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Journaliste, historien, auteur du Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (Robert Laffont), Christophe Dickès publie en cette rentrée littéraire Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde aux éditions Tallandier. Dans cet ouvrage passionnant qui couvre près de vingt siècles, il présente les différents souverains pontifes qui ont, selon lui, changé le monde et les Hommes. De Saint Pierre à Jean-Paul II, de réformes de l’Église en révolutions intellectuelles, il retrace avec passion et parfois un brin de provocation, l’histoire de ces pasteurs qui ont eu une influence sur les évènements, les arts et les consciences.

Julien de Rubempré : Tout d’abord, une question forcément attendue mais inévitable : pourquoi se limiter à douze papes ?

Christophe Dickès : Parce qu’il fallait trouver un juste milieu entre un traitement équilibré et conséquent de chacune de ces personnalités et le livre dans son ensemble. Si j’avais pris davantage de figures, les chapitres auraient été plus courts et le livre aurait perdu en qualité. Je souhaitais vraiment analyser en profondeur chaque pontificat et donner une idée précise de ce que furent ces hommes, des débats historiographiques aussi qui peuvent exister à leur sujet. Et, faut-il le rappeler, 12 est un chiffre biblique… Mais je reconnais qu’il existe une part de subjectivité dans cet exercice. Pour cette raison, j’ai souhaité intitulé ce livre « Ces 12 papes… » et non « Les 12 papes…. »

JdR : Vous avez publié le Dictionnaire du Vatican en 2013, ce livre est-il la « suite » de ce travail ?

C.D. : Oui parce que je poursuis ma réflexion sur le pouvoir pontifical, surtout sur la capacité des hommes à influencer leur milieu, leur temps ou bien plus largement l’histoire des idées et la postérité. Le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège était consacré exclusivement à l’histoire contemporaine de l’Eglise, de 1870 à nos jours. Cette fois, j’ai élargi ma réflexion à l’histoire de la papauté des origines à nos jours, avec toute la difficulté que cela suppose. En effet, il n’est pas aisé de passer d’une époque à une autre. L’écueil de l’anachronisme n’est jamais loin… Qu’est-ce qu’un grand pape est la question ultime que je pose dans la conclusion.

JdR : Pour qui s’est déjà frotté à la recherche universitaire, force est de constater que votre bibliographie est impressionnante. Une source à chaque paragraphe. Comment avez-vous travaillé pour ce livre ? Des lectures qui ont abouti à ce livre ou alors un travail de recherche au cours de la rédaction ?

C.D. : L’important était de prendre en compte tout le travail réalisé par les derniers chercheurs. Prenons l’exemple de Pie XI, le pape qui a vécu entre les deux guerres mondiales : des colloques ont eu lieu ces dix dernières années sur ce pape puisque les archives ont été ouvertes depuis peu. Je me devais donc d’intégrer les éléments de réflexion les plus récents. J’ai aussi travaillé sur les sources en histoire moderne et contemporaine, en plus donc de mes lectures. Pour l’histoire antique et médiévale, un ami, spécialiste de la période, m’a aidé dans mes recherches et dans l’appréciation du texte final.

JdR : N’est-il pas trop difficile d’étudier les papes des temps anciens, les sources étant moins nombreuses ?

C.D. : Oui et non. Comme il existe moins de sources, la marge de manœuvre de l’historien est plus étroite. A contrario, si vous étudiez le règne de Jean-Paul II, vous avez à votre disposition des dizaines de milliers de documents. La tâche est immense, voire insurmontable. Si vous étudiez celui de saint Pierre, vous possédez très peu de documents écrits. L’archéologie est là pour vous aider et pallier ce manque mais, au final, beaucoup de questions restent en suspens. Étudier l’évangélisation du premier des « papes » est ainsi plus difficile que de travailler, par exemple, sur saint Paul, l’apôtre des gentils. Paul a laissé beaucoup de lettres : on le suit à la trace, grâce à ses écrits. Ce n’est pas le cas de saint Pierre. Bien des zones d’ombre subsistent. Je rappelle que ce sont les fouilles archéologiques lancées par Pie XII au lendemain de la guerre qui ont permis de savoir avec exactitude l’emplacement de la tombe du premier des apôtres…

« On réforme l’Église comme on se réforme soi-même ».

