Pour les Français amateurs de lectures en tous genres, se frotter à la littérature québécoise, c’est marcher en terrain miné. Miné par les clichés véhiculés par la France à l’égard de ce pays qui n’en est pas un, miné par la difficulté de se procurer cette littérature.
Miné par le regard supérieur des ignorants, d’où qu’ils soient. Il faut du courage pour lire des livres dont on ne nous parle pas. Les enseignants français du primaire et du secondaire ne connaissent pas, à de rares exceptions, qui sont celles et ceux qui font la littérature du Québec.
La Sorbonne. L’université parisienne est prétentieuse, c’est de notoriété publique. En dehors de deux formations de second cycle aidant les étudiants à poser leur regard sur la littérature québécoise, rares sont les professeurs à connaître cette littérature ou à lui reconnaître un intérêt profond. Il y a quelques années, une scène impressionnante a été vécue par l’auteur de ces quelques phrases. J’étudiais l’œuvre de Jacques Poulin et je devais suivre un séminaire sur un autre siècle que le vingtième, objet de mon mémoire de maîtrise. Me voilà donc dans le bureau de l’un des pontes de la littérature française du 18ème siècle, attendant que le ponte en question me délivre une accréditation pour accéder à l’étage secret de la Bibliothèque Nationale. Quand l’homme a entendu que mon sujet d’étude était « un écrivain québécois contemporain », je l’ai vu pouffer de rire devant ce qui lui paraissait être une aberration. Je vois encore son stylo à plume Mont-Blanc écrire dans la case « Sujet d’étude », comme un écho à sa voix : « On va mettre littérature française du 18ème siècle, hein… ».
Cette anecdote sans grand intérêt montre bien qu’en dehors des professeurs ultra-spécialisés dans le domaine, la littérature du Québec n’a pas droit de citer dans l’université parisienne.
« La littérature québécoise n’aurait sa place d’objet d’étude qu’au Québec ? »
Quand j’étais à La Sorbonne, mon état d’étudiant en littérature québécoise me donnait une position unique : j’étais le seul à m’y intéresser ou presque, qu’est-ce que je pouvais bien faire ici en France ? La littérature québécoise n’aurait sa place d’objet d’étude qu’au Québec ?
Qu’à cela ne tienne je tenterai d’y étudier.
Par confort, par envie, par facilité, par goût de la découverte, partir étudier Jacques Poulin à Montréal devint la seule solution. Toutes les formalités administratives faites, les lettres de motivation et de recommandation signées, le projet de recherche mis sur pied, je pouvais envoyer ma demande, grâce à un partenariat avec la sorb’ à l’Université de Montréal. La réponse négative de l’Université de Montréal ne se fit pas attendre : mes résultats de premier cycle n’étaient pas assez élevés. Ma directrice de recherche d’alors m’informa après la réponse négative que ah oui, c’est vrai… votre sujet aurait sans doute davantage fonctionné pour l’Uqam, autre université montréalaise. Je resterai donc à Paris et continuerai à acheter mes livres à l’indispensable Librairie du Québec, sur Internet, ou dans les rayons de livres d’occasion.
Jeune étudiant naïf et susceptible, je mettrai longtemps à accepter ce refus de l’Université de Montréal, prenant cela comme une véritable attaque contre mon honnêteté. Je me sentais différent de la grande masse des français émigrants au Québec, souhaitant voir, connaître et lire, plutôt qu’entrer dans le réseau des expatriés français qui se plaît à cultiver l’entre-soi.
Je me souviens, tiens tiens, d’un voyage touristique à Montréal où je m’étais fait remonter les bretelles par un jeune professeur de théâtre que j’avais rencontré et qui n’avait pas supporté ce français le reprendre à propos de Jacques Poulin, auteur qui faisait l’objet de mon mémoire de maîtrise. Par son agressivité, cet homme m’a appris l’humilité face au savoir. Il m’a aussi appris que la susceptibilité était présente partout.
