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Je n’aime pas la boxe.

Pas de haine dans cette assertion: simple application de mon droit à discriminer entre ce qui retient ou non mon intérêt, et au sein de cette discrimination, entre ce qui me procure une sensation agréable ou non.

Aussi loin que je remonte dans ma longue vie d’ancien jeune fraîchement entré dans l’antichambre de la vieillesse -vous savez, cet âge où vous êtes encore assez poupin pour le MJS ou les Jeunes Pop’ de l’UMP, mais plus pour les lendemains de beuverie-, jamais je ne fis rentrer la boxe dans le sérail choisi de mes pertes de temps.

Le matin où toute certitude fut uppercutée

Faites entrer l’accusé.

«Nous sommes dans l’incompréhension la plus totale. C’était un garçon si poli, il montait les courses de la voisine, il disait toujours bonjour!»

«Au début, cela paraissait anodin. Notre couple ronronnait un peu trop, et j’étais contente de le voir sortir la tête de ses bouquins, des bouquins de vieux réactionnaires du XIXe siècle, Barbey, Maistre. J’avais tellement peur de le voir un soir partir, me quitter pour quelque cheftaine scout de la Manif Pour Tous. Je me disais: ça va lui changer les idées!»

«Je connais Louis depuis assez peu de temps. Mais c’est un client que j’aime bien. Il vient, sort ses papiers, sa tablette, et se plonge dans l’écriture en buvant un thé, ou une bière légère le soir venu. Vraiment, je suis bouche-bée!»

«Mon fils a toujours aimé le sport, c’est vrai. Mais les sports nobles, vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas. Tennis, Squash, ski de fond, sans que cela prenne du temps sur les cours de violon. Bon, c’est vrai, un peu de football aussi, mais c’était pour ne pas se couper de ses copains. Mais ça! Ah ça, non! Avec son père nous vivons une grosse remise en question. Qu’avons-nous manqué dans son éducation?»

«Adolescent, il était complexé par sa morphologie de crevette. Je le sais, nous allions ensemble à la salle de sport, moi, c’était l’inverse, j’avais quelques kilos à perdre! (Rires) On s’entraînait comme des fous, mais c’était par souci esthétique, le style de vie qui allait avec ça : non, jamais! Sur la vingtaine, on s’est perdus de vue. Les gens changent, parfois.»

«La première fois qu’il m’en a parlé, j’ai cru à une blague. Si je le fais travailler, c’est pour écrire environnement, climat, et les seuls combats qu’il doit couvrir, c’est sur les crédits carbone en cours de renégociation. Je connais ses autres talents inexprimés: relations internationales, populismes. Mais il n’y a pas de place pour lui dans ces thématiques, le secteur est bouché. Quand il est revenu à la charge pour me parler ring, gants de boxe et corps à corps dans la sueur, je n’ai pas su dire non: j’en avais la langue coupée!»

«Ah ouais, le gars, trop drôle! Il arrive au club, déjà il parle en français, tu vois, en français euh, comme à l’école. J’ai pas capté ce qu’il voulait: pas s’inscrire à un cour d’autodéfense, pas boxer en amateur, j’lui ai dis: si c’est parler que tu veux, y a des forums sur internet, pour ça. Et si tu cherches de l’homme viril pour te marier -ouais, c’est légal, maintenant-, y a Rencontre Macho pour ça! Ha ha ha!»

«Il est inconnu de nos services, pas de casier judiciaire. Mais nous suivons de près son évolution récente»

«C’est bientôt l’Ascension. J’espère qu’il viendra se confesser, le 9. Il doit en avoir gros sur la conscience, et porter tout ça sur ses épaules, seul, c’est un chemin de croix!»

Ce matin là, je m’étais fait serment de regarder et chroniquer le match de boxe entre Carl Froch et Mikkel Kessler, le 25 mai prochain à Londres.

Les racines du mal

Quand le mal est fait, on tente de reconstruire le chemin qui nous y a amené. Pour les chroniqueurs de faits divers, le coupable est toujours à comprendre par les traumatismes subis divers et variés, censés fabriquer du chien écrasé.

