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« Bonjour, c’est moi Orson Welles. Je me permets d’interrompre ce flim parce qu’on se fout un peu de ma gueule, c’est du vol et du plagiat, j’aime pas trop les voleurs et les fils de pute. »

Après cette courte récréation lexicale, tirée d’un film connu des initiés, passons aux choses un peu plus sérieuses. On a vu récemment, Agnès Chauveau, directrice exécutive de l’école de journalisme de Science po (quel titre !) prise en flagrant délit de « plagiat » par le site Arrêt sur Images, même si ce terme reste abusif. On se situe en effet plutôt dans le vulgaire copier-coller. On peut déjà constater qu’elle manie assez bien le traitement de texte. L’occasion pour nous de revenir sur cette pratique. Cela nous montre aussi que nos élites pensent malheureusement toutes la même chose.

Sans trop se perdre en détails, nous pouvons citer les querelles de Démosthène et Hypéride, orateurs de génie. Ils s’accusaient mutuellement de « vol ». Cependant, on n’a jamais pu savoir lequel des deux était le plagiaire, tous deux étant contemporains l’un de l’autre. Quant au mot, « plagios » : en grec, il signifierait coquin, rusé, truqueur.

A l’origine du plagiat, l’hommage

De l’Antiquité à la Renaissance, le plagiat était accepté, encouragé, admis. Montaigne s’inspire ainsi de Plaute pour amplifier, augmenter, améliorer, supplanter.

Martial, poète latin, auteur de nombreux épigrammes, a été un des premiers à conceptualiser ce mot, posant le bien-fondé de ce type d’emprunt. Lorsqu’il s’adresse ainsi à son ami, Fidatinus, un des premiers plagiaires de l’Histoire : « ainsi le procédé qui te fait poète, te servira, quand tu seras chauve, à te procurer des cheveux ». La poésie, déjà, était une affaire sérieuse.

Le plagiat est un jeu littéraire, dans la Grèce de Platon, un jeu d’école. La jurisprudence du droit d’auteur, l’apparition des diverses légitimités à écrire en son nom ont tout changé. De l’Antiquité à la Renaissance, le plagiat était accepté, encouragé, admis. Montaigne s’inspire ainsi de Plaute pour amplifier, augmenter, améliorer, supplanter. La modernité, c’est l’individu et la morale : il devient moralement inacceptable de reprendre le travail d’autrui, même si la notion reste très difficile à apprécier et à sanctionner. Elle peut en effet prendre diverses formes : abus de citation, remise en forme, voire plagiat par anticipation.

Mais le processus d’écriture se décompose ainsi. Avant d’écrire, on lit, ensuite on recopie ce qui précède, pour finalement tenter de créer des combinaisons de mots qui s’attachent harmonieusement. Soulignons qu’il est extrêmement difficile de produire quelque chose qui nous appartient véritablement.

Reprocherait-on à Racine d’avoir repris les dramaturges grecs, à La Fontaine d’avoir traduit et adapté Esope ?

Le plagiat aujourd’hui : l’arme des fainéants médiatisés

Tout le monde sort son livre, comme une extension de leur ego bouffi. La langue française est belle, et mérite sans doute mieux qu’un simple et grossier « copier-coller ».

Peut-être que les gens plagient d’une manière moins élégante car ils lisent moins, ou ne lisent pas pareil. La page internet, la note de synthèse ou la liseuse ont-elles définitivement remplacé le livre poussiéreux, à la reliure puissante et épaisse ?

Est-ce à dire que, si on lisait plus souvent, on se rendrait par exemple compte de la beauté d’un roman d’Alexandre Dumas, qui lui-même avait besoin d’un « nègre », lui, le quarteron, Auguste Maquet, dans une complémentarité artistique et littéraire, une hydre à deux têtes. La relation tumultueuse des deux hommes est un témoignage emblématique de cette complexité de la langue française, mêlant beauté et sentiment, dans un ensemble touchant parfois au sublime. L’homme doit s’élever au-dessus des existences particulières pour tenter d’atteindre cet idéal.

Aujourd’hui, il semble si facile de publier un ouvrage sur la base de son seul patronyme que certains oublieraient presque d’en écrire le contenu eux-mêmes.  Tout le monde sort son livre, comme une extension de leur ego bouffi. La langue française est belle, et mérite sans doute mieux qu’un simple et grossier « copier-coller ».

Mais la presse semble n’être devenue qu’une immense manufacture à plagiat, où chacun reprendra à son compte un article qu’il aura pêché dans une publication plus ancienne ou une dépêche AFP. Plus personne, d’ailleurs, ne s’en étonne.

D’un plagiat assumé, enrichissant, on est passé à un plagiat médiocre et vide, se cachant vainement dans les sombres recoins de la production journalistique et littéraire. Personne ne s’avoue plus plagiaire, en revanche, tout le monde ou presque y a recours. Dans cette optique, le droit de réponse est devenu le sport national dans la presse française : on niera évidemment en bloc ces accusations alors que, les gens, quand même, savent encore lire. Ne nous en déplaise.

