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Le printemps 2015 a vu de beaux livres arriver sur les tables des librairies. La formidable collection Quarto de chez Gallim’ a publié un recueil de textes de l’historienne Mona Ozouf. Une grande historienne pour comprendre une petite époque.

Les livres de Mona Ozouf ont  cette vertu : ils nous permettent toujours de vivre l’actualité à travers le filtre historique. Quel homme politique n’a pas repris à son compte l’héritage de la Révolution ou celui de la Troisième République ? La première raison qui pousse à se plonger dans la lecture de cette somme gigantesque réside dans le besoin d’un retour au récit de l’histoire. Chaque reprise, chaque citation d’un événement historique dans un discours politique  amène une déformation.

La lumière de l’histoire

Se procurer ce recueil des textes de Mona Ozouf c’est retrouver la source de l’une des plus importantes historiennes de notre époque. 

Quelques mois après avoir lu et présenté ici même son petit opuscule Jules Ferry, La liberté et la tradition, c’est avec plaisir que nous nous plongeons dans ce recueil.Pour entrer pleinement dans cet ouvrage, il convient d’en comprendre l’essence : il s’agit d’une compilation des textes de l’historienne, textes qu’elle a elle-même choisis. Alors que l’on pourrait s’attendre à un obscur pavé scientifique, elle prend la liberté de l’organisation : elle range côte à côte des extraits d’actes de colloque très exigeants et de courts articles, plus accessibles au profane parus dans la presse hebdomadaire nationale. Elle se permet de découper, de trier, de sélectionner ses morceaux de choix. L’objectif inavoué est simple : entrer dans l’œuvre de l’historienne, comprendre ses marottes et saisir l’importance de ses textes. Enfin, se plonger dans les lignes de Mona Ozouf permet d’ouvrir une porte vers quelques-uns des grands historiens de la fin du 20ème siècle, Jacques Ozouf, François Furet, ou encore Pierre Nora, tous quatre étaient d’ailleurs au sommaire de l’ouvrage de 1978, fondateur de la Nouvelle Histoire,  Faire de l’histoire.

De révolution en république  invite le lecteur à approfondir ses connaissances sur trois thèmes qui sont sans doute parmi les préférés des amateurs d’histoire : la révolution, la Troisième république, et le sentiment national qu’elle nomme « le sentiment de francité » dans l’introduction au chapitre intitulé « Les Français ». S’agit-il d’un best-of de l’historienne ou plutôt d’une introduction  à sa pensée ? Ni l’un ni l’autre, évidemment, c’est la force du travail de sélection des textes. En présentant des extraits issus de tous horizons, ce recueil se révèle être une somme de savoirs à ouvrir et à refermer, une somme qui nous invite à y revenir.

 « Le savoir est le seul bien qui ne s’hérite pas »

Avec le recul nécessaire pour observer les faits avec intelligence, cet ouvrage nous permet de prendre en compte l’actualité récente  à la lumière de notre passé commun.

L’amateur d’histoire et de politique contemporaine  entrera avec bonheur en contact avec une série de « Portraits singuliers, portraits de groupe ». De Marat, à Marie-Antoinette en passant par Saint-Just, Mona Ozouf revient sur quelques-uns des acteurs de la révolution  devenus des légendes  à force d’être cités, repris, récupérés par tous. Deuxième grande partie de l’ouvrage, le thème cher au couple Ozouf ; l’école et les instituteurs de la Troisième République. Là, l’ouvrage prend toute sa puissance car il nous rappelle le poids de la promesse des hussards noirs de la république : « l’école comme le cœur de l’entreprise républicaine, le temple neuf d’une humanité affranchie de Dieu, le lieu où l’on professe la perfectibilité indéfinie et la prise de l’homme sur son destin ». Cette phrase de l’historienne fait réfléchir le citoyen du 21ème siècle sur le rôle dévolu aujourd’hui à l’école. Il ne s’agit pas de donner des pistes pour 2015 mais simplement, par la connaissance du passé, d’aider le citoyen à juger correctement l’évolution  de ce qu’on appelle aujourd’hui le progrès dans l’école mais aussi dans toutes les autres sphères de la société.  « Le savoir est le seul bien qui ne s’hérite pas » (p. 1284). Il ne s’hérite pas mais se gagne, se mérite au prix de lectures nombreuses, au prix d’une curiosité que seuls l’école et les parents peuvent insuffler aux enfants. Avec le recul nécessaire pour observer les faits avec intelligence, cet ouvrage nous permet de prendre en compte l’actualité récente  à la lumière de notre passé commun. C’est un travail d’utilité publique.

Comme dans les autres ouvrages de la collection, un parcours biographique de Mona Ozouf permet au lecteur d’aller plus loin dans la connaissance de l’historienne, ainsi qu’une section « le fil de l’œuvre »  qui offre la possibilité d’ancrer l’auteur dans son temps, celui de amis de travail déjà mentionnés plus haut. Cette introduction ainsi que la postface, extraite de la récente Composition Française nous font entrer dans le cabinet de travail de l’historienne. On y prend conscience du poids de l’origine bretonne de Mona Ozouf,  devenue grande représentante de  l’Histoire française, après avoir grandie dans une Bretagne où la langue bretonne était encore omniprésente. Enfin, se perdre dans les pages de cet ouvrage gargantuesque, c’est découvrir une femme  qui n’a pas opposé l’histoire et la littérature, mais qui a vu le roman comme « un observatoire privilégié du lent effacement de l’Ancien Régime ».

L’histoire amène donc au roman. Les choses vont rarement dans cet ordre. Mona Ozouf est l’un des grands esprits français de ce croisement entre deux siècles.

 

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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