Si j’ai écrasé Médor, c’est que la veille j’ai essuyé un refus face à mes nouvelles prétentions salariales. Ce refus m’a renvoyé à ma condition de subalterne à la botte du grand patronat fumeur de cigares et joueur de golf aux Antilles. Fort logiquement, j’ai reporté ma rage sociale sur le chien de la voisine qui, la catin, est médecin libéral et son cabinet en ZUS.

Ici, rien de tout cela. J’avais beau chercher, j’étais responsable de ma propre dérive. J’écoutais de la musique, du rock plus ou moins de bon goût, plus ou moins gentillet. Survient une chanson tonique, du groupe danois Volbeat. Pas tout à fait de la dentelle, mais bien ficelée quand même. D’une oreille distraite je repère quelques paroles: Nordic warrior, Danish, as the bell rings, Viking. Un nom: Mikkel Kessler.

Passionné de littérature nordique depuis ma plus tendre enfance (à 7 ans j’écrivais une Saga de 18 pages à mon professeur éberlué! Histoire d’un guerrier réprouvé, fils bâtard de roi injuste, parti conquérir le cœur d’une jeune princesse écossaise, et le royaume de son beau-père tant qu’à faire. Le tout dans un style Boule et Bill), j’arrête tout net toute autre activité. L’emploi et le contre-emploi de figures historiques dans la production culturelle m’intriguent toujours. Google vient à mon secours, convaincu de tomber sur un viking de saga tardive répondant au nom de Mikkel Kessler. (Période chrétienne, ainsi que l’indique le prénom).

Stupeur: le moteur de recherche s’obstine à me proposer un guerrier, oui, mais un peu trop vif pour répondre aux critères de ma première curiosité.

Enchaînement fatal, K-O

À la lecture de ce qui précède, on pourrait croire que je cherche subtilement à insinuer de l’excuse numérique en lieu et place de l’excuse sociale. Un peu comme si Laurent Mucchielli s’hybridait avec Bruno Patino. Oh! ce genre de pensée viendra, d’autant que l’autoradicalisation d’un Breivik, d’un Merah et des frères Tsarnaev doit beaucoup à YouTube, vecteur de radicalité plus puissant que le Coran, l’Ancien Testament, Marc Levy et Pierre Bergé réunis.

Non, les yeux dans les yeux, ma plume dans votre rétine, je le répète: j’assume. En 1898, on accuse. En 2010, on s’indigne. Actuellement, on assume. Bientôt, on s’excusera d’être né.

La descente aux enfers en huit étapes: écoute de musique; paroles qui intriguent; recherche Google; le moteur de recherche vous surprend; vous perdez du temps sur Wikipedia; une vidéo sur YouTube et des actualités sur le Daily Mail; réécoute de musique; se dire qu’il est grand temps de se mettre à l’épreuve face à un univers inconnu.

Bien entendu, je n’en sais guère plus sur la boxe. Autant les règles du combat sont simples. Autant l’univers régissant les combats est d’une complexité digne des Cerfa de l’administration française. Il y a des poids différents, une foultitude de titres de champion cumulables les uns les autres, ce qui aboutit à ce que chaque duel oppose des champions de quelque chose ou de quelque part. Au reste, peu m’importe. Le compositeur du groupe danois Volbeat aussi: l’objet de son exaltation réside tout entier dans la figure du gladiateur, du combattant, de la bestialité maîtrisée par l’intelligence humaine. Suis-je sensible à ces fauves en cage car ils sont par contraste les révélateurs d’une société qui refoule, euphémise et encadre par la loi toute forme de combat, du duel d’ego aux luttes sociales, de la coexistence interculturelle à la sélection naturelle? Est-ce la profonde humanité de cette violence symbolique plus que physique? Car enfin, si le boxeur donne et encaisse les coups, le spectateur lui ne vit l’événement que dans sa dimension esthétique, donc symbolique! Tiens, cela me donne une idée. Hegel et Bourdieu sont sur un ring et…

Combat à suivre sur Sky (Angleterre) le 25 mai 19h30 ECT.

Je n’aime pas la boxe. Mais si je change d’avis, je ne m’interdis pas d’aborder aussi le tuning et la danse country.

 

Louis-Alexandre Alciator

Louis-Alexandre Alciator

Louis-Alexandre Alciator. En ces lieux, je suis l'un des seconds du premier. 30 ans. Écrit, et se fait parfois payer. Environnement, relations internationales. Optimiste crépusculaire. Bon vivant, mais rabat-joie.

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