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Les années 2000 furent celles de l’avènement d’Internet, les années 2010 celles de l’affirmation des réseaux sociaux comme force de communication intra-planétaire. Mais selon Julien de Rubempré, Twitter, Facebook & co ne sont que les bras armés du développement capitaliste. 

Nul mieux que Marx n’a su analyser ni prédire les bienfaits comme les drames produits par le capitalisme. Il ne fut d’ailleurs pas à proprement parler un « anti-capitaliste », car le communisme et la dictature du prolétariat ne devaient advenir qu’à l’issue de la libération des forces productives et des capitaux afin que la redistribution puisse être effective et la plus juste possible. De surcroît, il voyait dans la « mondialisation » le meilleur moyen de mettre les peuples de la terre entière mis en relation à travers le « commerce ».

Internet est en cela le parfait symbole de la communication mondialisée et du partage international et les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Pinterest …) ne sont que les produits de cette avancée majeure dans l’histoire de l’humanité. 

Le hashtag, novlangue du Capital ?

Tout mode d’expression implique nécessairement une refondation des outils de communication. Avec sa plume et son encrier, Racine écrivait différemment d’Hemingway  avec sa Reimington ou de Bret Easton Elis avec son Macbook Air. Il en va de même avec la communication 2.0 et les 140 signes autorisés par Twitter. 

Tout n’est plus qu’immédiateté, la communication digitale obéit davantage à une impulsion qu’à une réflexion : le sujet raisonnant se voit contraint dans l’espace (des 140 signes) et dans le temps (l’instantanéité du fait-objet du post) pour délivrer son avis sur la toile.  Cela est évidemment à mettre en rapport avec la culture « zapping » qui nous berce depuis vingt ans mais aussi avec l’esprit productiviste des réseaux sociaux qui exigent une quantité infinie de publications pour exister ; ainsi, donner son avis sur la finale de Danse avec les stars sur Facebook ou bien réagir à Touche pas à mon poste sur Twitter revient à accomplir un acte purement tayloriste, dicté par l’émotion et l’urgence. Aussitôt publié, aussitôt oublié. La culture capitaliste 2.0 ne garde rien en mémoire, elle s’alimente de signes qui ne signifient rien pour effacer la notion de temps long de nos raisons.

Sous les touches de notre clavier, le MEDEF.

Le hashtag devient par conséquent l’emblème de cette expression web-capitaliste. Sur Facebook ou Twitter, le hashtag ne sert en fin de compte qu’à raccourcir un message pour résumer sa pensée (le lieu où l’on se trouve, le film que l’on voit, la personne qui est le sujet de notre post) ; l’auteur du statut ou du tweet – toujours condamné à réagir plutôt qu’à réfléchir – emprunte par conséquent un thème prédéfini pour interagir. A travers ce système de pensée emboîtée, le hashtag est l’incarnation parfaite de l’écriture capitaliste : efficace, concise, périssable. L’écriture 2.0 ne requiert plus l’utilisation d’articles définis ou indéfinis : elle minimalise notre langage pour maximiser la volumétrie des réactions sur un thème. Sous les touches de notre clavier, le MEDEF.

Le selfie comme vecteur de l’esprit capitaliste

La diffusion de nos avis comme de nos photos renvoie tant à notre narcissisme qu’au changement d’appréhension d’autrui. L’autre n’est plus celui que je croise dans la rue et qui me réifie avec son regard mais celui que je connais peut-être à peine et qui scrute les parcelles de ma vie privée que je diffuse sur la toile. Internaute productiviste, je deviens consommateur du temps libre des autres comme je me laisse consommer par eux.  La création de mon image numérique obéit à une recherche d’ipséité permanente : je jette mon être dans le néant pour voir quelle image celui-ci me renvoie. « Je est un autre », écrivait Rimbaud : l’inverse se produit en 2014. L’autre est un « Je ». Je le suis car il me ressemble, je l’ajoute car il est comme moi et il est donc susceptible de me liker.  

Le Narcisse moderne cherche du like et du RT comme les courtisans d’antan étaient à la quête de renommée à la Cour.

Comme Christopher Lasch l’analyse dans La Culture du narcissisme : « Malgré ses illusions sporadiques d’omnipotence, Narcisse a besoin des autres pour s’estimer lui-même ; il ne peut vivre sans un public qui l’admire (…) Son émancipation apparente des liens familiaux (…) ne lui apporte pas pour autant, la liberté d’être autonome et de se complaire dans son individualité. Elle contribue, au contraire, à l’insécurité qu’il ne peut maîtriser qu’en voyant son moi grandiose reflété dans l’attention que lui porte autrui ». Le Narcisse moderne cherche du like et du RT comme les courtisans d’antan étaient à la quête de renommée à la Cour. 

Au final, plus que Twitter et Facebook réunis, le selfie et dorénavant Bitstrip constituent les apogées de la communication conçus comme vecteur du capitalisme narcissique. Bitstrip propose de publier des bandes dessinées avec notre propre avatar pour mettre en scène certaines situations : l’insignifiance de certains quotidiens est donc devenue une information propre à diffuser pour qu’autrui nous perçoive et nous consomme visuellement comme acteur particulier de notre existence. 

Dans L’Homme sans qualités, Robert Musil décrivait l’homme démocratique du XXème siècle : semblable aux autres, égal à chacun et incapable d’affirmer son individualité propre. Le sujet du XXI ème siècle est déjà différent : connecté au monde entier, il invente sa propre langue et s’affirme comme idiot utile du capitalisme mondial mais il ne diffère pas du héros musilien : il cherche à être unique, comme les autres.

Le productivisme 2.0 est un leurre pour les Narcisse.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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