Partagez sur "Blanquer et la nouvelle querelle des Anciens et des Modernes"
Les programmes de français du lycée version J Blanquer sont connus depuis janvier. Comme toujours, pas de choix d’oeuvres dans le programme officiel. Pourtant, la polémique enfle déjà.
Le 22 janvier 2019 a paru au Journal Officiel le texte décrivant les programmes du nouveau lycée voulu par l’actuel locataire de la rue de Grenelle. Première surprise, le programme de français pour l’année de seconde est divisé en deux parties. La seconde partie concerne les thèmes littéraires à étudier. Pas de grand changement de ce côté-là. Certains thèmes disparaissent, d’autres reviennent, c’est la règle des réformes de l’enseignement secondaire. La surprise se cache du côté de la première partie. C’est maintenant officiel, les professeurs de lycée vont devoir faire « étudier la langue » à leurs élèves de seconde. Concrètement c’est la reconnaissance d’un fait bien connu des enseignants de collège et de lycée : les élèves qui réussissent à intégrer le lycée général ne maitrisent plus, pour une majeure partie d’entre eux, la grammaire, la conjugaison et l’orthographe du français. Ainsi les élèves de seconde vont continuer à manger un peu de leçon de grammaire, à l’ancienne. La réforme du collège voulue par madame Vallaud-Belkacem en 2016 reconnaissait le besoin pour les professeurs de 6ème de parfaire la maîtrise de l’écriture et le renforcement du geste grapho-moteur. Même constat en seconde ; la grammaire, l’orthographe, ne sont plus maîtrisées par la totalité des élèves (surtout dans certaines régions où l’immigration extra-européenne est massive). Évidemment au temps du certificat d’études, nos grands-parents maîtrisaient tout cela et bien plus encore à l’âge de douze ans à peine. Mais combien d’élèves y avait-il en France à cette époque et combien y en a-t-il aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas de critiquer la poursuite de l’étude de la langue au lycée, mais bien de prendre conscience des besoins réels de nos élèves, ou de nos enfants.
Pourquoi ces leçons de grammaire pourront être davantage utiles en lycée qu’au collège (où elles sont déjà répétées tous les ans) ? Sans doute car, au lycée, les élèves motivés par leur scolarité sont enfin débarrassés des élèves qu’ils tiraient comme des boulets durant quatre ans de collège unique où tout le monde fait semblant de laisser de la place à tous. Si le niveau a à ce point baissé depuis des années comme le montre les différentes études internationales, c’est d’abord parce que l’institution refuse d’interroger l’intérêt du collège unique. Les élèves orientés dans vers les métiers manuels en fin de troisième sont souvent déjà repérés par les professeurs dès la classe de cinquième. Peut-être est-il temps de laisser leur chance aux élèves qui fonctionnent dans le système scolaire classique ? Peut-être faudrait-il accepter de mettre un peu d’argent dans des formules alternatives pour les élèves qui refusent de tirer quoi que ce soit d’une scolarité classique ?
Oeuvres au programme : la querelle des Anciens et des Modernes
Voilà comment nous pourrions définir les deux orientations récentes. NVB et son collège à EPI, à transdisciplinarité, dans le rôle des « Modernes ». Blanquer et ses chorales, son ciné-club, ses oeuvres classiques dans celui des « Anciens ». Nous revenons à un programme de littérature en classe de Première beaucoup plus classique, traditionnel, voire pour certains, complètement réactionnaire. Voici les oeuvres dont nous entendons parler : Les Contemplations de Victor Hugo, Alcools de G. Apollinaire, Les Fleurs du Mal de C. Baudelaire, Montaigne, La Fontaine, Montesquieu, Stendhal, Madame de Lafayette, Marguerite Yourcenar, Racine ou encore Beaumarchais. Rien n’est moins sûr évidemment. D’autant que les programmes stipulent officiellement le choix laissé au professeur. Peut-être ces oeuvres seront-elles mentionnées dans de futurs documents d’accompagnement. Nous verrons cela.
Il est bon de s’interroger sur ce qui ferait de ces choix d’oeuvres des choix réactionnaires. On reproche à ce programme d’être classique, de considérer la littérature comme une série de monuments et non comme un art vivant, en train de se faire. Certes. Le professeur moyen souhaite que l’école permette de réduire les inégalités sociales en les gommant par le savoir, par la culture. Le collège permet aux enseignants de multiplier les projets, de travailler sans aucune contrainte sur la littérature contemporaine, sur la littérature de jeunesse. Pour asseoir un savoir académique qui sera attendu au cours des études supérieures, il est nécessaire de maîtriser à la fois la culture facile, accessible, celle du monde actuel et la culture dite « savante », celle des classes bourgeoises. Toutes les écoles supérieures, tous les concours fonctionnent sur un attendu de base : la maîtrise de la culture classique, celles des savoirs fondamentaux, celles qui fait socle au sein d’un pays ou à l’échelle d’un continent. Une fois au lycée, il est temps pour les élèves de se frotter véritablement aux grandes oeuvres de notre patrimoine. Et puisque de plus en plus d’élèves entrent au lycée, nous ne pouvons que nous réjouir de cette diffusion plus large de ces oeuvres. Là où il y a à peine dix ans on pouvait arriver en faculté de Lettres sans avoir jamais lu ni Zola, ni Racine, ni Victor Hugo (ce fut le cas de l’auteur de ces lignes), ce ne sera sans doute plus le cas grâce à ces programmes. Bien sûr, la volonté d’économies est reine. Bien sûr Blanquer cherche d’abord a faire sa réforme. Mais dans l’ère instable, inquiète et mouvante qui est la notre, qu’il est bon que la jeunesse, l’adolescence puisse découvrir l’air de rien, des textes comme ceux de Baudelaire, d’Apollinaire, de Stendhal ou de Yourcenar, où le sale, le vivant, l’immoralité sont en permanence interrogés ! Décrire ces directions littéraires comme « réactionnaires » c’est faire bien peu de cas de la littérature.
L’enseignant exerce, avec la prostituée, une des plus vieilles fonctions du monde. Il se doit de s’attacher à la permanence et non au transitoire.