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Depuis la rentrée, France Inter renoue avec le dialogue. Tous les dimanches, dans Le Grand Face-à-face, Ali Baddou arbitre un débat sur l’actualité entre Natacha Polony et Raphaël Glucksmann. Si l’on ne présente plus la première, fer de lance de la décroissance et  de la souveraineté nationale, l’essayiste, désormais directeur du Nouveau Magazine Littéraire, réinvente l’intellectualisme de gauche. 

Mai 68. André Glucksmann et d’autres penseurs s’emploient à mettre à bas la société sclérosée dans laquelle ils vivent, et avec elle les valeurs bourgeoises dont elle était l’héritière, fondées sur la famille, le pater familias et l’appartenance à une communauté religieuse. Ils s’emploient à déconstruire la norme afin d’en ériger une nouvelle, destinée à promulguer la libération des mœurs et la victoire de l’individu.

Cinquante ans plus tard, son fils, Raphaël, ne reprend pas les mêmes concepts : sur France Inter et partout ailleurs, il entreprend la difficile synthèse culturelle et sociale de l’ancien temps et du nouveau et s’efforce de concilier aux idées économiques antilibérales, celles de la révolution culturelle postmoderne. 

La quête des idoles

Dans son dernier ouvrage Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes, paru en 2016, l’auteur renoue avec le roman national tant fustigé par son père et tente de recréer du lien afin de faire émerger une vision commune qui transcende toutes les différences. Il souhaite réinscrire la nation française dans l’Histoire, recréer des mythes, se trouver de nouvelles idoles. Les mêmes idoles détruites par la génération de son père. Dès lors, pour réécrire une histoire collective et pour mieux remplacer la figure intellectuelle de gauche désormais moribonde, Glucksmann s’emploie, avec sincérité, à ressusciter tout un pan du patrimoine français afin de retrouver en Rabelais, en Montaigne ou encore en Renart, figure du bestiaire médiéval, des héros qu’il se désespère de ne plus rencontrer aujourd’hui. 

« Sous sa plume, la France se révèle être une grande nation uniquement au lendemain de la Révolution Française ».

Hélas, son entreprise est en partie vouée à l’échec tant il est rattrapé par son passé et conditionné par la pensée dont il est malgré lui l’héritier.

Sous sa plume, la France se révèle être une grande nation uniquement au lendemain de la Révolution Française, et s’il narre le destin de figures illustres antérieures à 1789, ce sont celles qui ont oeuvré contre le régime monarchiste alors en place ou qui présageaient les futurs citoyens européens.

Ou encore lorsque Raphael Glucksmann utilise comme modèle Renart. Ce personnage issu des traditions orales et qui se moque tour à tour des religions, des femmes, des riches, des pauvres, des étrangers, est un pré-anarchiste dénué de tout sens moral, un immoraliste avant l’heure. Glucksmann, quant à lui, fustige et dénonce les critiques dont peuvent être l’objet les minorités en digne descendant d’une immoralité à sens unique, symbolisée par la défense des nouveaux damnés de la terre. 

Les intellectuels de gauche : un champ de ruines

Autres temps, autres moeurs. Glucksmann ne sait plus vers qui se tourner et n’a plus personne à vénérer. Lorsque au cours de ces cinquante dernières années, André vouait un culte tantôt aux dictateurs communistes tantôt aux représentants de l’impérialisme américain, passant aisément de Mao à Obama, son fils se retrouve aujourd’hui bien seul devant l’autel. Et pour cause. Les Américains ont élu Donald Trump, et les Russes, dans leur grande majorité, acceptent et désirent renouer avec l’empire russe passé sous les traits de Poutine. Sur qui Raphaël Glucksmann peut-il alors se reposer ? D’un refus de la transcendance et d’une incapacité à l’immanence, l’essayiste n’a plus de boussole intellectuelle. Il erre désormais tel un vagabond dans le champ de ruines qu’est devenu le paysage intellectuel de gauche, et la rue de Solférino, ancienne grande puissance romaine, tient plus de Pompéi. 

Désormais Raphaël Glucksmann est dans l’obligation de créer de nouveaux horizons qui subviendraient à ses besoins afin de remplir le vide laissé par ses prédécesseurs. Ce même destin qui passe selon lui par la naissance d’une autre Europe, d’une conscience nationale d’où doit émerger un citoyen européen. L’ouverture aux autres nations sera alors la démonstration d’un refus de repli sur soi, contrairement aux puissances russes et américaines.

« Les idées d’hier demeurent aujourd’hui un horizon indépassable ».

Pour autant le souhait de Raphaël Glucksmann de voir naître un état européen ne peut exister que le jour où les nations accepteront que leur culture est semblable à celle de leurs voisins, le jour où la prééminence de leur passé et de leur Histoire seront noyées dans un conglomérat d’êtres dénués de toute appartenance. Ce même souhait que partageait déjà à l’époque André Glucksmann.

Les idées d’hier demeurent aujourd’hui un horizon indépassable. Quand pour s’affirmer, le fils doit tuer le père, les penseurs de Mai 68 ont tué leurs descendants, et avec eux toute une génération de philosophes et d’intellectuels de gauche.  

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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