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Ce vendredi 19 avril, la Mairie de Paris organise un « Jour de tweets à Paris » afin de faire partager les impressions des Parisiens sur le réseau social. Des « crieurs » déclameront ensuite les micro-messages aux passants. Décryptage.

Avant la Fête de la musique et son cortège de joueurs de banjo, avant Paris Plage et son lot de CSP + prenant le soleil sur les quais, nous aurons désormais le droit à une printanière Journée du tweet à Paris. S’inspirant du roman de Georges Pérec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, chacun est donc invité à partager une description d’un lieu où il se trouve en 140 signes pour, peut-être, avoir la chance d’être déclamé sur une place publique par un « crieur » voire être lu par David Foenkinos ou Oxmo Puccino à la radio.

A l’heure où les loyers de la capitale ne cessent d’augmenter, où les libraires ferment les uns après les autres pour céder leur place à des marchands de tour Eiffel miniatures, où les tours ne cessent de s’élever et d’enlaidir le paysage chaque jour un peu plus, où les derniers rejetons de la classe moyenne sont rejetés dans le périurbain, où les Champs Elysées deviennent une cage de free fight la nuit tombée, la Mairie de Paris a donc décidé de persister dans sa dictature de la Joie afin de faire oublier ce que la Ville Lumière est devenue. Les sourires imposés sur les guidons des Vélib’ n’y peuvent rien.

Hidalgo et NKM vous envoient des pokes

Paris ne fait plus la révolution, Paris ne dicte plus rien, mais Paris organise des évènements rassembleurs. Cette journée du tweet est par conséquent un double symbole : elle renvoie tant à l’individualisme croissant en milieu urbain qu’au modernisme suranné des édiles de la Rive gauche.  Les gens ne veulent plus se parler alors, dans un élan compassionnel, le service Culture de la municipalité a souhaité faire en sorte que les Parisiens interagissent au moins une fois dans l’année. Même si personne, évidemment, n’a mérité d’être lu par David Foenkinos, ce Marc Lévy à lunettes, ou par Oxmo Puccino, ce Verlaine de 3e technologique.

Aucun changement n’est hélas à prévoir. Les deux favorites qui vont se disputer la mairie en 2014, Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet, sont deux figures comparables de la bourgeoisie féministe et Autolibérale, deux madones de la liste du Progrès. Cette journée du tweet est donc un présage : les charges ne baisseront pas, mais il y aura encore des Nuits blanches et des pistes cyclables. Le prolétaire ronchon, qui ne dispose même pas d’un compte Twitter ni d’abonnement à Libération, est de son côté invité à emprunter son RER et à rentrer dans sa morne banlieue. Paris n’est pas un parc d’attractions pour lui, c’est son lieu de travail, en attendant la délocalisation du site. Le vélo gratuit, le festival musical, le crieur de tweets place Saint-Sulpice : cela le dépasse trop.

Gavroche, des balles aux tweets

Comble de l’amusement : « Des comédiens, habillés en gavroches des temps modernes, perchés sur de petites caisses en bois et munis d’une tablette numérique, déclameront toute la journée les plus beaux tweets de Parisiens, célèbres ou inconnus ». Cette précision navigue entre la naïveté et le cynisme. Naïveté car l’on pressent que la stagiaire en charge de la rédaction du communiqué de presse n’a pas lu une ligne des Misérables. Cynisme parce que les idéologues postmodernes aiment célébrer ce qu’ils ont tué.

Les tweets sont criés, mais la colère est ravalée. Le bruit numérique face au silence de la foule. Gavroche, l’enfant révolutionnaire, devient deux siècles plus tard un triple redoublant du cours Florent lisant des messages à haute voix, un iPad à la main. Une marionnette dont Jack Lang, Delanoë, Hidalgo et NKM tiennent les fils. Bref, la monarchie aura tué cet enfant deux fois…

Ils ont même poussé le vice jusqu’à prévoir des festivités place de la Bastille, là où Gavroche se réfugiait. D’autres sont programmées aux Halles, où les Quick et les Foot Lockers ont supplanté l’ancien ventre de Paris.

Les puissants ne tirent plus sur le peuple, ils jouent avec. Des balles aux tweets, ce lancinant mépris ricoche, il égratigne la sépulture d’Hugo et de Zola. Chaque tweet « crié » résonne comme  un coup de fusil sur la dépouille de Paris la révoltée, qui eut le tort de n’être plus assez moderne pour ses touristes.

Julien de Rubempré

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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