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Ah Zemmour, le feu follet, la fulgurance télévisuelle ! Découvert il y a plus de vingt ans, sorti de la cuisse d’un Tesson plein de panache, l’élève depuis a dépassé le maître. Eric est partout, non seulement car il aime discourir sans fin sur les méandres de la vie politique française, mais aussi parce que les médias ont besoin de lui. Radio, télévision, livre, il n’a pas d’armes de prédilection. Et l’audience suit. Son nouveau livre a dépassé celui de Valérie. Et au vu du nombre d’articles lui étant consacré dans Rue89, on est en passe, au sein du site, d’ouvrir une rubrique uniquement dédiée au bonhomme.

Sur libération.fr, les articles relatant son livre ou ses prises de position sont réservés aux abonnés, donc payants. On essaie comme on peut de se faire un peu d’argent sur la bête.

Comment expliquer cette fascination ? La semaine dernière, On n’est pas couché n’avait jamais eu autant de gens debout pour observer le bougre se produire. L’audience a triplé durant sa prestation.

Il est souvent dans le vrai, c’est sans doute pour cela qu’il polarise autant. Quand il se trompe, c’est le tir groupé. Et lorsqu’il a raison, il ment. Bête de plateau, rigoureux, et toujours sincère, il parvient à persuader son auditoire par sa verve et sa force de conviction. Certes, le fond est souvent juste. Quant à la forme, on peut lui reprocher d’être trop péremptoire.

Les paradoxes de docteur Eric et Mister Zemmour

Son argumentaire est, la majeure partie du temps, accueilli par des cris d’orfraies, marqués par une subjectivité cathartique, et par l’absence d’arguments similaires dans leur nature.

Est-il de droite ? De gauche alors ? Pas vraiment. Il est donc forcément d’extrême droite ? Les définitions de chacun sont tellement aléatoires qu’on ne peut qu’être sceptique devant de telles catégorisations. Ainsi on doit bien se garder de vouloir trouver dans de telles conceptions, la plus haute vérité, sous couvert d’y reconnaître un dogme idéologique.

Ici se présente une contradiction qui précipite le journalisme dans un défaut facile à remarquer dans ces conceptions. D’un côté, l’absolu zemmourien, holistique et englobant tout, essayant en tout cas, d’un autre, les individualités du monde journalistique d’abord intéressé par lui-même, dans l’immédiateté du beau geste, du clash. Chacun veut sa part du gâteau berbère.

En général, ces personnifications ne sont pas vraiment, à proprement parler, pertinentes, car en raison de leur caractère superficiel, elles ne sont nullement dans un rapport de vérité, ni dans une liaison étroite avec le contenu particulier qu’elles devraient exprimer. Son argumentaire est, la majeure partie du temps, accueilli par des cris d’orfraies, marqués par une subjectivité cathartique, et par l’absence d’arguments similaires dans leur nature.

Un précieux faire-valoir journalistique

Évidemment, il exagère, mais sinon, il ne serait pas audible, ne serait pas invité, ne serait pas vilipendé en place publique.

Pourquoi choque-t-il ? D’ailleurs qui choque-t-il ? Principalement ses congénères journalistes, et autres personnalités publiques de premier plan.  Il semble que nous assistons à une mauvaise pièce de boulevard.

Revenons sur cette prestation. Ruquier dans est dans son rôle de modérateur qui ne se mouille jamais : « C’est trop compliqué », « J’en reste aux choses simples ». Dans un mépris sympa, il nous prévient gentiment que les gens (nous) ne seront jamais capables de saisir le livre du préposé réac. Le fameux « Il faut faire simple sinon ils ne comprendront pas ». Les médias, par la voie de son service public, nous refusent donc la réflexion.

Et la conclusion tombe comme un couperet loufoque, Eric serait antisémite. En fait, il s’adresse à des gens qui résolvent des questions compliquées avec des réponses simples : les fameux journalistes de télévision, un bel oxymore. On ne se comprend pas. Car les journalistes français ont besoin de Zemmour pour exister. Les poncifs réapparaissent, sur le thème désormais connu de tous, Zemmour est un raciste, Zemmour est xénophobe. Zemmour est un menteur. Cette mélodie mille fois entendue a rendu l’ensemble banal et sans intérêt.

Au lieu d’inviter le public au discernement, de chercher des informations par soi-même, on disqualifie d’emblée son discours comme étant le mal. C’est assez méprisant pour les Français. Est-ce à dire que la vérité est une, qu’il n’y a qu’une unique version de notre monde ? La réponse est évidente, et nous sommes heureux de vivre dans un pays où l’on peut s’empoigner sur tous les sujets. La France a besoin de la contradiction.

L’Homme est un, les différences sont plus superficielles que les similitudes. Ce sont ces similitudes qui nous permettent faire vivre cette différence. Mais on assiste ici à une position de mépris vis-à-vis de notre intelligence, de sa capacité à comprendre ce qui lui est présenté. Comme si le journaliste était seul en position de nous expliquer le monde. D’où vient ce besoin de calibrer l’esprit humain, de penser que les gens ne sont pas assez évolués pour distinguer le bien du mal ?

