En déclarant que « Même si on est clochard, on peut mettre 1500 euros par mois de côté », Jacques Séguéla a provoqué l’ire des citoyens 2.0
Ils posent à longueur de temps des proverbes aussi creux que niais au-dessus d’une photo de chaton endormi, mais s’émeuvent lorsque, maladroitement, certes, Jacques Séguéla évoque la possibilité de mettre très peu de côté pour pouvoir un jour récolter une certaine somme. N’importe quel mathématicien – même chez nos vénérables amis coupeurs de têtes quotidiens – saura dire que quiconque met un euro de côté en aura 365 à la fin de l’année. Il renvoie tout simplement au fameux dicton « Les petits cours d’eau font les grandes rivières ».
Jacques Séguéla face à la France des Restaurants du foie
Qu’il est facile, semble-t-il, de s’acheter une bonne conscience dès qu’un homme ose commettre une maladresse sur le niveau de vie des Français.
« Les Restaurants du foie » : c’est ainsi que Desproges – avant d’en parler à son cheval – nommait les Restos du coeur, lui qui préférait rire de cette générosité cardiaque qui ne s’exprime qu’une fois par an et qui dégouline de bons sentiments. C’est cette France, qui a bien appris les leçons de Stéphane Hessel tout comme celles de Mimi Mathy en fin d’année qui s’indigne, chaque jour, pour un mobile différent.
Qu’il est facile, semble-t-il, de s’acheter une bonne conscience dès qu’un homme ose commettre une maladresse sur le niveau de vie des Français. Jacques Séguéla, le publicitaire, emblème de la Sarkozie, barbouillé d’autobronzant, l’homme de la Rolex et de la réussite, ne doit surtout pas ne serait-ce que prononcer le terme « SDF », sous peine de tomber sous les fourches caudines de nos Robins des bois numériques qui s’empressent pourtant, comme n’importe qui, de tourner le visage quand un mendiant fait l’aumône dans la rame du métro.
La maladresse de Séguéla permet ainsi à la gauche de sortir son couplet sur l’argent qui pervertit le monde et à la droite de fredonner sa nouvelle rengaine contre la « France des élites » : à chacun son refrain pour se chanter des louanges et se congratuler pour sa formidable générosité à toute épreuve.
Twitter, ce ball-trap quotidien
Charlie en janvier, pour le droit de bronzer en bikini le dimanche : ainsi vont les réseaux sociaux, au gré des humeurs, des vindictes quotidiennes et des hashtags coupeurs de têtes. Le citoyen 2.0 aime tellement la démocratie qu’il s’en goinfre jusqu’à la nausée. Un véritable « alarmé du Salut », comme en rigolait toujours Desproges.
Et plus la cible est facile, comme Jacques Séguéla, plus la virulence devient virale.
La meute aime le sang qui coule, plus le hashtag monte en top tendance, plus il devient excitant d’y aller de son tweet moqueur. C’est le ball-trap quotidien, à chaque jour son pigeon en argile dans le royaume de l’oiseau bleu. L’indigné professionnel peut s’en donner à cœur joie : la cible change tous les jours. Jacques Séguéla cédera demain sa place à une autre proie.
Et plus la cible est facile, comme Jacques Séguéla, plus la virulence devient virale. Rien de nouveau, en somme, au pays de la querelle civile, si ce n’est l’intensification de l’indignation au jour le jour. L’émotion vit au rythme du zapping et ne se nourrit que du manque de recul et de perspective. , mais comme le dit si justement Oscar Wilde : « L’émotion nous égare, c’est son principal mérite ».