JdR : Réformer l’Église, est-ce bouleverser le monde ? C’est parfois ce qu’on lit entre les lignes de ce livre.

C.D. : La réforme de l’Église est un des éléments qui font la grandeur des papes. On dit que l’Église doit toujours se réformer : Ecclesia Semper Reformanda dit l’adage. Mais réformer ne signifie pas bouleverser les structures ou faire table du passé. Encore moins se couper de la tradition de l’Église. L’idée de réforme possède une connotation très spirituelle, ce que j’explique dans le livre. On réforme l’Église comme on se réforme soi-même. Innocent III, qui a vécu au XIIIe siècle, est un pape réformateur parce qu’il recentre l’Église sur ses fondamentaux face aux hérésies qui ne cessent de se développer : il encourage l’eucharistie, fait du mariage un sacrement…. Il soutient aussi les ordres mendiants car il comprend la soif de spiritualité de son époque. Les grands papes sont autant des hommes qui comprennent la nécessité de changer par le haut les choses que des réalistes. Ils sont dans le monde sans être du monde.

JdR : Ce qui est également frappant, ce sont les écarts de siècles entre chaque pape (exemple, entre Saint Pie V et Saint Pie X). Face aux grands bouleversements (Révolutions, 14/18, 39/45), il n’y a pas eu de « grand pape » ?

C.D. : Tout à fait. Cela correspond simplement à une autre réalité : l’Eglise n’avait pas besoin à ces époques de grands papes. Je dis dans mon introduction qu’il y a eu de mauvais papes –moins nombreux qu’on ne le croit- mais aussi des papes qui faisaient simplement et humblement leur devoir. Ils ne se distinguent pas mais ils entrent néanmoins dans la succession pétrinienne…

Quant à ceux qui ont dû faire face aux bouleversements historiques, je ne suis pas d’accord avec vous : on peut dire que bien des personnages se détachent. Prenez Léon le Grand et Grégoire le grand face à la chute de l’Empire romain et aux invasions barbares. Voyez saint Pie V face au protestantisme ou bien Pie XI face au nazisme et au communisme. Et que dire de Jean-Paul II face au communisme mais aussi au relativisme… L’Eglise a su absorber les grands tournants de l’histoire de l’humanité, des origines à nos jours. C’est un des secrets de sa longévité.

« Le terme « changer » a été complètement galvaudé par les slogans électoraux depuis de nombreuses années ».

JdR : Je reviens sur le terme « bouleverser ». Un terme fort. Pourquoi pas « changer », « marquer » ?

C.D. : Parce que le terme « changer » a été complètement galvaudé par les slogans électoraux depuis de nombreuses années. Il y eut un débat interne avec mon éditeur sur le verbe à utiliser. Bouleverser a remporté la mise…. Il possède, dans la langue française, un sens négatif. Mais, pour la plupart des gens, bouleverser signifie « marquer son temps. »

JdR : Donc selon vous, un grand pape, est moteur des évènements ?

C.D. : Un pape est à la fois grand par sa capacité à prendre en compte une réalité, à vouloir s’y adapter tout en la modifiant au profit de la liberté de l’Eglise. Ce sont donc des papes résistants, réformateurs mais aussi très spirituels.

« Un jour, sur un plateau de télévision, un invité a soutenu que François Hollande n’avait rien à faire à Rome et qu’il ne devait pas visiter le pape, ceci au nom de la laïcité. Cette phrase est d’une stupidité sans nom ».

