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De La Matinale jusqu’à la dernière version du Grand journal, Cyrille Eldin, fidèle parmi les fidèles de Maïtena Biraben, a imposé son style au sein de Canal+.

Cyrille Eldin est drôle, ce qui est tout l’inverse d’Eric et Quentin, ces faux Mickaël Youn de pacotilles ne ricanant qu’entre eux. Cyrille Eldin est impertinent, soit l’exact opposé d’un Stéphane Guillon qui revient miraculeusement en grâce chez Thierry Ardisson, ce qui, par effet de clair-obscur, rend Gaspard Proust encore plus brillant. Cyrille Eldin s’amuse de tout et de tous, intelligemment, a contrario de Yann Barthès, qui ne s’adresse qu’à un public au profil idéologique bien défini.

Jean-Michel Apathie disait à ce propos « Le Grand journal était à la mode, puis la mode était contre Le Grand journal », ce qui est plutôt vrai.

Il faut dire que la rentrée à Canal+ est pour le moins catastrophique, entre la chute vertigineuse des audiences pour le Grand journal, la première prestation plus que médiocre d’Ophélie Meunier dans Le Tube et la grande valse des dirigeants depuis la reprise en main de Vincent Bolloré au cœur de l’été. Mais les Guignols sont toujours là (cf. notre analyse estivale : « L’antifascisme en latex n’est pas mort). Jean-Michel Apathie disait à ce propos « Le Grand journal était à la mode, puis la mode était contre Le Grand journal« , ce qui est plutôt vrai. Plutôt novateur et conduit d’une main de maître par Michel Denisot, le programme est devenu au fil des années un répulsif pour le peuple audiovisuel français, qui devant son poste, était tenu à l’écart d’une discussion entre gens à peu près d’accord sur tout, bien habillés et méprisants. Bref, tout cela pour mettre en valeur Eldin, sa barbe de trois jours, sa gouaille, son audace, car le personnage détone et ne cesse d’étonner reportage après reportage.

En s’immisçant dans les grands raouts politiques, en approchant les hommes et femmes politiques pour leur titiller ou les taquiner, il n’a certes pas révolutionné le petit écran mais a imposé un style. Parce qu’aucun journaliste n’est capable de pousser les politiques dans leur retranchement ou de poser la question qui fâche, lui y va la fleur au fusil. C’est peut-être aussi l’acte de décès du journalisme mainstream, connivent et formaté qu’il signe à la fin de chaque sujet.

Cyrille Eldin, le désacralisateur

Imagine-t-on un seul instant le Général de Gaulle se laisser approcher par ce joyeux drille pour se laisser tâter le ventre ?

Lorsqu’il chante du Joe Dassin avec Emmanuel Macron ou lorsqu’il n’hésite pas à toucher les abdominaux de Michel Sapin, Eldin ne fait rien d’autre que souligner la désacralisation du pouvoir politique, ou pire encore, l’absence de pouvoir du politique. Non pas qu’ils soient devenus trop accessibles – ce qui est une illusion – mais qu’ils se laissent approcher, moquer, palper voire ridiculiser aussi facilement dénote la perte irrémédiable du caractère sacré du monarque.

Cela renvoie à l’essai sur Les Deux corps du roi d’Ernst Kantarowicz, ouvrage à travers lequel il opère une distinction entre le corps terrestre du souverain – mortel, faillible, « humain trop humain » comme dirait l’autre – et le corps céleste, éternel qui découle, aurait dit Péguy, d’une mystique de la politique. En surprenant ses victimes dans une allée, à la fin d’un meeting ou en fâcheuse posture au Salon de l’agriculture, Cyrille Eldin supprime de fait la seconde acception du corps royal et ne montre que l’humain dans ce qu’il a de moins glorieux.

Imagine-t-on un seul instant le Général de Gaulle se laisser approcher par ce joyeux drille pour se faire tâter le ventre, ou pour lancer quelques vannes face caméra ? Peut-on se figurer un François Mitterrand faire du karaoké avec Cyrille Eldin ? Bien évidemment non. Les politiques et leur cortège de communicants seraient bien inspirés de, parfois, leur apprendre à ne justement pas communiquer.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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