Dix millions de livres, soit environ onze millions sept cent mille euros. C’est le coût des funérailles de l’ex-Premier ministre britannique. Même morte, « Miss Maggie », celle que notre Renaud national voulait s’offrir comme « réverbère quotidien », continue de susciter la controverse.
La reine d’Angleterre et le prince consort figuraient parmi les deux mille trois cents invités, naturellement triés sur le volet. Également présents dans la cathédrale Saint-Paul, l’actuel locataire du 10, Downing Street David Cameron ou encore Tony Blair, l’un des rares à soutenir la comparaison avec la défunte en termes de longévité. Cette dernière aura donc eu droit à des obsèques « à la Churchill », tout en étant très loin de déclencher la même unanimité que lui auprès de ses concitoyens.
Il reste que Margaret Thatcher non plus ne laissait personne indifférent. Véritable alter ego féminin de Ronald Reagan, avec lequel les relations étaient politiquement idylliques, infatigable partisane d’un libéralisme « pur » et « brut », elle n’était pas femme à concéder et encore moins à faire acte de contrition. La junte militaire argentine en sait quelque chose, elle qui s’est inclinée devant le déploiement de moyens militaires considérables pour défendre l’honneur de la patrie mis en mal du côté des Malouines. Les mineurs et les syndicats aussi, contraints de céder après un combat d’un an au cours duquel le pouvoir en place, incarné par une « Dame de fer » qui n’avait peut-être jamais aussi bien porté son surnom (donné par le journal soviétique L’étoile rouge dès 1976) a fait montre d’une inflexibilité que d’aucuns seraient fondés à croire révolue. Avec elle, pas de doute : ce n’était pas la rue qui gouvernait.
Devenue légendaire, la fermeté de Margaret Thatcher a aussi coûté la vie à dix grévistes de la faim en 1981, soit deux ans après son arrivée au pouvoir. Parmi eux, Bobby Sands, décédé à vingt-sept ans et devenu une icône post mortem. Un héros, un martyr auprès des républicains irlandais, et pas seulement parmi les sympathisants de l’IRA…
Thatcher : Victime de sa propre intransigeance
Il serait toutefois inapproprié de résumer « Maggie » à ce seul trait de caractère, quand bien même il est l’alpha et l’oméga de son oeuvre politique. Fille d’épicier, chimiste puis avocate de profession, sa trajectoire est celle d’une autodidacte ambitieuse née pour gouverner. Anticommuniste viscérale, pur produit de ce capitalisme si chahuté de nos jours, elle a entrepris des réformes détonantes dans un pays, sinon exsangue, en tout cas moribond et contraint de demander un prêt important au FMI comme un vulgaire État du Tiers-monde.
Révolutionnaire conservatrice, elle a remis sur pied, en tout cas économiquement, une Grande-Bretagne pour le moins claudicante dans les années 1970, à grands coups de privatisations et de baisses des impôts directs. Margaret Thatcher s’est aussi employée à réduire l’inflation et le déficit public. Chaque médaille ayant son revers, il faut bien reconnaître que son règne a entraîné un creusement des inégalités difficilement discutable et achevé de détruire l’industrie britannique.
Eurosceptique, elle a par ailleurs entretenu des rapports souvent tumultueux avec certains partenaires du Vieux Continent, dont la France. Les Britanniques peuvent néanmoins lui savoir gré d’avoir mis un point d’honneur à ne pas payer davantage que ce que l’Albion percevait de l’Europe. Ainsi ce qui s’appelait encore la CEE n’aura-t-elle pas réussi à « pigeonner » Londres.
Une autre grande victoire pour « Maggie » l’intraitable, qui a miraculeusement réchappé à un attentat à Brighton en 1984. (Trop ?) Sûre de ses convictions comme de sa force, il lui en aurait fallu plus pour changer de braquet, comprenez assouplir ses positions. En 1990, l’instauration de la poll tax, qui ciblait les foyers et non les personnes, ce sans distinction de revenu ou de capital, étant de fait d’autant plus lourde pour les foyers les plus modestes, a été la réforme de trop (NDLR : Elle a du reste été supprimée trois ans plus tard par John Major). L’opposition fut telle que Margaret Thatcher, finalement victime de sa propre intransigeance, dû se résoudre à rendre son tablier.
Décédée la semaine dernière à l’âge de quatre-vingt sept ans, Margaret Thatcher, brillamment incarnée à l’écran en 2011 par Meryl Streep, a eu une existence intense, avançant tel un bulldozer ayant écrasé (presque) tous ceux, forcément méprisables, qui avaient l’outrecuidance de s’opposer à ses vues. Pas de quoi faire consensus, mais de quoi, vu sa position, marquer à jamais l’histoire d’un pays. Et pas n’importe lequel.