Zemmour ne représente que lui-même, car précisément, s’il pense les gens intelligents, ils n’embrasseront pas la totalité de son réservoir d’idées. On sélectionne avec prudence. Dans l’idéal, cette vertu ne doit pas se resserrer au point d’être exclusive ; elle se maintient dans une juste mesure et retourne à la généralité qui est l’essence de la modération. C’est cela l’intelligence, ne pas dire amen à tout, une sérénité exempte de soucis, et une liberté qui ne rencontre aucun obstacle.

Le caractère quasi-primal des réactions est sans doute assez significatif de ce qu’est devenu le débat public en France : une affaire de personnes, qui sont devenues les idées qu’elles portent. Évidemment, il exagère, mais sinon, il ne serait pas audible, ne serait pas invité, ne serait pas vilipendé en place publique. On se nourrit sur le dos de la bête, c’est pratique, on sait toujours où appuyer, et ça fait de l’audience.

Chacun son Zemmour : vers une guerre civile des idées

Z. s’adresse à la raison et à la réflexion, on lui répond forme et sentiment. On est dans l’irréconciliable.

Pour certains, Zemmour serait un frustré, quand il parle, il éructe. Cela expliquerait ses positions. Comme la météo, tout le monde a son avis sur Zemmour. Il est chosifié. On lui renvoie ce qu’il projette. En public, la douceur n’est pas son fort, qu’à cela ne tienne, on lui lancera les pires épithètes. Rappelons cependant que les personnes qui sont restées dans la modération ont été celle où le débat a été le plus intéressant, pour ne pas dire plaisant. On a ainsi pu observer Pap Diouf, d’une sagesse légendaire, face à un Zemmour cordial et avenant :

– « Vous vous trompez M. Zemmour.

– (souriant) Peut-être peut-être ! »

Zemmour accepterait-il donc la contradiction ? Serait-il sensible au monde réel ? Or ce côté, tout aussi fondé que la version déformée du petit écran, n’a pas le droit de cité, comme si l’on pensait que cela n’était qu’une réalité impalpable, séparée de l’homme.

Zemmour c’est l’harmonie, car en tant qu’élément d’un écosystème peuplé de gens impudiques dans leur déclarations, il se fait remarquer non seulement par une parfaite distinction mais surtout par un rapport étroit avec ses ennemis idéologiques. Ils se complètent. Naulleau l’a bien compris. Caron ne serait pas vraiment Caron sans Zemmour, Naulleau non plus. Retirez le Z de l’équation, et tout devient plus fade.

La France est devenue un pays en guerre civile idéologique, et le sieur du Figaro n’en est qu’un symptôme.

On pourrait prévenir les esprits faibles avant la diffusion d’une émission où il serait invité, à l’instar d’Amazon pour Tom et Jerry, infantiliser le peuple, souligner l’évidence, être dans la redondance vulgaire. Il faut avoir son avis sur l’homme, comme pour le mariage gay d’ailleurs, un avis tranché, un avis partagé avec sa faction respective : les progressistes sympas d’un côté, les tradi-réac de l’autre ? La France est devenue un pays en guerre civile idéologique, et le sieur du Figaro n’en est qu’un symptôme.

Reste que les journalistes, sont extrêmement réceptifs à son discours, qu’ils soient pour ou contre d’ailleurs. On est fasciné, quand il arrive sur un plateau, ça sent la poudre. L’hostilité quasi viscérale d’un pan entier de la profession à son égard est une réalité. Quand nous serons capables sur les plateaux télé de lui adresser la parole sans partir dans l’invective, la France aura fait un fabuleux pas en avant. Pour l’instant, on en est loin, il connaît même le luxe qu’on parle de sa propre personne alors qu’il est présent.

Il est un kiwi, amer, acide, mais plein de vitamines pour l’esprit. Il n’a pas raison sur tout, loin de là, mais nous fait réfléchir. Car les choses sont toujours plus complexes qu’elles n’y paraissent. Zemmour ne dit que cela. L’issue de ces combats de pacotilles est connue d’avance, dans ces arènes. Les partis pris sont connus. Mais les gens se définissent par rapport à lui dans un fouillis argumentatif. On peut lui reprocher sa mauvaise foi, mais il a le mérite d’être consistant. Zemmour répète toujours la même chose, et il en est conscient. Ce qui n’est pas toujours le cas de ses adversaires.

Le contenu de ce qu’il dit n’est pas vraiment imprimé dans l’esprit. On ne retient que la forme ou des significations auto-suggérées, qu’on aura soigneusement appliquées au personnage. Le contenu et la forme sont ici complètement isolés. On ne les fait pas discuter. Il y a une différence essentielle de nature qui se manifeste entre la teneur des idées et leur mode de représentation. Z. s’adresse à la raison et à la réflexion, on lui répond forme et sentiment. On est dans l’irréconciliable.

Ainsi le rapport à Z. ne peut plus constituer qu’une espèce de symbole. On est avec lui, mais on ne sait plus vraiment pourquoi. Eric Zemmour est devenu le Edwy Plenel de droite. Une gageure pour celui qui a toujours voulu se voir comme l’antithèse de la pensée prémâchée.


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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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