Cinq ouvrages et autant de lectures possibles du christianisme contemporain, de sa dimension spirituelle à son héritage culturel en passant par l’enquête historique. Des livres différents sur la forme mais qui s’interpellent mutuellement pour finalement se répondre.
Il est des ouvrages qui montrent que théologie et spiritualité ne riment pas nécessairement avec obscurs traités et épais grimoires poussiéreux. Les Miettes spirituelles de Prosper Monier (1886-1977) en font partie. Une somme de versets (ou d’aphorismes ?) qui accompagnent, élèvent et inspirent. Dans la préface, François-Xavier Maigre estime : « D’une complexion aussi frêle que sa parole est puissante, le petit homme est considéré par beaucoup comme un prophète vivant ». Le ton de ces « miettes » est d’ailleurs volontiers prophétique, dans le bon sens du terme. Prosper Monier annonce plutôt qu’il ne clame. Il prêche. A en croire les témoignages recueillis dans l’avant-propos, la pensée de ce jésuite aurait fortement influencé la pensée chrétienne du XXe siècle et préfigurerait les réformes initiées par le concile Vatican II. Il se montre tantôt léger : « Le Ciel est Vie éternelle, non pas repos et farniente sans fin », tantôt plus grave, mais toujours éclairant : « Dieu cherche en l’homme non pas son vis-à-vis, mais son face à face ». Un Cioran de bonne composition. Un Nietzsche porté par l’espérance, avec ce même talent de la formule ciselée. Une pensée majeure à redécouvrir.
Prosper Monier, Miettes spirituelles, Salvator, février 2018
A travers cet ouvrage, Jean Sévillia part à la rencontre de cette « France catholique » non pas pour enfoncer des portes ouvertes (c’est-à-dire s’évertuer à « prouver » que la France a des racines chrétiennes par-delà toutes les évidences historiques), mais pour montrer son dynamisme et son enracinement profond, populaire et éternel. L’auteur interroge les prêtres comme les fidèles engagés au sein de leur paroisse mais aussi dans la société civile, et n’omet pas de consacrer un chapitre à la « Jeunesse de Dieu » qui – même timidement- se réveille. Sévillia se souvient des propos de René Rémond tenus il y a trente ans : « Le catholicisme, déplorait-il, est récusé comme interlocuteur valable au plan intellectuel ; on estime qu’on n’a rien à attendre de lui et qu’il n’a plus rien à dire ni à apporter ». Après le discours d’Emmanuel Macron aux Bernardins, ces propos résonnent encore plus intensément. Ce livre essentiel permet d’en mesurer toute la complexité.
Jean Sévillia, La France catholique, Tempus, octobre 2017
Dans notre siècle tout entier tourné vers la morale et l’éthique, John Milbank et Adrian Pabst s’attardent sur un concept qui semblait compassé, du moins négligé : la vertu. Fruit d’une profonde réflexion sur les origines du libéralisme (économique et sociétal) et de son principal corollaire – l’individualisme – les deux professeurs s’interrogent sur la finalité de l’ultra-capitalisme moderne. A cette course sans fin au profit et aux droits individuels, ils répondent par une série de propositions qui touchent différents domaines (culture, économie, politique), afin de redonner à la vertu ses lettres de noblesse. Le développement sur la « métacrise de la culture » est en cela éclatant de vérité : « Le libéralisme n’est devenu entièrement normatif que dans la deuxième moitié du XXe siècle, où il est parvenu à établir une domination hégémonique de la culture de masse ». Un ouvrage précieux.
John Milbank et Adrian Pabst, La Politique de la vertu, Desclée de Brouwer, avril 2018
« L’enfance n’a qu’un temps, dit-on, sa fraîcheur aussi. Mais il se trouve qu’aujourd’hui nous avons soif à nouveau ». Tel est le constat de Philippe Mac Leod pour illustrer le propos, à la fois poétique et philosophique, qu’il va tenir sur la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. L’auteur nous fait revivre, jusqu’au moindre détail, ce face à face bouleversant entre le Christ et cette jeune femme venue puiser de l’eau en plein désert. Il va même encore plus loin au fil des pages : « (…) la rencontre seule permet l’éclosion, en faisant tomber l’enveloppe protectrice. Le contact provoque l’ouverture ». Un livre parfois touchant et étonnant qui reconstitue le passage biblique avec une rare finesse.
Philippe Mac Leod, L’Evangile de la rencontre, Jésus et la Samaritaine, Artège, février 2018
Après son Enquête sur le Jésus historique, Robert J. Hutchinson s’attelle à la suite de son périple : les débuts du christianisme. Le sous-titre interpelle : « Comment une poignée de pêcheurs, de soldats et de prostituées ont transformé le monde ». Par-delà les exigences éditoriales, le message publicitaire comprend une large part de vérité : le christianisme s’est diffusé dans le monde entier comme une traînée de poudre parce que Jésus s’est entouré en partie de pêcheurs et a parlé aux prostituées pour « annoncer la liberté aux captifs », comme l’indique un chapitre du livre. L’enquête du professeur concerne les disciples qui sont avant tout les premiers témoins. Un livre « à l’américaine » qui nous saisit dès la première page tout en nous présentant les dernières avancées scientifiques en la matière. Incontournable.
Robert J. Hutchinson, Enquête sur le début du christianisme, Salvator, mars 2018