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 Ces derniers temps les superhéros sont partout, Captain America sur les écrans, la deuxième mouture de l’homme-araignée nouvelle formule, plusieurs expositions à Paris (Alex Ross au Mona Bismarck et le nouveau musée « Art Ludique »), Russell Crowe sous les traits d’un Noé homérique : nous voici habillés pour l’été. Mais la tendance est ancienne, et a permis à l’industrie du cinéma d’engranger des millions et aux galeries de capitaliser sur ces succès. On mange du superhéro à toutes les sauces. Quels sont les enjeux de cette renaissance culturelle et médiatique du « comics » en France et plus largement en Europe, les comics sont-ils (re)devenus tendance ?

Il faut bien voir que pendant longtemps en France, cet élément a été moqué, méprisé, relégué au ban de la culture, vu comme un ersatz enfantin de l’Amérique. Aujourd’hui, il semblerait qu’on ait fait table rase du passé, et on se retrouve dans l’excès inverse. On observe ainsi surgir des articles, et autres tentatives d’analyse de ce phénomène. On n’aurait jamais imaginé cela il y a 40 ans, lorsque les éditions Artima publiaient les premiers comics dans un silence assourdissant. En France, le comic-book n’est pas vraiment à la fête, devant la concurrence de la production locale (Titeuf, Lanfeust) et japonaise (les fameux mangas). L’Hexagone constitue aujourd’hui le second marché après le Japon, notamment grâce à l’apport de Dorothée dans les années 1990.

Le superhéros : au-dessus des hommes, l’idéal divin

Les héros magnifiques de ce début de XXIème siècle incarnent la victoire de la technique sur le mystique, la véritable fin de règne du théologico-politique.

Le cinéma a constitué l’opportunité providentielle pour son expansion en Europe. En effet, tout le monde en France a un peu près une idée de qui est Spiderman, Superman, ou les X-Men, sans vraiment les connaître, la majorité des Français n’ayant jamais ouvert un comic-book. L’industrie cinématographique a aidé le monde entier à saisir l’amplitude du phénomène. Si  la plupart des films sont inégaux qualitativement, le comics est devenu une valeur sûre du cinéma américain et a permis à un public profane de venir vers ce genre. Ces films ont ainsi rassemblé ces admirateurs tièdes, nouveaux venus, qui profitent d’une vision synthétique, pour ne pas dire simplifiée, de cet univers plus complexe qu’il n’y parait.

Les superhéros d’aujourd’hui semblent n’être que la continuation de l’idée de surhomme, d’entité déictique qui nous dépasse. Le polythéisme grec, puis romain nous a apporté un terreau fertile. Les héros magnifiques de ce début de XXIème siècle incarnent la victoire de la technique sur le mystique, la véritable fin de règne du théologico-politique. Car au cinéma, c’est aussi la technologie qui permet à ces derniers de s’incarner dans une version la plus aboutie possible. L’idée de surpassement de l’homme a ainsi traversé l’imaginaire civilisationnel humain, sous des formes différentes. Le fond n’est pas vraiment modifié, on ne fait que revisiter des formes anciennes.

Avec les superhéros et leur alter égo plus normalisé, le lecteur peut se réconforter dans ce que ces héros sont devenus : des dieux dirigés par les destinées terrestres, sur le modèle mis en place par Umberto Eco. En effet, les interventions des dieux grecs étaient souvent considérées comme extérieures à la liberté des hommes. Dans le comic-book en revanche, c’est notre humanité qui devient le début de toute action surhumaine. Signe de la modernité, ces nouvelles divinités ne sont plus vues comme élément spirituel de la vie humaine, leur dimension épique entre en résonance avec notre quotidien.

Le cinéma prend le pouvoir

Autre aspect important de cette renaissance cinématographique : le genre est pris au sérieux par les studios. Cela leur permet d’effectuer des choix artistiques pertinents, tenant réellement compte d’un public connaisseur. A l’arrivée, on a donc un bon produit, qui parvient à garder un niveau de qualité certain, et à être profitable d’un point de vue économique. L’exemple de la trilogie Iron Man ou des Vengeurs nous offrent ici des exemples de réussite critique et commerciale. C’est ainsi qu’Avengers sort sur nos écrans en avril 2012, Joss Whedon à la manœuvre. Ce ne sont pas seulement des acteurs charismatiques – Robert Downey Jr et Samuel L. Jackson, entre autres – il y a aussi un dispositif très efficace. Chaque film le précédant a été étudié, préparé, réfléchi pour permettre aux vengeurs d’avoir un impact optimal sur l’audience. Le comics, tel un nouveau Midas des arts, couvre d’or tout ce qu’il touche. Le cinéma ne fait pas exception.

Cependant, il n’est pas rare que l’équilibre subtil entre l’exigence de qualité et l’enjeu mercantile se brise.

Ainsi, nous ne sommes jamais loin de la tentation de faire de l’argent sur une icône  rassurante. En effet, durant cette dernière décennie, l’aspect financier a pris beaucoup d’importance. L’exemple de Sony, producteur de la première trilogie Spiderman, est de ce  point de vue intéressant. A l’origine du reboot du 2012, il y a surtout la nécessité pour les studios de conserver les droits – lucratifs – de son jeune héros.  Si un film n’est pas produit au plus tard tous les cinq ans, les droits sont rétrocédés  à Marvel. Les studios Sony se sont donc donnés pour mission de refaire, à peu de choses près, exactement les mêmes films, à quelques années d’intervalle.

La réactualisation guidée par l’argent ?

Il ne s’agit pas ici de dire qu’un film doit être produit dans un but uniquement artistique, il faut assumer cette nécessité de créer de la valeur pour pérenniser le processus de création.

Le reboot, en soi, n’est pas une bonne ou une mauvaise chose, cela dépend surtout de ce qu’on en fait, de pourquoi on le fait.  La trilogie Batman de Christopher Nolan est un exemple de réappropriation d’un personnage surplombant la pop culture américaine. On a ici un réalisateur visionnaire, qui a su réinventer un héros emblématique en intégrant des éléments nouveaux, absents du comic-book, ou modifiant significativement des éléments importants de l’œuvre originale. Nolan a choisi de composer un Batman différent plutôt que de suivre un canevas déjà préparé.  Au lieu d’adapter des épisodes déjà existants, il apporte sa contribution, et réinvente des pans entiers de son histoire.

Mais derrière la logique des nouvelles aventures du tisseur, le film ne se légitime plus par son apport à l’art ou à ses pairs, mais ses retours sur investissement. Il ne s’agit pas ici de dire qu’un film doit être produit dans un but uniquement artistique, il faut assumer cette nécessité de créer de la valeur pour pérenniser le processus de création. Mais lorsque ça n’est qu’une question d’argent, le spectateur devient un pur consommateur, devenant un instrument d’une industrie strictement marchande. Or le cinéma est aussi un ensemble d’émotions contingentes, de signes, de métaphores, projeté sur un écran.

Pour le cas des comic-books, un film n’est intéressant que s’il donne à cet objet un sens plus général, plus universel, que celui qu’il offre immédiatement par lui-même. Espérons que les immenses potentialités qu’offre ce matériel romanesque soient utilisées à bon escient, en conservant cette nécessité d’exigence, pour un sujet qui semble léger. Car le « voir » facile ne présage jamais du « voir » idiot.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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