Partagez sur "Zoo Project : L’étrange mort d’un jeune prodige du street art français"
Zoo Project de son vrai nom Bilal Berreni vient de nous quitter de manière tragique il y a plusieurs mois déjà à Détroit (Etats-Unis). Le plus surprenant c’est que son corps n’a été identifié que tout récemment.
Que faisait donc ce jeune Français de 23 ans dans cette ville américaine ?
L’enquête est en cours et la piste de l’assassinat est privilégiée d’autant que le corps de Bilal a été retrouvé atteint d’une balle dans la tête.
Artiste engagé, il s’est fait remarquer notamment par ses œuvres lors de la révolution tunisienne.
Le monde Magazine avait consacré en juin 2011 un reportage sur ses dessins représentant « les visages de la révolution ».
Pour expliquer sa présence aux Etats Unis, son père Mourad pense qu’elle correspond à ses engagements et convictions personnelles.
« Il était intéressé par ce qui pourrait naître du chaos. Pour lui, ce pays représentait la faillite du capitalisme. »
C’est pourquoi il a privilégié les lieux les plus sordides des Etats-Unis (De Broklyn à Détroit) et a vécu comme un SDF, squattant les parcs et les endroits les moins hospitaliers. Il a même connu pendant quelque temps les cellules d’une prison de l’Ohio.
Bilal a toujours été un être authentique, fidèle à ses convictions humanitaires et donc totalement engagé du côté des peuples opprimés.
Alors qu’à 20 ans, il vivait déjà de son art à Paris, il n’hésita pas à mettre entre parenthèses un parcours artistique prometteur pour quitter brutalement en mars 2011 la capitale et rejoindre la Tunisie alors en pleine révolution.
Sur son site (www.zoo-project.com ), il explique sa démarche :
« La révolution tunisienne était un événement unique, porteur d’un grand espoir. Il me fallait venir sur place pour témoigner, agir à ma manière. Je souhaitais apporter ma modeste contribution au peuple insurgé. »
Sur place il va s’immerger dans les milieux en lutte et entamer ensuite une série de personnages détourés grandeur nature sur carton. Ce sont les centaines de morts de l’insurrection partie de Sidi Bouzid.
Il explique pourquoi les morts de la révolution devaient être le sujet de ses créations :
« A mes yeux, ces figures ne sont pas des images mortes, des fantômes célébrés post-mortem. Ils n’appartiennent pas à un passé fantasmé, regretté. Ce sont des figures du présent, des compagnons de lutte. Je cherche à ma mesure, à rappeler la portée de la disparition de ces gens ordinaires. »
A la fin de son séjour maghrébin, il décide de rejoindre l’un des nombreux camps de réfugiés à la frontière avec la Lybie. Dans le camp de Choucha, il va peindre sur tissu des centaines d’étendards à l’usage des déplacés.
« Circulant de tente en tente, j’ai passé un mois à dessiner des portraits des habitants du lieu, ceux que l’on appelle des « réfugiés ». Eux s’en réjouissaient, m’encourageaient. Au début, j’ai eu du mal à comprendre cet engouement pour ma démarche. Des centaines de demandes de portraits affluaient chaque jour, je m’en suis étonné.
Puis, j’ai compris, beaucoup me l’ont confié : se faire dessiner permet de retrouver une certaine dignité. Le dessin exige une attention particulière. Pour celui qui dessine comme pour celui qui est dessiné.
Je pris conscience les amitiés se resserrant, que le véritable sujet sensible, le fond du problème a fini par émerger. La détresse de ceux qui ne sont plus considérés et traités comme des humains, parqués dans des non-lieux. Pas de territoires, pas de visages. » (site précité)
Il retourne ensuite à Paris avant son ultime voyage aux USA.
C’est à Paris, dans le XX ° arrondissement, qu’il s’est fait connaître – avec ses œuvres en noir et blanc.
En fait ce choix bicolore, résulte d’une nécessité. Comme le raconte son père, Bilal est « légèrement » daltonien. Il dessine donc des animaux aux corps d’hommes avec comme ligne directrice, toujours la critique de la société moderne. D’où son nom d’artiste de Zoo Project.
