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L’une des séries les plus surprenantes de ce début de millénaire a pris fin dimanche soir outre-Atlantique, après sept saisons. Nous sommes amers. Don Draper, créateur de possibles par les mots, a allumé sa cigarette pour la dernière fois. Sans rien dévoiler de la dernière saison, que retenir de cette série, devenue mythique, un rempart contre l’expression simple, vulgaire ou triviale des sentiments ?

Don Draper, alliant le prosaïque et le poétique dans une solitude absolue, était le personnage central de la série. La cigarette au bec, il était la métaphore du désespoir face au bal des dignités.

Mad Men, Mad Women

D’instruments au service du monde masculin, elles s’émancipent et deviennent des créatrices

Mad Men, ce sont aussi des femmes, et l’évolution de leur rôle au sein de la profession. D’instruments au service du monde masculin, elles s’émancipent, non sans difficulté, sous les traits d’une Joan Harris grandiose, la femme parfaite pour certains, devenant des créatrices. Peggy Olson prenait ainsi la suite d’un Don Draper usé par tant d’années d’idées plus ou moins heureuses. Cependant, cette ascension était vue comme contre-nature, tant les freins étaient puissants, sous la forme d’insupportables goujats trop sûrs de leur fait.

Don Draper est un homme de contradiction, fasciné par le mystère que constitue le genre féminin. Mais il semble très vite s’ennuyer, ne parvenant jamais à se faire à l’idée d’une seule occurrence. L’idée même de la fidélité ne produisait en lui qu’un sentiment de pénible anxiété. Malgré une certaine générosité, Don semblait considérer les femmes comme des commodités à l’usage éphémère.

Don Draper et la réalité

Don Draper : un Philip Marlowe qui aurait lu Don Quichotte

On peut analyser la destinée funeste du Don comme une course perdue d’avance contre la réalité. Si moderne et à la fois si familier, malgré l’argent, les femmes, le statut de demi-dieu que lui confère sa position, il possède cette faculté – ne nous risquons pas à parler au passé – à prendre soudainement un tel recul sur le monde, à s’évader, si conscient de sa faiblesse tragique à ne pas être heureux. Il croyait tout posséder, mais n’avait personne. L’incapacité au bonheur, voici la grande malédiction de Don Draper.

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Avec Mad Men, la nostalgie a repris le dessus. Qu’est-ce que la nostalgie, si ce n’est pas la comparaison des époques ? Ainsi, le Cardinal publicitaire est mis devant la cruelle contradiction de n’avoir aucune habilité à mesurer le réel.

Mu par un certain narcissisme, il aime qu’on reconnaisse son travail, parfois trop fier, trop sûr de lui par moment, il tombe dans une mélancolie facile, provoquée par une inertie face aux évènements. Il se laisse conduire par les circonstances extérieures. Don n’est pas un acteur, au sens classique du terme. Au fond, il n’est pas faible, mais il lui manque le sentiment énergique de la réalité. Il reste ainsi un rêveur entêté. Un Philip Marlowe qui aurait lu Don Quichotte. Il agit avec précipitation lorsqu’il faudrait user de circonspection. Il est dans l’emportement quand il s’agirait d’être sage. Il voudrait changer à son gré l’ordre des choses, fouler aux pieds la règle, mais la réalité, sans cesse, le rattrape.

Mad Men, c’est peut-être surtout l’histoire d’un Mad Man, un fou flamboyant et désenchanté, qui n’a jamais vraiment su comment vivre la vie d’un autre. A l’instar du générique, Mad Men, c’est une chute sans fin. Don Draper reste un personnage incarné par un autre, lui-même joué par un acteur. Cet usurpateur du réel nous manquera.

 

Pour aller plus loin, quelques ouvrages, lus par Don Draper à travers la série :

Portnoy et son complexe, Philip Roth

The Best of Everything, Rona Jaffe

Méditations dans l’urgence, Frank O’hara

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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