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La sortie de Qui est Charlie ? dernier opus d’Emmanuel Todd paru aux éditions du Seuil a fait grand bruit. Pas un jour sans qu’un intellectuel ne s’exprime sur le sujet. Si Le brûlot Toddien laisse perplexe, l’ouvrage développe pourtant une réflexion que son auteur refuse pleinement d’assumer. Notre chroniqueur Andrés Rib nous livre son analyse.

Emmanuel Todd, célèbre pour sa théorie de la fracture sociale reprise par Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995, n’en est pas à son coup d’essai. Dans Le mystère français coécrit en 2013 avec Hervé Le Bras, le sociologue posait déjà les premières pierres de son interrogation sociologique qui allait devenir le ciment idéologique de Qui est Charlie ?, celles d’une France raciste pétrie d’anciens catholiques : « nous avons baptisé « catholicisme zombie » la force anthropologique et sociale née de la désagrégation finale de l’Eglise dans ses bastions traditionnels ».

 La carte et le territoire des manifestants

Challenges, Libération, Marianne tirent tour à tour à boulets rouges sur l’ouvrage et son auteur. On lui reproche d’avoir mal pensé, pire, de ne pas avoir pensé du tout.

Prenant pour sources les diverses cartographies parues dans Libération au lendemain de la manifestation du 11 janvier en soutien aux victimes des attentats et en faveur de la liberté d’expression, Emmanuel Todd en livre une analyse pour le moins surprenante. Ces mêmes manifestants seraient d’un côté les désormais «cathos zombies» de province, qu’il définit par une incapacité à décider car mus par des valeurs profondes que sont la hiérarchie, l’obéissance et le matriarcat, mais aussi antidreyfusards, anciennement vichystes et « désireuses de cracher sur la religion des faibles ». De l’autre des nantis, habitant les grandes agglomérations, mais tout aussi islamophobes : « Lorsqu’on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu – et même un devoir ! – et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est un grand pays formidable. Mais ce n’est pas le cas ».

Le sociologue développe l’ancien logiciel marxiste sur lequel ce serait désormais superposé une couche xénophobe : Les bourgeois blancs aux forts accents catholiques ne faisant qu’un pour défiler contre les faibles issus de l’immigration. Dès lors, Todd accuse les manifestants et partisans de la liberté d’expression de «xénophobie objective», de défiler inconsciemment contre les musulmans : « C’est une xénophobie qui n’a pas conscience d’elle-même » (in Libé, 03/05/2015). Si le 11 janvier est une communion des esprits, tous sont alors tournés contre la Mecque.

Quand l’Obs lui déroule le tapis rouge dans une entrevue parue peu avant la sortie de son livre, les manifestations de rejet et de dégout fleurissent dans les autres quotidiens nationaux. Challenges, Libération, Marianne tirent tour à tour à boulets rouges sur l’ouvrage et son auteur. On lui reproche d’avoir mal pensé, pire, de ne pas avoir pensé du tout.

 Emmanuel Todd, l’empire des statistiques

5 mois après, l’Elysée fait perdurer cet esprit du 11 janvier dans le but inavoué de présenter le Président comme seul rempart aux attaques étrangères.

Pour autant, les propos d’Emmanuel Todd ne sont pas tous sans fondements. Ainsi l’utilisation de cartes permettant d’expliquer l’engouement suscité par la manifestation du 11 janvier prend sa source dans une recherche scientifique qu’il qualifie lui-même d’empirique, et statistique. Il admet l’absence des jeunes de banlieue issus des quartiers mais aussi de toute une partie de la classe populaire dans le cortège des manifestants. Les nombreuses interrogations qu’il porte au crédit des religieux, sont elles aussi pertinentes : « les Hommes, parfois, sont mus par des forces sociales qui les dépassent » ; « Nous devons prendre les religions au sérieux, particulièrement lorsqu’elle disparait ». Le sociologue porte aussi un regard critique sur les hommes politiques ayant participé à la manifestation, participation qu’il considère comme étant fallacieuse et portée par un cynisme absolu : « Les politiques ont consciemment instrumentalisé l’événement pour tenter d’échapper à leur impopularité ». Difficile de ne pas reconnaitre que 5 mois après, l’Elysée fait perdurer cet esprit du 11 janvier dans le but inavoué de présenter le Président de la République comme seul rempart aux attaques étrangères.