Ce n’est pas tant le plagiat lui-même qui est inexcusable, mais la façon qu’on a de le nier dans un absolu créatif abscons.

Internet et le plagiaire : la fin du journalisme ?

Tocqueville serait fier d’internet. L’outil a égalisé les conditions d’écriture. Le plagiat est ainsi à la portée de tous. Des deux côtés du prisme, on plagie, chez le bas peuple étudiant et les élites journalistiques, avec leurs livres écrits par un cabinet de communication et autres articles vérolés par des citations sans guillemet. La sanction reste confinée en revanche dans les limbes de la création.

Avant l’avènement du WEB, il y avait un travail de lecture, de sélection, de forme, de mise en perspective. On se donnait la peine d’ouvrir un livre, et de s’y tenir, car on ne pouvait pas faire autrement.

Aujourd’hui, on se rend compte que les journalistes ne semblent que recycler ce qui a déjà été écrit sur le net. Concernant notre chère Agnès Chauveau, elle n’a même pas le mérite de reconnaître son fait et d’en prendre la responsabilité. Elle plaide l’oubli, c’est « involontaire ». Qu’elle se rassure, elle n’est pas la seule. Elle ira donc rejoindre le panthéon des plagiaires : Rama Yade, Alain Minc, PPDA, et autres Thierry Ardisson.

Cela pose la question de savoir si la célébrité et les positions de pouvoir rendraient  paresseux, oisif.

Quand on plagie de cette manière, c’est l’homme qui disparaît un peu plus, pour laisser place à la froide mécanique.

Science po, c’est l’exigence. En tout cas, c’est ce que nous avions cru comprendre. On y enseigne la rigueur, la discipline, la faculté de synthèse. Le prix d’entrée est élevé, en capital culturel et économique. La rue Saint Guillaume respire l’exclusivité. Une rue discrète, sans apparat, mais que tout jeune Francilien en mal de reconnaissance rêverait un jour de parcourir. La galéjade de la directrice a fortement écorné le sanctuaire de l’élite parisienne. Bruno Roger Petit souligne ainsi que la mésaventure de la directrice n’est que le symptôme d’un mal plus profond qui toucherait la grande fabrique à journalistes conquérants.

Dans la mesure où la plupart des journalistes qui comptent sont diplômés de cette institution, nous avons beaucoup de souci à nous faire pour l’avenir de la profession.

Au-delà de cette affaire, pas si anecdotique que cela, l’Histoire du Monde est ainsi : l’Homme a fait un effort long et laborieux pour s’extirper de la forme brute du règne animal, avec une arrogance parfaite. Avec ce « coup d’éclat », la lumière de ce libre arbitre et de cette conscience qui a fait apparaître un contenu créatif à travers sa forme concrète – l’écriture – se fissure. Les récents événements nous montrent un dangereux retour en arrière.

Quand on plagie de cette manière, c’est l’homme qui disparaît un peu plus, pour laisser place à la froide mécanique.

Depuis l’avènement de la technique, l’humanité craint d’être un jour asservie, remplacée par des machines. La littérature et le cinéma de science-fiction ont d’ailleurs exploité ces inquiétudes pour nous offrir des fresques épiques. Bien heureusement, comme évoqué plus haut, l’arrogance du Terrien, consubstantielle à son humanité, nous mettra à l’abri de ces velléités déshumanisantes. Car la véritable expression de ce processus, dépouillé de l’inattendu et de la spontanéité, est sa capacité à tomber dans une paresse intellectuelle. La conséquence funeste est l’absence de contenu nouveau, au sens de la réappropriation, destruction, création, chère à Schumpeter, quel qu’il soit. Au sein de la production médiatique de ces dernières années, Les plagiats sont partout, on finit par plagier les esprits.

Sur une note plus légère, on peut aussi constater que les présentateurs de journaux ont malgré eux tous le même ton monocorde, la même diction assoupissante, tel un métronome posé sur un piano. Nos élites sont si semblables dans leurs raisonnements qu’en fait cette histoire n’est pas vraiment surprenante. Ces dernières sortent des mêmes écoles, vont dans les mêmes endroits, partagent la même communauté de pensée. N’ayez pas peur des guillemets, ils vous protègent et montrent que vous pouvez vous appuyer sur des références amplifiant votre propos. Mais il est vrai que c’est aussi un gage d’humilité.

Lorsqu’on écrit tous la même chose, on finit tous par penser la même chose. A l’instar de la machine l’Homme médiatique se retrouve devant le risque de devenir le fondement de sa désincarnation.

Au final, lorsqu’on écrit tous la même chose, on finit tous par penser la même chose. A l’instar de la machine, l’Homme médiatique se retrouve devant le risque de devenir le fondement de sa désincarnation.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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