Partagez sur "Migrants, réfugiés : Les naufragés de la société du spectacle"
BHL a enfin une œuvre à portée mondiale : hélas il ne s’agit aucunement de ses livres mais de son action diplomatique qui n’aboutit qu’au désordre voire au chaos dans certaines régions. Libye évidemment, mais également Syrie, Irak et in fine Lampedusa, Calais, île de Kos.
L’époque où seuls les téléfilms avec Francis Huster rythmaient nos soirées estivales est révolue, place à l’autre feuilleton de l’été : « les migrants », vocable chéri du monde médiatique depuis de longues semaines. C’était donc le feuilleton de l’été, scénarisé, commenté, disséqué, analysé et mis en scène au jour le jour pour occuper les mornes discussions du vacancier à l’heure de l’apéritif. Il faut dire que depuis les « boat people » de 1979, qui auront permis la réconciliation de Sartre et Aron, le terme a changé, puisqu’il a ensuite été question de « clandestins » durant les années 90, puis de « sans-papiers » à la fin de cette décennie de tous les fantasmes humanitaires.
« L’homme n’est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».
Ainsi, l’appel d’Alex Lutz (digne héritier de Jean Moulin version Catherine et Liliane) dans le JDD est dans la lignée des tartes à la crème musicales servies à l’envi pour l’Éthiopie ou la Somalie, lorsque les premiers corps squelettiques étaient montrés au journal de 20 heures à l’occidental moyen qui culpabilisait devant son assiette pleine. Ces héros si gentils vont même donner un de leurs cachets (ils ne se soucient même plus de l’indécence d’une telle formulation) pour aider ces migrants, alors que le SDF qui dort dans leur rue attend toujours un regard.
Des églises occupées aux chansons enregistrées par nos chères célébrités pour se battre contre la misère du monde – et surtout du monde – les mots ont changé, pour atténuer la réalité diront certains ou pour la déformer estimeront d’autres. C’est tout le génie de la société médiatique : focaliser sur un danger pour déchaîner les passions et ne faire appel qu’à l’émotion, sans jamais inviter au débat rationnel, résumant ce dernier à la question, pour ou contre les damnés de la terre ? Ce génie de la modernité a même été jusqu’à créer un AirBnB pour accueillir un réfugié, à quand un Tinder pour épouser un esquimau ou un Alibaba pour trouver son enfant via GPA ? La générosité qui se donne en spectacle confine au ridicule, confirmant l’intuition de Blaise Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».
La téléréalité émotive de la misère
La question n’est pas ici d’être pour ou contre l’accueil des « migrants » ou « réfugiés », mais plutôt de s’interroger sur ce monde ultra-connecté et émotif qui met en scène des êtres humains pour les faire observer par ses semblables confortablement assis dans leur fauteuil. Puisqu’il faut alimenter l’ogre médiatique jusqu’à l’écœurement, tout semble bon pour raconter la même histoire tous les jours en jouant sur les mêmes ressorts pour parvenir à des fins différentes (la commisération ou le rejet) qui s’opposent tout au long de la journée, notamment sur les réseaux sociaux. Les envoyés spéciaux, sur les plages, les gares, les centres d’accueil, interviewent le migrant à peine arrivé comme s’il s’agissait d’un aventurier de Koh Lanta qui venait de remporter le totem d’immunité.
La misère apparaît comme le spectacle moderne par essence, car le spectateur y trouve toujours plus malheureux que lui et le riche de quoi s’acheter une bonne conscience à moindre frais.
Les duplex pour « attendre les arrivées des réfugiés » sont légion sur les chaînes d’information, et les experts en plateau d’y aller de leur fulgurante analyse. Des débats sont mêmes organisés entre ceux qui veulent accueillir tous les migrants et ceux qui veulent en accueillir, aucune voix dissonante ne se fait entendre pour que le concert soit joué avec la même note jusqu’au bout. La téléréalité, l’immersion parmi les naufragés, doit être diffusée jusqu’au dernier épisode, avant qu’un autre évènement ne succède à celui-ci. La saison 1 à Lampedusa avait laissé certains téléspectateurs sur leur faim, la saison 2 tournée dans l’Europe entière, avec Angela Merkel en sauveuse universelle semble tenir ses promesses.
