Résolument peintre de la destruction, Gilbert1 est avant tout témoin et acteur de notre société qui s’édifie sur un modèle d’abondance et de gâchis.
En réalité cet artiste intervient sans réellement détruire. Bien au contraire puisqu’il édifie un autre univers, le sien, en utilisant certains objets usagers qui sont détruits ou rejetés par notre monde de la consommation (papiers, cartons et autres matériaux, …). Ensuite il les agrège de façon poétique à son œuvre. Il utilise donc la destruction et les traces d’une société décadente, selon son expression, pour révéler son art.
Ce faisant il continue et poursuit les expériences antérieures qui faisaient entrer les objets manufacturés dans le panthéon de l’art (l’héritage de Duchamp). Mais lui, par contre, s’attachera davantage aux objets pauvres, détruits, arrachés, altérés, déstructurés et patinés par le temps ou par la technique.
Son propre parcours personnel expliquerait en partie sa démarche.
Né en 1980 à Epinal, Gilbert1 a travaillé dans la rue et sa culture du street-art l’a conduit tout naturellement à privilégier les lieux et les matériaux abandonnés.
C’est pourquoi loin de créer de nouveaux objets de consommation kitsch à la manière d’un Koons ou d’un Steinbach, ce jeune créateur ressemble davantage dans sa façon de travailler à un artisan.
Sa vision géométrique constitue par ailleurs un autre trait singulier de son art que l’on découvre dans toutes ses œuvres (essentiellement picturales ou à caractère mixte avec l’utilisation d’autres matériaux). L’artiste représente, en effet, son monde à l’aide de la géométrie qu’il valorise avec des couleurs éclatantes.
Déjà Kandinsky était fasciné par l’aura mystique de la géométrie. Le triangle était pour lui le symbole de la « vie spirituelle ». Ce grand maître de l’art abstrait voulait un univers en devenir d’où son choix aussi pour les couleurs éclatantes et les lignes en mouvement libre.
De même dans les œuvres de Gilbert1, on ressent un dynamisme fort et puissant. Les formes géométriques (les triangles, les losanges et les différentes formes acérées) qui s’agencent et se bousculent créent chez lui un mouvement d’une grande amplitude.
A l’image des forces de vie et de croissance invisibles qui agitent le monde naturel, ce peintre joue à la fois sur des formes géométriques et organiques.
Mais la géométrie n’est-ce pas aussi un moyen pour lui de nous révéler des vérités cachées ?
A ce titre il est étonnant de constater le décalage pouvant exister entre la beauté plastique de ses œuvres et le discours tenu par l’artiste.
Ses commentaires sont souvent empreints d’une grande gravité voire d’un pessimisme radical alors que l’œuvre qu’il nous propose paraît s’inscrire dans un univers radieux ? En fait déjà le titre de son exposition « EXTRACTED FROM CHAOS » (Extrait du chaos) devrait nous interpeller.
Son message est sans ambiguïté : l’humanité serait, selon lui, réellement menacée.
Je souhaite dit-il « montrer cet effondrement inéluctable, et caractériser la force de cette chute, l’urgence liée à la situation… ».
Toute son œuvre ne serait donc qu’un dramatique questionnement sur l’avenir de l’homme et de son environnement ?
Dans ce contexte les coulures de peinture qui inondent la partie inférieure de l’œuvre précédente (voir ci-dessus) pourraient être interprétées comme la preuve de ce même désarroi ?
Et se rappeler alors certaines scènes issues de notre patrimoine culturel et religieux dont la Passion du Christ au mont des Oliviers ?
« En proie à la détresse, il priait de façon plus instance, et sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre. » (Luc, 22, 44).
Certes le ruissellement représenté par l’artiste n’est pas de couleur rouge comme le sang du Christ mais plutôt dominé par des tonalités bleues et vertes !
D’ailleurs sans même aller jusqu’à ce rapprochement avec la Passion de Jésus, il paraît plausible d’y voir dans cette représentation l’expression d’une réelle souffrance ou tout du moins d’une vraie détresse.
Plus loin encore l’artiste veut montrer cet effondrement et la force de cette chute à travers d’autres compositions et notamment celles en mouvement abstraites en 3 dimensions (voir l’œuvre ci-dessous).
A dessein, il utilise des matériaux inertes et veut souligner par ailleurs un contraste entre un temps passé et notre monde moderne.
Cette œuvre en 3 dimensions ménage un passage de l’autre côté… c’est le résultat d’un travail à la fois mythologique et cosmique.
Le bois et le papier usagers sont comme les traces du passé des sociétés tribales et de la mythologie et les tracés dynamiques comme les forces du présent et du futur !
Tout cela permet un voyage au centre symbolique de l’univers où les forces dynamiques vont s’intégrer au moi. A l’évidence l’artiste ménage une issue possible.
Mais Gilbert1 ne se présente pas comme le détenteur de la vérité. Il propose simplement grâce à son œuvre la dernière porte que seul l’effort du spectateur lui permettra de franchir.