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Par un arrêté du 25 octobre dernier, le Conseil d’État a ordonné à la commune de Ploërmel de retirer la croix figurant au-dessus d’une statue du pape Jean-Paul II. Une décision qui n’a pas manqué d’enflammer la toile.

Les jours se suivent et se ressemblent sur les réseaux sociaux. Les querelles numériques s’enchaînent, celles d’aujourd’hui effaçant celles d’hier. Les hashtags fleurissent. Les pro et les anti s’affrontent. S’insultent. La croix surmontant l’œuvre du sculpteur Zourab Tsereteli ne fait pas figure d’exception : suite au jugement rendu par le Conseil d’État, le slogan #MontreTaCroix est devenu viral.

Une juste colère

L’ire des internautes traduit une crispation à l’égard de plusieurs phénomènes : la montée de l’islam en France, le sentiment de dépossession culturelle lié à la mondialisation et l’attachement aux « racines chrétiennes de la France ». Retirer une croix sur un monument est vécu comme une agression pour nombre de Français, croyants ou non, parce nous aimons nos édifices religieux et le passé de notre pays en partie façonné par l’Église. Devoir renoncer aux symboles de la chrétienté revient à renoncer à ce que nous sommes. En d’autres termes, il s’agit d’une forme de faiblesse face à l’islam qui, lui, s’impose dans un grand nombre de quartiers sans aucun complexe.

« Les réseaux sociaux deviennent donc la caisse de résonance d’anonymes qui veulent faire entendre leur cri dans le désert ».

La polémique dévoile la peur plutôt que l’assurance. L’angoisse identitaire traduit un manque de confiance sur ce que nous sommes et voulons être. Les réseaux sociaux deviennent donc la caisse de résonance d’anonymes qui veulent faire entendre leur cri dans le désert. La viralité du hashtag montre que la force des symboles est encore présente en France, mais ce ressentiment, aussi légitime soit-il, est-il juste ?

La loi et la foi

Le zèle laïciste du Conseil d’État est incontestable, mais il n’en demeure pas moins qu’il ne fait qu’appliquer l’article 28 de la loi 1905 qui indique : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Dura lex, sed lex. A Paris, il suffit de se promener rue du Faubourg Saint-Honoré et de s’arrêter au 222 pour apercevoir une façade d’immeuble relativement neutre. En franchissant la porte puis la cour, surgit le magnifique Couvent de l’Annonciation. L’édifice religieux ne donne pas sur la rue car il a été restructuré en 1928, soit après la loi de 1905.  Les Dominicains ne s’en émurent pas. La loi de 1905 a bouleversé les Français, mais cela n’est pas comparable aux tensions identitaires que nous connaissons aujourd’hui.

« La loi et la foi peuvent coexister. La foi peut même inspirer la loi et la loi peut protéger la foi ».

La loi et la foi peuvent coexister. La foi peut même inspirer la loi et la loi peut protéger la foi. Le laïcisme, qui souhaite éradiquer l’ensemble des signes religieux est une absurdité. Mais la laïcité définie par Jésus (« Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ») est un principe de bon sens. Le Conseil d’Etat n’a fait que rendre un jugement en fonction d’un article de loi explicite. Représenter Jean-Paul II sans sa croix n’en demeure pas moins une absurdité, pour ne pas dire une profonde douleur pour les fidèles. 

De l’intimité

Le pape François le répète : « Le temps prime sur l’espace ». L’espace est le lieu de la possession, le temps celui du spirituel. Occuper les places publiques est moins « efficace » que la prière ou le cheminement de l’esprit, et Jésus le proclame parfaitement : « Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est présent dans le secret, et le Père qui voit dans le secret te récompensera » (Matthieu VI). C’est sans doute pourquoi nos grands-mères nous demandaient de porter la croix sous notre chemise. Pour ne pas l’imposer à autrui mais plutôt la garder dans le secret de notre cœur.

« On ne peut brandir une croix pour exclure celui qui pense différemment. On ne peut politiser une foi qui rend à César ce qui doit rester à César ».

La mesure et l’apaisement ne sont pas les normes des réseaux dits sociaux. Le hashtag #MontreTaCroix est compréhensible mais il convient de poser la question qui fâche : parmi les milliers d’internautes ayant posté un message à ce sujet, combien se rendent à la messe le dimanche ? Combien sont impliqués dans la vie de leur paroisse ? Combien lisent les Évangiles ?

Les revendications des « racines chrétiennes » de la France n’ont jamais été aussi présentes, alors que les nombres de baptêmes et de mariages religieux sont en chute libre. Un paradoxe qui s’explique avant tout parce que le catholicisme « identitaire » est une impasse spirituelle, politique et sociale.

On ne peut brandir une croix pour exclure celui qui pense différemment. On ne peut politiser une foi qui rend à César ce qui doit rester à César. On ne peut revendiquer le catholicisme en public sans le vivre avant tout dans l’intimité. Écoutons davantage le pape François que Nadine Morano à ce sujet. Enfin, il serait bon de sortir de ces tensions car comme le disait Germain de Staël : « Il ne faut pas se mettre en colère contre les choses : cela ne leur fait absolument rien ».

 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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