Québec / France : mieux échanger pour mieux se comprendre
L’une des difficultés rencontrées par l’amateur de littérature du Québec est aussi l’information. Internet a facilité les choses. Les lettres d’actualité et les sites de librairies ou de journaux québécois, permettent de connaître la nouveauté des lettres de là-bas. En dehors de l’apport du numérique, il ne faut pas compter sur les médias français généralistes, ni spécialisés qui soyons honnêtes, n’y connaissent pas grand-chose. Les rentrées littéraires françaises de septembre et de janvier comptent chaque année des centaines de nouveaux titres. Difficile d’y trouver un titre québécois, caché sous une pile de Marc L. , de Guillaume M ou d’Anna G. Alors l’amateur de littérature québécoise doit se débrouiller. Rendre visite aux illuminés par Rejean Ducharme ou par Gaëtan Soucy dont la petite fille a éteint le feu le trop tôt. Le Québec a créé des maisons d’éditions, des maisons de disques pour éditer leurs créateurs et c’est tant mieux. Mais le manque cruel de liens entre les distributeurs ou les éditeurs québécois et français, rendent la lecture ou l’écoute des créateurs québécois très difficiles dans le sens Montréal-Paris. Sur les tables des librairies françaises, qu’il s’agisse de supermarchés culturels, ou de livreux indépendants, les livres québécois ne se montrent presque jamais et souvent ne se vendent pas. Je m’amusais quand j’étudiais Jacques Poulin, à passer dans les rayons de Gibert Joseph, la grande librairie du quartier latin parisien ; quand les rayons n’étaient pas vides des grands classiques québécois, on trouvait un ou deux Ducharme à vendre en occasion, pauvres bouquins ne trouvant pas preneur…
On a beau s’évertuer à parler des livres on pourrait aussi parler des disques. Alors évidemment, Céline Dion, Garou, toute la clique des brailleux, on les retrouve ici en Fronce.
Mais trouver les disques de Richard Desjardins, des Colocs, de Pierre Lapointe, ou de l’acadienne Lisa Leblanc —ces deux derniers sont pourtant édités dans l’hexagone, normalement— relève du parcours du combattant. Ah…Pierre Lapointe… Il n’est plus à présenter pour les québécois… pour certains français non plus d’ailleurs.
Sauf pour le chroniqueur radio André Manoukian. Dédé a fait une chronique sur Pierro Lapointe en Janvier 2014 sur les ondes de France Inter. Bon… Faire découvrir un artiste par son sixième album montre bien la méconnaissance de la critique française, mais cela passe encore. Le problème de Dédé Manoukian c’est qu’évidemment, qui dit artiste québécois dit forcément sirop d’érable, dit forcément accent plein « d’archaïsmes fleuris », et de « naïveté du Nouveau Monde » (c’est lui qui parle entre ces guillemets). C’était certain que ça ne passerait pas. Quatre jours plus tard Monique Giroux, journaliste chez Radio Canada, fait à son tour une chronique après avoir fixé la lunette de son stylo à plume sur Dédé Manoukian. Elle a du se dire « lui je vais me le faire ». Elle ne l’a pas loupé.
Résumons : un journaliste français parle du Québec en utilisant les habituels clichés éculés : sirop d’érable, accent, cabane à sucre, et passé mythique. Une québécoise le prend mal et répond en montrant l’habituelle supériorité de certains français.
L’auteur de ce billet s’aventure dans une réflexion dangereuse, mais il l’assume : Si Dédé Manoukian réduit l’artiste québécois aux clichés habituels déjà cités, n’est-ce pas sans doute parce qu’il n’a pu voir que ce que les québécois veulent bien montrer aux français, touristes comme les autres.
Si les français réduisent aussi souvent le Québec à ses traditions touristiques c’est que notre état de français et notre fraternité de langue ne nous donnent aucun avantage sur les autres touristes non francophones. C’est peut-être ce que nous n’acceptons pas.
Sans doute le seul moyen de comprendre, de découvrir vraiment un pays, sa culture et sa langue, telle que la culture québécoise est bien de connaître ses arts, musique, littérature, cinéma principalement. Pour cela il faudrait que les échanges de livres, de disques, se fassent plus facilement, que les distributeurs travaillent main dans la main, avec l’idée que les publics québécois et français peuvent avoir en plus de la langue, certains goûts en commun.
Plus on entendra de disques québécois, plus on lira de textes québécois et plus on verra de films québécois, moins on embêtera le monde avec l’accent et le sirop d’érable.
Puissent les éditeurs, distributeurs et créateurs entendre cette prière.
Christophe Serriere