Partagez sur "Jean d’Ormesson, la jeunesse éternelle est veuve"
L’immortel Jean d’Ormesson, puits de culture, survivance d’un temps ancien où l’élégance et la finesse étaient les standards, s’en est allé.
Quelques semaines après Jean Rochefort et Gonzague Saint-Bris, c’est un autre ambassadeur de la classe à la française, par ailleurs homme de droite, dont d’aucuns soutiennent qu’il en était le dernier véritable penseur, qui vient de passer l’arme à gauche.
Une personnalité brillante, alerte, charmante, raffinée, gourmande et malicieuse. Un fringant nonagénaire que la vie aura préservé de la sénilité et qui n’aura jamais succombé aux pires maux de la vieillesse, la vanité et l’indifférence. Un auteur accompli, à même d’écrire sur (presque) tout, à défaut d’avoir été un homme de chefs-d’œuvre. Un éternel curieux, doux rêveur éveillé, tout en demeurant un adepte résolu du bon sens et fidèle à des convictions parfois anticonformistes qui pouvaient indisposer nombre de bien-pensants.
« Oui, Jean d’Ormesson faisait mouche, tel le patriarche revenu de tout qui distille force anecdotes savoureuses lors de dîners de famille ».
Avec sa voix douce de grand-père instruit, ses yeux d’une clarté rare et un sourire quasi-perpétuel, le gentilhomme et inlassable séducteur Jean d’Ormesson rassurait. Sachant manier le verbe, tenant d’un humour fin, presque aérien, il maîtrisait aussi l’art de la conversation. « Il était brillant, jamais ennuyeux, parlait vite et bien. On avait envie de l’inviter sur tous les plateaux de télévision. On ne s’en privait pas, et il y avait pris goût », opine ce matin Le Monde, peu suspect de connivence benoîte à son endroit, dans sa nécrologie.
Au fil des années, Jean d’Ormesson a fait consensus. Par son œuvre, féconde et empanachée. Par sa façon d’être surtout, prodigieusement délicieuse, entre drôleries, finesse d’esprit et goût immodéré du jeu. Oui, Jean d’Ormesson faisait mouche, tel le patriarche revenu de tout qui distille force anecdotes savoureuses lors de dîners de famille qu’il domine de toute sa verve, tel le sage vers lequel on se tourne lorsque les passions du moment nous dépassent.
Jean d’Ormesson, le poli polyvalent
Fils d’un diplomate, André d’Ormesson, et de Marie Anisson du Perron, une descendante des Le Peletier, Jean d’Ormesson, bien né toujours impeccable, a d’abord connu la vie de château, passant une partie de son enfance à celui de Saint-Fargeau, propriété de sa génitrice. Il a ensuite vécu en Roumanie puis au Brésil, au gré des mutations de son père, avant d’intégrer hypokhâgne.
Normalien en 1946, il décroche ensuite l’agrégation de philosophie puis enseigne. Parti pour une carrière de haut fonctionnaire, il commence à collaborer avec des journaux et sort ainsi du moule. Les colonnes s’ouvrent à cette plume efficace et parfois mordante, qui ne dédaigne pas les polémiques, mais respire la vie et ses joies.
« Il assume et en choque certains, à l’image de Jean Ferrat, qui dans sa chanson Un air de liberté, foucade contrôlée, prend en grippe celui qui fustige les « socialo-communistes » avec une régularité de métronome ».
Le titre de son premier roman, L’Amour est un plaisir, paru en 1956, donne pour ainsi dire le ton d’un modus vivendi. 17 ans plus tard, et alors que La gloire de l’Empire a été récompensé par le grand prix de l’Académie française, il intègre cette dernière. Parce que ce n’est pas incompatible, il devient en 1974 directeur du Figaro, un poste qu’il occupe trois ans, supportant de moins en moins des comités de rédaction à l’ambiance parfois délétère, même entre personnes censées se comprendre et tirer dans le même sens.
Pour autant, Jean d’Ormesson continue à collaborer avec le quotidien de droite, y distillant chroniques ou éditos tantôt acides, tantôt légers, prompts à plaire aux cadres sup’ en quête de brio. L’auteur reste droit dans ses bottes et ne fait pas mystère de ses orientations politiques. Il assume et en choque certains, à l’image de Jean Ferrat, qui dans sa chanson Un air de liberté, foucade contrôlée, prend en grippe celui qui fustige les « socialo-communistes » avec une régularité de métronome.
Cela n’empêche pas Jean d’Ormesson d’admirer, sans réserve, des écrivains aussi différents que François Mauriac – journaliste et écrivain comme lui – et Louis Aragon. Et de recevoir avec tous les honneurs qu’elles méritaient Marguerite Yourcenar puis, plus récemment, feu Simone Veil à l’Académie française.
En cela, Jean d’Ormesson le conservateur, l’homme de droite, s’est montré profondément progressiste, militant le premier pour l’entrée d’une femme dans une institution jusqu’alors dominée sans partage par un sexe fort adepte de plaisanteries grivoises.
Il y a deux ans, la très respectable « Bibliothèque de la Pléiade » de Gallimard a publié un volume de ses romans. « Il en a fait le choix lui-même. Mais il n’a pas pour autant renoncé à écrire », relate encore Le Monde. Le dernier en date – Et moi je vis toujours sera publié par Gallimard l’an prochain -, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, sorti l’an passé, revêt des accents testamentaires.
Dans un registre plus général, la comédienne Catherine Frot n’a pas vraiment eu tort en évoquant, au micro d’Europe 1, la « jeunesse d’esprit » et la « fraîcheur » de Jean d’Ormesson, vieil homme qui ne morigénait jamais, mortel folâtre bien conscient que les minutes sont des gangues qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or.
« J’avais l’impression de voir un monsieur qui rajeunissait en vieillissant », a ajouté l’interprète de Marguerite.
C’est sans nul doute ce qui restera de lui dans bien des esprits.