Bilal adorait Ernest Pignon-Ernest mais aussi les peintres plus traditionnels comme Gustave Courbet ou Ingres.
Au Monde Magazine déjà cité, il parlait longuement de la solitude :
« Zoo Project est parti des pigeons. Ils sont là, tout le monde les rejette. Un peu comme pour moi qui peignais sur les murs. On me disait « Va peindre ailleurs ! » C’est une dure leçon : quand tu fais vraiment ce que tu veux, tu restes seul. A chaque fois que je reviens à Paris, je sens ce vide. »
A Paris, dans le XX° notamment, ses œuvres sont très visibles : œuvres gigantesques en noir et blanc réalisées au rouleau de peinture. Celles-ci détonent par rapport au travail des autres graffeurs.
Un univers onirique, proche des surréalistes avec des personnages transformés en objet…des hommes à tête d’animaux qui racontent l’absurdité de la vie telle que ce jeune artiste la percevait.
Oui son art est particulier dans la mesure où il s’adresse à tous avec un langage nouveau, personnel, unique : une sorte de « marque reconnaissable ».
Zoo Project concilie un art figuratif avec des images bien identifiées et un art conceptuel voire un art minimal.
En renouant avec la tradition, il réussit à entrer en relation avec l’art actuel par l’idée et l’observation de ses effets. Car chez lui la forme est aussi et avant tout une idée.
Comme son illustre prédécesseur Keith Haring, ce jeune prodige réussit donc à concilier les tendances picturales apparemment irréconciliables : entre un certain réalisme et l’abstraction fondée sur l’analyse linguistique et l’idée comme le soulignait Sol LeWitt pour qui l’idée était devenue la machine de l’art !
Ainsi l’art populaire de ce jeune artiste résulte de la symbiose des différents éléments apparemment contradictoires. L’immédiateté du signe et le recours à des figures reconnaissables ajoutées à une connotation narrative (voir son travail en Tunisie).
Autre caractéristique remarquable dans son art narratif : le cauchemar kafkaïen imprime toujours fortement son discours.
Dans ce contexte, les représentations mi humaines, mi animales apparaissent comme des monstres peuplant son univers : l’artiste passe de la dimension cosmologique à la dimension humaine.
Dans une vidéo où il réalise une fresque murale dans les Cévennes, Zoo Project dessine un bestiaire afin d’illustrer « la chaîne de l’évolution ».
Ce faisant il nous fait découvrir le mouvement et notre propre mutation, concrétisant ce qu’affirmait toujours le même K.Haring « Tout change, tout est toujours différent (…) nous changeons sans cesse. »
Curieusement cela rejoint aussi le sentiment exprimé de manière lapidaire et extrême par un autre jeune prodige, un certain Rimbaud qui déclarait : « Je est un autre ».
Au final tout le discours du jeune Bilal rejoint aussi celui des promoteurs de l’art contemporain pour qui « L’art est pour tous » (M.Duchamp).
C’est pourquoi lui, Zoo Project, n’a pas cédé aux sirènes du Street Art institutionnel.
Voici ce qu’il déclara en janvier 2011 dans Article 11 dans un entretien avec Lemi (http://philum.info/47911)
« C’est vrai que les gens commencent à parler de moi, à me proposer des expos. Beaucoup s’imaginent que je vais suivre la voie toute-tracée du street-artiste : tu peins énormément dans la rue pendant un an, puis tu exposes et tu dis adieu à la rue pour toujours. C’est la meilleure manière de perdre toute liberté et créativité. […] Quand tu bosses dans la rue, l’important est d’exposer ta révolte aux yeux de tous, de ne pas la garder pour toi ou un petit cercle. Pour être intéressant, il faut rester sauvage, irrécupérable.Voilà pourquoi je refuse les projets légaux. C’est d’abord une démarche politique, avec ce rêve de contribuer à réveiller une population endormie. Ça peut paraître présomptueux, mais je sais que ma position ne variera pas : les milieux arty me débectent vraiment trop… »
Hélas la suite de sa courte existence ne l’a pas démenti.
Christian Schmitt
NB : Sur le site www.cestassezbiendetrefou.com , les amis de Bilal Berreni ont fait part de leur tristesse et indiquent que les messages de soutien à la famille qui leur seront envoyés seront transmis.