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Afin de dresser un bilan de la chronique hebdomadaire publiée sur le Nouveau Cénacle, le professeur Bérurier revient sur son année scolaire consignée en signes numériques et explique pourquoi il a lâché l’affaire

Écrire sur son métier est un exercice commun. Faire une chronique régulière du métier d’enseigner est une forme sans originalité depuis l’avènement d’Internet. A l’image du Nouveau Cénacle, l’angle de vue devait être différent. Ma pensée d’alors était la suivante : il faut rendre compte de la réalité de l’enseignement en zone d’éducation prioritaire sans les a priori qui y sont habituellement accolés.

Le professorat est une activité sur laquelle tout le monde pense avoir un mot à dire. Après tout, nous avons tous fréquenté des professeurs durant notre scolarité et tous, nous sommes certains de détenir la vérité quand il s’agit de définir ce qu’est un « bon prof » et un « mauvais prof ». L’enseignement se noie dans les mythologies ; c’est en partie ce qui explique le difficile recrutement constaté aujourd’hui. La violence, les religions outrancières, la laïcité à défendre, les avantages ou les inconvénients du multiculturalisme apparaissent régulièrement dans les journaux, dans la bouche de Monsieur et Madame Tout-le-monde ; ce sont les marronniers de la ZEP. Je dois d’abord tirer mon chapeau à mon ami Andrès Rib qui m’a aidé à lancer cette chronique et à Julien de Rubempré qui l’a publiée.

Cette chronique avait une difficulté à surmonter : il fallait rendre compte de la particularité d’un lieu, le ghetto de la ZEP, sans tomber dans les écueils habituels des différents journaleux qui tombent, à ma gauche, dans la compassion sociale — « pauvres jeunes abandonnés par la République » — et à ma droite, dans le rejet identitaire — « Sans les immigrés, ça marcherait mieux ». De plus, mes récits hebdomadaires paraissaient au moment où Vincent Peillon, alors en charge du ministère de la rue de Grenelle, lançait une réforme de l’éducation prioritaire. Depuis le bureau doré a vu deux nouvelles paires de fesses remplacer celle de l’initiateur de la « refondation de l’école ». Les professeurs eux, sont toujours là.

Triple ambition pour une écriture

L’idée première était simple : je voulais donner un panorama réel des rapports quotidiens entre les élèves et l’un de leurs professeurs. Il convenait donc de tout faire pour éviter la description biaisée d’un œil trop social — ces gamins sont de pauvres hères abandonnés par une horrible république — bref éviter d’écrire pour le geignard Edwy Plenel, ou d’un œil trop identitaire — tous les enfants qui posent problème sont tous des enfants d’immigrés qui arrivent d’ailleurs ou qui ne maîtrisent pas la langue. À la différence d’une grande majorité des journalistes qui écrivent sur ce sujet, je souhaitais donc éviter la facilité. En effet, jamais durant la trentaine d’épisodes du Journal d’un prof en ZEP, un élève n’a été appelé par son nom, ou par un nom d’une consonance proche car je voulais éviter toute interprétation liée à la sonorité plus ou moins exotique d’un patronyme. Personne n’a pu savoir par mes écrits où se situait l’établissement où j’enseignais alors, ni qui étaient mes collègues ou mes supérieurs. Un relatif anonymat qui a permis une objectivité, elle aussi, toute relative.

Cette chronique s’explique aussi par l’envie d’aider les parents d’élèves et tous les citoyens français qui ont toujours porté sur l’école républicaine un respect et une vision, à se faire une idée concrète de ce qu’il en est aujourd’hui de ce type d’établissements. L’intérêt de la parution régulière de ces textes résidait peut-être derrière la recherche de faits à décrire : que raconter quand il n’y a rien de croustillant ni aucun élément qui montrerait la dureté du métier ? Que raconter quand il n’y a que des joies et des réussites ? Suivre régulièrement la chronique quotidienne d’un métier, quel qu’il soit, permet de voir sa réalité et sa profondeur. Dans ces établissements dont on ne parle que quand tout se passe mal, les professeurs continuent de professer même quand les rares journalistes venus décrire les horreurs disparaissent dans leur course au sensationnel

Enfin, la troisième ambition de ce journal fut de permettre aux rares collègues qui m’ont lu de mettre à distance leurs pratiques pédagogiques et de réfléchir sur leur manière d’exercer leur métier à partir de mes récits. L’enseignement est un métier solitaire où l’on reste seul dans la salle de classe face aux élèves. Si mes erreurs pédagogiques et mes mauvais choix ont permis à quelques enseignants, et notamment les plus jeunes de s’interroger sur leur manière de faire le professeur, c’est que j’ai un peu réussi mon coup. Quelle prétention après tout. Je n’ai peut-être pas réussi, mais j’ai essayé.