La misère apparaît comme le spectacle moderne par essence, car le spectateur y trouve toujours plus malheureux que lui et le riche de quoi s’acheter une bonne conscience à moindre frais. Même Jean-François Copé a appelé à accueillir des réfugiés, à condition qu’ils laissent les pains au chocolat tranquilles ? « Charité bien ordonnée commence par soi-même » comme le dit le proverbe, et pourtant c’est la figure de l’Autre, si possible le plus lointain et anonyme possible, qui attire l’attention, la curiosité ainsi que la générosité hypersensible de l’occident. Tout le monde par conséquent gagne à la fin de cette nouvelle saison de téléréalité : les médias qui ont trouvé leur nouveau marronnier, les peoples qui pétitionnent courageusement, le Charlie de base qui n’a pas quitté la place de la République et a juste changé de pancarte et les droitiers qui n’ont même plus besoin de parler pour susciter l’adhésion.
L’étrange diplomatie par l’enfant
« Il y a dans la générosité le même degré d’égoïsme que dans la vengeance, mais c’est une autre qualité d’égoïsme », écrivait Nietzsche dans Le Gai Savoir. Alors souvenons-nous des précédents conflits, et des plus récents : Gaza, Ukraine, Irak, Syrie, et de leur cortège de photos d’enfants atrocement mutilés ou tragiquement décédés comme le petit Aylan, dont la photo a fait le tour du monde. Et c’est justement cette mondialisation de l’horreur par l’image qui inquiète et renvoie à la sentence nietzschéenne : se montrer généreux en exhibant un bambin mort, c’est aussi se venger égoïstement des coupables sans se soucier de la douleur de la famille.
Josiane Balasko devrait organiser un défilé avec Guy Bedos, et Mimi Mathy enregistrera un disque de soutien avec Christophe Maé. Les Charlie ressortiront leur Stabilo pour s’écrire des mots d’amour sur l’avant-bras.
Lors du conflit entre Israël et Palestine l’été dernier, chaque belligérant s’envoyait au visage ces images pour dénoncer l’horreur de l’autre. Idem lors des évènements en Ukraine. C’est la diplomatie de l’enfant mort, qui piétine sans vergogne toute forme de morale et de dignité humaine, pour faire accepter une idéologie par le biais du pathos. Seulement, et c’est le sens du titre de ce présent article : derrière le spectacle, il y a des vies et donc des deuils. Une nouvelle forme de point Godwin 2.0 en somme, qui clôt le débat par principe avec son cortège d’anathèmes reçu par ceux qui ne veulent pas ajouter la misère à misère : le fascisme, toujours, et le nouveaux items qui se terminent en -phobe.
Josiane Balasko devrait organiser un défilé avec Guy Bedos, et Mimi Mathy enregistrera un disque de soutien avec Christophe Maé. Les Charlie ressortiront leur Stabilo pour s’écrire des mots d’amour sur l’avant-bras. Les reporters continueront de nous raconter leur feuilleton de l’été et des débats entre gens d’accord entre eux devraient à nouveau fleurir sur nos antennes. Parce que la société du Oui, celle qui lutte inlassablement pour les évidences et estime que – Progrès oblige – l’Humanité devient meilleure avec le temps et que le Mal est éradiqué, cette société du Oui donc, n’a jamais été aussi puissante et ne s’est paradoxalement jamais autant sentie fragilisée. Parce que chaque « Non » est une défaite pour elle et lui rappelle que l’univers n’est pas un agrégat d’humanoïdes qui acquiescent à ce que leur raconte la télévision.
La société du spectacle postmoderne est un gigantesque naufrage, et il lui a suffi de montrer quelques radeaux pour nous méduser.