je rejoins Sartre, on ne peut pas excuser les terroristes qui jettent des bombes, on peut les comprendre ». Sartre écrit en 1947 : « Je reconnais que la violence sous quelque forme qu’elle se manifeste est un échec. Mais c’est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence. Et s’il est vrai que le recours à la violence reste la violence qui risque de la perpétuer, il est vrai aussi que c’est l’unique moyen de la faire cesser. » ». Là où Albert Camus revendiquait le refus de l’homme à exprimer ses plus bas instincts dans son Le premier Homme «  Un homme, un homme ça s’empêche », Stéphane Hessel légitimise la violence prônée par Jean-Paul Sartre. Or La désobéissance n’est pas civile chez Camus, elle est morale, refuser l’absurdité du monde, ce n’est pas œuvrer pour un monde meilleur, mais comme l’auteur l’annonçait lui-même : « « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

Ces réponses différentes à la question « Que faire ? » fut, avec L’homme révolté, la principale cause de leur brouille intellectuelle. Dès lors, comparer le personnage de Stéphane Hessel à Albert Camus revient à nier l’opposition fondamentale entre les deux philosophes. Edwy Plenel commet alors une erreur de fond.

Albert Camus est devenu, au XXIème siècle, un philosophe prônant la révolution, tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt anarchiste, tantôt humaniste. Bref, Camus n’est plus un homme, mais une caution intellectuelle pour nos têtes bien-pensantes d’aujourd’hui. Laissons Camus là où il doit être. Dans les souvenirs des lecteurs. Dans les mémoires résistantes et républicaines. Sur les rives ensoleillées de son Algérie natale. Mais pas dans la bouche d’Edwy Plenel.

 

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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