Les chiffres sont tombés, et ils font mal. Libération, un des journaux historiques de la presse française, a vu ses ventes chuter en 2013. Ajoutons à cela un plan de restructuration sur fond de chiffre d’affaire en berne, Nicolas Demorand qui s’en va et une recherche acharnée d’actionnaires (sic). Tous les ingrédients d’une fin probable de son édition papier sont réunis.
Ces derniers temps, un élément frappe le lecteur doué d’une once d’intelligence, ce sont les unes du quotidien. Si Libé veut sortir de la crise qu’elle traverse, pourquoi ne pas traiter les sujets en évitant les titres racoleurs, versant dans un sensationnalisme vulgaire. Une question pertinente, d’autant qu’un nombre croissant de journaux dits « sérieux », s’emparent d’informations anecdotiques, comme la vie sentimentale de nos présidents, et continuent dans le même temps de perdre des lecteurs. Sarkozy puis Hollande ont été les principaux pourvoyeurs de ce genre d’actualité sans intérêt. Le lecteur averti ne tombe plus dans le piège, ou achète Closer, plus perspicace. A l’inverse, les enjeux importants comme l’économie, le marché du travail ou les politiques migratoires sont maltraités (en un seul mot), tant les positions partisanes prennent le pas sur la rigueur journalistique.
Libération et l’échec du dandy de France Inter
A l’instar de la gauche, « le peuple est devenu un problème » pour Libération
On a ainsi récemment appris qu’il y avait un virus en Europe, et que son bacille trouvait son origine en Suisse. On observe le suicide assisté de cet organe de presse, créé par des gens comme Sartre, engagés à l’extrême gauche, s’affirmant comme l’un des derniers génies littéraires du siècle dernier. Aujourd’hui, c’est le sieur Demorand, fossoyeur en chef pour certains, meilleur intervieweur de la bande FM pour d’autres, qui quitte le quotidien. On pensait que le tireur fou islamo-fasciste allait relancer les ventes. Peine perdue. Le dandy de France Inter, avec les fameux actionnaires, voulait en faire un « Flore du XXIe siècle », une icône de la bourgeoisie parisienne.
On blâme la révolution numérique, celle-ci affecterait particulièrement les journaux traditionnels. Libé aurait donc raté « le virage numérique », mais pas l’utilisation des mots-valises. Le problème n’est pas tant cette révolution, qui ressemble à une fausse excuse. Simplement, son discours ne passe plus, car il a changé de nature. D’un journalisme engagé, sincère, sartrien, on est passé à une version racoleuse et agressive. Ce journal est devenu le symbole du fossé qui s’est creusé entre ce que vivent les gens et ce que les journalistes décrivent. Ces « Libérateurs » ont paradoxalement voulu enfermer les Français dans un schéma de pensée légitime, officiel, caricatural, contre les « vilains ».
A l’instar de la gauche, « le peuple est devenu un problème » pour Libération. Son lectorat s’est ainsi transformé, et semble se résumer à une minorité de CSP+ et autres agents du public, plus qu’à une classe ouvrière politisée, dans un processus de gentrification de l’information. Libération paye cher son acharnement à vouloir, au lieu d’informer, assener des dogmes, à l’aide d’arguments simplistes. Ce que les Français réclament, c’est d’abord un journal capable d’envisager des opinions différentes. Mais à la rédaction, on dénie toute possibilité au peuple de réfléchir sur des enjeux importants en lui fournissant un outil défectueux. L’altérité chez Libé, une gageure.
L’absence d’opposition pour booster les ventes
Pour voir les ventes remonter, il faudrait que l’opposition soit au pouvoir : les lecteurs de gauche se consoleraient d’avoir un gouvernement de droite en se précipitant sur une presse mécaniquement critique.
Et si le problème était le gouvernement actuel ? On est médusé par le parallélisme des deux institutions. Au cours des trente dernières années, le Parti Socialiste a évolué en même temps que le quotidien, avec des résultats inégaux. Pour voir les ventes remonter, il faudrait que l’opposition soit au pouvoir : les lecteurs de gauche se consoleraient d’avoir un gouvernement de droite en se précipitant sur une presse mécaniquement critique. Pour retrouver son cachet, Libé a besoin d’un grand méchant loup. Mais ses épouvantails préférés sont aujourd’hui réduits à l’état de clown sans l’onction du pouvoir. Copé fait peine à voir, ses pains au chocolat et ses livres pour enfant sous le bras, lui, l’ancien ministre du Budget. Le discret Fillon tente de s’encanailler auprès de Marine. Décidément, on ne peut pas tirer sur ces ambulances décaties. Espérons donc qu’en 2017, Sarkozy revienne, à grand renfort de couverture médiatique, pour que Libé retrouve des couleurs.
On se demande enfin si le journal n’est pas devenu un braillard mondain, car à force de jouer les piliers de bar invectivant des cibles sans mandat, il rate le coche. Lorsqu’on regarde le classement 2013 des ventes de presse quotidienne nationale, Le Figaro et Le Monde arrivent en tête, sans surprise. Libération est quatrième. On a l’impression que les deux champions sont devenus des pôles, avec leurs satellites. Dans cette configuration, Le Figaro serait le pôle « droite » et Le Monde le pôle « centre-gauche ». Par conséquent, Libération n’aurait guère de pertinence dans sa position actuelle, plutôt social-démocrate.
Le journal peut-il changer son positionnement politique pour aller plus à gauche, gagner de nouveaux lecteurs, taquinant ainsi Le Monde Diplomatique ? Cela pourrait s’avérer difficile, tant son contenu n’a plus grand-chose à voir en qualité avec ses débuts. S’il avait continué à donner au citoyen les moyens de questionner la société qui l’entoure, le journal n’aurait peut-être pas aujourd’hui à subir ce déclin. La solution parait simple : recommencer à écrire des articles suscitant l’intérêt, et non des dépêches AFP saupoudrées d’avis péremptoires. Rien n’est perdu, comme nous le montre la journaliste Haydée Sabéra, au quotidien depuis 15 ans : « Il ne s’agit pas seulement de nous, journalistes, […], mais d’être bien informé, et que les informations de qualité soient accessibles à tous. »
Faut-il sauver le soldat Libé ? Oui, sans hésiter. Par pour Libération, mais pour la liberté d’expression. La presse est aujourd’hui confrontée à une situation difficile, et il faut mettre tout le monde en sûreté, y compris ceux qui la refusent aux autres, au nom de principes que de moins en moins de Français comprennent.