Chronique désabusée d’un amoureux de la troisième déclinaison et des listes de définitions du Gaffiot, pour qui les langues anciennes ne sont pas un calvaire mais un moyen de s’enrichir et de devenir un être libre.
Vous avez le droit de faire “littérature ancienne”, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1 000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes.
C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy répondait, le 15 avril 2007, à un journaliste qui l’interrogeait sur le financement des études de lettres classiques. Le latin et le grec ne servent à rien. Xénophon a certes écrit un traité dans lequel il donne des conseils aux maîtres des domaines afin de gérer leurs terres et leur personnel en toute sérénité. Or quel ingénieur agronome aurait l’idée farfelue d’aller glaner quelques conseils dans les pages jaunies d’un vieux Xénophon ? Au feu, Xénophon ! Ouvrons Pline l’Ancien. Ce brave homme, dans son Histoire naturelle, nous initie à la médecine. Et, ô miracle, voilà que l’on apprend que les oignons peuvent nous guérir de différentes maladies de peau. Or quel pharmacien irait concocter quelques remèdes pliniens ? Au feu, Pline l’Ancien ! Inutile de multiplier les exemples. Les auteurs antiques sont d’une remarquable inutilité économique. Ils ne nous servent effectivement pas. Encore faut-il que nous nous mettions d’accord sur le sens du mot « servir ». Nos élites politiques et autres têtes pensantes, noyées sous les chiffres mensuellement accablants du ministère de l’Economie et des Finances, ont oublié que le temps politique et économique est un temps très long qui ne souffre ni l’immédiateté, ni la précipitation. Or la rentabilité économique à court terme leur a fait perdre la tête et mille soleils les éblouissent, leur faisant passer des Mirage pour des Rafale.
Le latin, c’est ton destin
Un jour, dans une classe, un petit lutin de 5e se dirigea vers son professeur de latin, la mine renfrognée et l’air bravache : « Monsieur, je veux arrêter le latin. ». Le professeur de lettres anciennes, dépoussiérant son cahier de notes – car c’est connu, les professeurs de latin ont de vieilles affaires et de vieux livres – se contenta de lui répondre en souriant : « Certes, mais pourquoi ? ». Et l’élève de répondre : « Monsieur, voilà un mois que j’ai commencé le latin. J’ai choisi cette matière parce que mes parents m’ont dit que ça allait m’aider en français. Eh bien, voilà un mois que je fais du latin et mes notes en français sont en train de chuter ». Ce petit homme venait de découvrir l’inutilité du latin.
« Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ? ».
Pourquoi alors continuer à étudier le latin puisque cela ne « sert » à rien ? Remy de Gourmont, il y a plus d’un siècle, en 1910, posait déjà la question dans Le Mercure de France. Et voici la réponse qu’il apportait : « Sans la connaissance du latin, nous nous trouvons devant notre propre langue comme devant un vitrail sans lumière ; le latin lui donne sa transparence, ses couleurs et ses valeurs. C’est l’introduction nécessaire à toute psychologie un peu générale. Mais on ne s’occupe pas de cela dans les lycées. » Oui, on ne s’occupe plus de cela dans les lycées. Peu importe le développement de l’esprit, seul aujourd’hui compte le développement économique. Place aux sciences dures et aux sciences formelles. Pourtant l’étude des humanités seule pourrait permettre au citoyen de s’élever de la minorité où il végète à la majorité, pour reprendre les termes du philosophe Emmanuel Kant. Car, c’est tout l’enjeu de l’étude des humanités : permettre à l’homme de prendre en main son destin. Or il est évident qu’il est préférable, pour nos élites – dont je parlais précédemment – de diriger un peuple d’êtres végétatifs. Mais ce passage de la minorité à la majorité ne peut se faire sans effort de notre part. Nous devons engager pleinement notre volonté dans cette lente ascension vers le pouvoir. Il faut avoir le courage de vouloir savoir. Sapere aude. « Ose savoir ». C’est par ces deux termes latins que Kant concluait son discours. Il faut inscrire ces deux mots aux frontons de nos écoles. La soif d’apprendre et le courage de savoir, voilà ce que nos étudiants doivent avoir en tête lorsqu’ils se lancent dans l’étude des Humanités. Voilà ce qui leur permettra de devenir des citoyens pleinement conscients de leurs choix et capables d’opposer une résistance à toute forme d’oppression capable de déclamer à la manière de Cicéron : « Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ? ».