Raconter. Arrêter d’écrire. Réécrire.

Ces textes ont tous été écrits le dimanche matin, temps propice à la réflexion et à la prise de recul sur les faits marquants de chaque semaine. Se libérer des jugements sur les élèves, sur les collègues, sur le fameux mammouth devint très vite une obligation ; la tentation d’écrire des textes à charges était trop grande. Écrire sur son métier permet d’en comprendre les failles, les richesses et les attentes. C’est peut-être le sens qu’a l’acte même d’écrire : se reculer pour regarder de biais, depuis un pont mobile d’où l’on verrait les éléments que l’on croyait stables se mouvoir et se rétrécir. Écrire c’est perdre le stable de l’immédiat.

Le métier de professeur connaît la répétition et la routine d’une année sur l’autre. Mais tous les jours devant une classe, le professeur se réinvente et tente toujours de trouver en lui la force pour attraper l’attention. Depuis peu, celle qu’on appelle la Génération Y — les jeunes nés dans les années 1980 et 1990 — remet en cause l’autorité des enseignants. Savoir ne suffit plus. La crise de l’enseignement aujourd’hui n’est pas simplement une crise de recrutement. C’est l’essence du métier qui devrait changer. Seule, une politique ferme et décidée permettra de remettre à plat ce que doit être la transmission pédagogique du 21ème siècle. J’ai souhaité arrêter la rédaction de cette chronique car il s’agissait d’éviter de raconter durant deux ans la même chose, les mêmes types d’élèves, les mêmes types d’incidents, les mêmes types de dégouts. Ce que je voulais dire, il me semble l’avoir dit en une année scolaire.

Avec le temps m’est venue une idée. Point en moi l’envie de retravailler les différents épisodes du Journal d’un prof en ZEP. Il convient en effet de les unifier pour en faire un récit plus riche, plus cohérent. Il me paraît utile d’essayer avec une énorme prétention d’insérer entre les épisodes, de petits textes, comme des retours à la ligne de l’expérience vécue. Mises bout à bout et reliées aux récits de mes semaines scolaires, ces adjonctions deviendraient ce qui manque le plus aux jeunes collègues de France et de Navarre, tous parachutés sans le vouloir dans ces établissements-là : un recueil de conseils réels, concrets, pour enseigner et s’occuper d’un groupe d’élèves. Comme moi, certains professeurs n’ont jamais enseigné avant de commencer, ne se sont jamais retrouvés seuls devant un groupe d’adolescents. Indignité d’un pays qui se veut celui des droits de l’homme. Les choses ont un peu changé paraît-il. Lorsque j’ai commencé mon métier, la formation avait disparu. Le Président de la République de l’époque pensait que l’enseignement était un « bon sens » inné. Certains enseignants ont refusé de devenir des « tuteurs » pour aider les jeunes débutants que nous étions, dans le but de manifester leur désaccord face à une réforme qu’ils jugeaient mal faite. Cette attitude lâche n’est pas digne d’un fonctionnaire qui doit servir l’état et qui se trouve soumis au devoir de réserve. Elle n’est pas digne non plus d’un être humain éclairé, car elle a laissé de nombreux jeunes débutants dans des situations d’atroces difficultés telles que personne ne pourrait les imaginer et que personne ne les accepterait pour commencer une carrière.

Écrire sur le métier et tenter de faire penser à partir de mon récit d’expériences permet au moins en théorie d’aider les nouveaux qui tomberont là-dessus. Que ces propos leurs servent d’exemples ou de contre-exemples.

Aujourd’hui un élève qui ne fait pas partie de mes classes est entré dans ma salle et m’a lancé, quand je lui demandais de partir « Mais casse-toi sale pédé, avec tes yeux bleus ». Il paraît que c’est un beau métier. Tout aussi beau qu’un poste à la BAC de Marseille Nord.

    Christophe Bérurier

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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