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Un an après sa nomination, le ministre de l’Éducation Nationale réussit un tour de force : il ne suscite aucune opposition franche à gauche et parvient à rester l’homme idéal pour l’ensemble de la droite. Comment fait-il ?

« Beaucoup de bruit pour rien » semble un adage formulé  pour lui : ses reformes mettent un bon coup de pied dans la fourmilière (ou dans le mammouth) mais  les changements mis en place n’ont rien du chambardement général.  L’une de ses actions emblématiques est la transformation du logiciel APB (Admission Post Bac) en une nouvelle mouture intitulée Parcours Sup. Les lycéens doivent désormais rédiger une lettre de motivation et réfléchir à la raison pour laquelle ils souhaitent intégrer la filière demandée. En dehors de cette modification, les voies tendues, comme la médecine, continueront à trouver le moyen de choisir parmi les meilleurs étudiants, et les autres filières moins remplies, comme  les Humanités verront encore la moitié des nouveaux venus abandonner au milieu de la première année, par manque de méthode ou de courage. Le système scolaire repousse de plus en plus tard la sentence de la sélection : le collégien a un accès naturel à la classe supérieure et au lycée général. Les lycéens qui ne tiennent pas le coup en filière scientifique sont renvoyés en filières technologiques, et accéderont à un baccalauréat sans intérêt qui ne leur permettront qu’avec peine d’apprendre à travailler réellement pour réussir dans une voie supérieure. Les étudiants de filières universitaires courtes continuent d’être biberonnés comme ils le furent en sixième, et les étudiants ayant eu accès aux écoles d’ingénieurs pensent pouvoir changer le monde ; ou leur vie au moins.

Tout cela n’offre pas la solution au problème : le système scolaire ne pourra pas être efficace sans la sélection ; Parcours Sup n’offre pas cette possibilité aux Universités, ainsi, les résultats des étudiants en première année continueront d’être médiocres, les professeurs de première année parleront de la catastrophe des enseignants de lycées qui dénonceront l’échec des professeurs de collège qui s’acharneront à blâmer les collègues du primaire, qui enfin,  trouveront la source de problème : l’éducation parentale.

« Le seul critère de sélection mis en place dans le fonctionnement de Parcours Sup réside dans cette lettre de motivation. »

Dès son arrivée au ministère, Jean-Michel Blanquer a rédigé une petite circulaire qui permettait aux enseignants  qui s’étaient majoritairement opposés à la réforme du Collège de 2016, d’abandonner la seule chose qui les contraignaient réellement : l’obligation pour les élèves des cinquièmes, quatrièmes et troisièmes de suivre deux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) par an. En une circulaire, le ministre s’est mis la majorité des professeurs de collège dans la poche. Jusqu’à présent, le souci de Jean-Michel Blanquer ne semble pas être la fin de la reproduction des inégalités sociales à l’école. Les lycéens qui visent l’enseignement supérieur devront le faire à partir de leurs capacités à regarder leur propre parcours, à rédiger un texte réflexif sur ces parcours et enfin à raisonner à partir de leurs rares expériences professionnelles ; ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.  Le seul critère de sélection mis en place dans le fonctionnement de Parcours Sup réside dans cette lettre de motivation. La réforme de Najat Vallaud-Belkacem et les programmes qui l’accompagnent ont réduit l’enseignement du passé simple en 6e aux seules troisièmes personnes du singulier et du pluriel. Celle de Jean-Michel Blanquer part du principe que les élèves de Terminale maitrisent tous la langue française. Et cela apparaît comme la blague du quinquennat.

La chèvre, le chou, le beurre, l’argent du beurre.

À l’observation de son année de travail, le ministre a littéralement l’arrière-train entre deux fauteuils. Rien de très nouveau pour une fonction qui vise  à faire avant tout des économies, en gérant des enseignants globalement attachés aux valeurs humanistes, au savoir et à l’esprit critique. Jean-Michel Blanquer est bel et bien « La Nouvelle Star » comme on a pu le lire sur la couverture de journaux en manque d’inspiration car ses mesures sont coincées entre deux directions. La rentrée scolaire 2017 a permis de lancer des chantiers  qui plaisent à tout l’électorat de droite. L’interdiction des téléphones au collège allait (enfin) être décidée. Or, après l’annonce, le ministre a pris le temps de réfléchir à la mise en oeuvre. Il a alors exprimé l’idée qu’après tout, les établissements pourraient décider jusqu’à quel point cette interdiction pourrait être appliquée. Quelques mois plus tard, le même ministre faisait paraître un « vade-mecum sur les Byod », cette pratique qui vise à reconnaître l’utilisation des outils personnels des élèves pour le travail en classe souvent assumée par les professeurs dits « innovants ». En clair, le ministre interdit le portable au collège et reconnait  leur utilisation dans le cadre pédagogique.

« Les réformes actuelles semblent appliquer à la lettre ce conseil de La Fontaine ; elles satisfont tous les bords sans faire bouger quelque ligne que ce soit. »

Autre contradiction marquante ; les établissements scolaires doivent renouer avec l’activité de chorale. Tout le monde en parle, les fanatiques des petits chanteurs à la croix de bois ou des Choristes sont ravis. Mais s’agit-il d’une obligation ? Non évidemment, la chorale sera une option. Ce qui est déjà existant dans une grande majorité d’établissements secondaires.  À un autre niveau, nous trouvons la réforme du baccalauréat. Les filières générales sont supprimées. Très bonne nouvelle. Mais il ne faudrait pas mélanger les torchons et les serviettes : les filières du baccalauréat technologique existeront toujours telles qu’elles existent depuis plusieurs années. Il ne manquait plus que la voie professionnelle. Jean-Michel Blanquer annonce une réforme pour bientôt. Nul doute que Monsieur le Ministre a retenu sa récitation de cours moyen. La fable de Jean de La Fontaine intitulée « La Cour du Lion » met en scène un Lion tyrannique et un Renard brillant. Le Lion ayant invité  sa cour ne supporte pas que l’Ours exprime son dérangement face à l’odeur pestilentielle qui règne en « son Louvre » et fait tuer le pauvre animal. Le Renard affirme que son odorat est défaillant ce qui l’empêche de sentir quoi que ce soit. Il reste donc en vie.  Le ministre a été loué pour ses positions qui semblent honnêtes à tous. Lui-même se décrit parfois comme ne pratiquant pas la « politique politicienne ». Or il est bien le meilleur ministre depuis des décennies car il est le premier à faire véritablement ce qu’il veut, sans affronter de réelles oppositions. Jean-Michel Blanquer semble appliquer pleinement la morale de cette fable, qui nous invite, afin de survivre à la cour, à ne pas être trop honnête et à « quelquefois de répondre en Normand ».

Les réformes actuelles semblent appliquer à la lettre ce conseil de La Fontaine ; elles satisfont tous les bords sans faire bouger quelque ligne que ce soit. En 1932, Alain écrivait « Ce monde ira toujours comme il va, si le trésor des Humanités est réservé à ceux qui en sont les plus dignes. Au contraire, si l’on se mettait à instruire les ignorants, nous verrions du nouveau. » Monsieur Blanquer n’a pas, pour l’instant, souhaité voir du nouveau.

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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