JdR : Quel est votre pape préféré, et pourquoi ?

C.D. : Question difficile. Je dirai Léon le Grand qui doit faire face à la déliquescence de l’Empire romain. Ce qui est extraordinaire chez lui est sa foi et sa profonde espérance. Il est aussi le premier grand pape politique de l’histoire.

JdR : Que répondre à celles et ceux qui disent « De toute façon, le pape ne sert à rien » ?

C.D. : Il faudrait retourner aussi la question : à quoi servent ces gens qui disent cela ? Un jour, sur un plateau de télévision, un invité a soutenu que François Hollande n’avait rien à faire à Rome et qu’il ne devait pas visiter le pape, ceci au nom de la laïcité. Cette phrase est d’une stupidité sans nom. Le pape est à la tête d’un milliard deux cent millions de catholiques. Il possède un des réseaux diplomatiques les plus étoffés au monde (180 représentations…). Ne pas avoir de relation avec lui, c’est vouloir marcher sur la scène internationale en boitant. La France a rompu les relations diplomatiques avec le Saint-Siège en 1905, elle les a rétablies en 1923 car elle a eu conscience de son handicap. Même l’Angleterre a envoyé pendant la Grande Guerre un représentant, bien consciente du rôle que pouvait jouer la papauté dans le conflit. Le pape est aujourd’hui une force morale dans un monde de puissances relatives. La voix du pape compte parce qu’elle est désintéressée : le Vatican ne possède ni intérêt politiques, ni intérêts économiques et défend simplement une conception de la dignité de l’homme. Ne pas le reconnaître est un manque de discernement sur la réalité du monde.

JdR : Pourquoi François est-il si populaire ? Son encyclique Laudato si est un véritable bestseller …

C.D. : Essentiellement pour sa proximité et sa simplicité. Mais je montre dans mon livre que son attitude n’est pas nouvelle chez les papes. Loin de là. Nous croyons que tout est nouveau avec le pape François. C’est évidemment complètement faux. On biaise aussi son enseignement en faisant de lui une sorte de révolutionnaire. Je pense que l’analyse est bien plus complexe et ne se résume pas à la division gauche/droite.

« Si le christianisme ne se développait pas, il ne serait pas l’objet de persécutions comme il l’est aujourd’hui ».

JdR : En dépit de la crise du christianisme dans le monde occidental, le pape n’a jamais été aussi connu dans le monde. Est-ce cela, le paradoxe du monde moderne ?

C.D. :Vous avez tout à fait raison. Je qualifie les papes des XXe et XXI siècles de « papes universels ». Tous leurs prédécesseurs avaient cette vocation. Notamment Grégoire le Grand au VIe siècle. Mais depuis le développement des médias, des moyens de transport, le pape est désormais très facilement accessible : sa parole, son image, son charisme apparaissent dans les journaux, les télévisions, sur Internet. Tout le monde peut aller voir le pape à Rome, le mercredi ou le dimanche. D’ailleurs, l’Agence de Relations publiques Burson Marsteller considère que le personnage le plus influent sur Twitter est le pape François…

Le paradoxe réside dans cette puissance médiatique et la crise du christianisme occidental. Mais il ne faut pas oublier que le christianisme ne se résume pas à l’Occident. Il se développe en Afrique et en Asie par exemple. Si le christianisme ne se développait pas, il ne serait pas l’objet de persécutions comme il l’est aujourd’hui. Mais, et il s’agit d’un autre paradoxe, l’Église s’est toujours régénérée dans le sang de ses martyrs. C’est le sens ultime du sacrifice du Christ mais aussi de la mort de Pierre, crucifié la tête en bas en 64. On a tendance à l’oublier, mais l’histoire de l’Eglise avec Pierre commence par cette défaite. Pourtant, 2000 ans après, l’Eglise est toujours bien présente dans le monde.

A visionner : la présentation du livre à La Procure (Paris).

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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