Emmanuel Todd ne s’arrête pas là. Non content de vilipender celles et ceux qui nous gouvernent, François Hollande et Anne Hidalgo en tête, le géographe pointe du doigt les manifestants, et à travers eux l’idéologie universaliste issue de la gauche républicaine ainsi que l’héritage culturel catholique dont ils seraient, à leur corps défendant, les ultimes représentants : « Mais la gauche française est également pénétrée aujourd’hui d’un substrat différentialiste inconscient qui ne tient pas tellement à ce que le enfants d’arabes, de noirs et de juifs deviennent des citoyens comme les autres, et qui se sent intellectuellement légitimé quand il voit des leurs terroristes, des noirs qui font du rap, et des juifs qui portent la kippa ». Nous pouvons lire plus loin « Nous avons constaté que le catholicisme était ancré dans des religions où les structures familiales étaient rétives au principe d’égalité. »

Du particularisme catholique

Ainsi le catholicisme selon Emmanuel Todd est de nature inégalitaire. Il se fonde sur le matriarcat, la préférence aux enfants mâles, et fonctionne sur une hiérarchie rigide et indépassable. Le postulat de départ semble erroné. Il est cependant indispensable d’y convenir si l’on souhaite pousser plus avant la réflexion.

Le catholicisme est de nature raciste, et l’essentialisme même de cette religion est inégalitaire. Il définit ainsi un racisme structurel inhérent au catholicisme. Néanmoins, lorsqu’Emmanuel Todd évoque « le grand-père de mon arrière grand-mère » Simon Levy, auteur d’un traité de théologie dans lequel il synthétise les 3 religions, c’est pour affirmer leur ressemblance : « Simon Levy nous rappelle que les valeurs fondamentales du christianisme et de l’islam descendent exclusivement du judaïsme ». L’antisémitisme arabe, quand à lui, serait la résultante d’un rejet de cette même France catholique de gauche, et l’idée d’un différentialisme qui permet à cette dernière de se donner bonne conscience, en prônant le droit à la différence. Ainsi, la résurgence d’un fondamentalisme islamique prendrait ses racines dans le rejet français de s’assimiler, « nous devons quand même constater que l’horizon social et moral qui est proposé aux jeunes (musulmans) des sociétés les plus avancées est franchement insuffisant, en dépit d’un progrès technologique qui demeure stupéfiant, exaltant même. Mais l’horizon, au-delà de l’adolescence, en France aujourd’hui, ce n’est pas seulement le jeu vidéo, le réseau social et une sexualité libérée. C’est aussi le spectacle, moralement dégradant, de la hausse des inégalités et de 10 % de chômage ». Cette peur de l’autre et du juif en particulier ne serait alors que passagère, et les musulmans, des victimes malgré elles de ce qu’elles subissent. Pourtant la résurgence des phénomènes religieux est conjoncturelle et, comme l’analysait Gilles Keppel dans La revanche de Dieu, touche toutes les religions et est une des réponses données à la mondialisation, la perte de repères fondamentaux et à ce que Christopher Lasch appelle l’atomisation de la famille nucléaire. Pourquoi dès lors ce particularisme catholique ?

Le racisme, ou rejet de l’autre est donc une composante essentielle de l’Homme et la résurgence du phénomène religieux touche toutes les religions, les religieux, les non religieux pour les mêmes raisons.

Si Todd veut déboulonner les certitudes des manifestants de gauche comme de droite, il devrait aller plus loin. Pourquoi ne pas avancer l’idée d’un racisme consubstantiel au croyant, voire à l’être humain ? Qu’il soit de nature catholique, musulmane, juive ou athée, le géographe admet que l’Homme a ce besoin viscéral de croire en quelque chose. Comme l’analysait Nietzsche, le 20ème siècle est celui des religions terrestres, s’exprimant sous la forme du communisme, du capitalisme ou encore comme Todd l’écrit, du nazisme, « En Allemagne, entre 1880 et 1930, la chute de la pratique religieuse dans les deux tiers protestants du pays a conduit à l’ascension, dans un premier temps de la social-démocratie et de l’antisémitisme, dans un deuxième du nazisme ». L’Homme a par conséquent le besoin de croire en quelque chose pour mieux s’opposer à ceux qui ne croient pas. Et la Némésis est rendue obligatoire pour mieux s’affirmer. Le racisme, ou rejet de l’autre est donc une composante essentielle de l’Homme et la résurgence du phénomène religieux touche toutes les religions, les religieux, les non religieux pour les mêmes raisons.

Accuser une partie de la population pour en dédouaner une autre ne permet pas à l’auteur de véritablement jeter le pavé dans la marre aux certitudes. Pour autant, au regard de l’Histoire et de la déroute du vivre-ensemble, le propos est fondé. Emmanuel Todd le sous-entend mais, refuse, au fond de l’assumer.

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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