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 Christophe Dickès est journaliste et historien. Spécialiste  d’histoire contemporaine des relations internationales, il publie un Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège dont il a assuré la direction. Entretien avec Julien de Rubempré.

JdR: Vous publiez un Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, à quand remonte ce projet ?

Christophe Dickès : A plus de quatre ans maintenant… J’avais déjà travaillé pour la collection Bouquins des éditions Robert Laffont et, pour l’occasion, Jean-Luc Barré, le directeur de la collection, m’invita au restaurant. Je lui fis part de mon intérêt pour la politique étrangère du Saint-Siège, aspect complètement méconnu de la vie de l’Eglise aujourd’hui. Il me proposa de diriger un dictionnaire du Vatican contemporain. La France contemporaine commence avec la révolution de 1789, le « Vatican contemporain » commence lui en 1870, quand le pape perd les Etats pontificaux au profit de la jeune nation italienne. Jean-Luc me donna une semaine pour y réfléchir, je lui répondis dans les 24 heures. Je mis ainsi sur pied une équipe avec Marie Levant, jeune universitaire, et Gilles Ferragu, ancien élève de l’Ecole française de Rome. Les deux m’ont assisté dans cette tâche. Au-delà de son contenu, ce livre représente des amitiés qui se sont tissées au fil des années. 

Jdr –  D’ailleurs pourquoi rajouter « et du Saint-Siège » dans le titre de l’ouvrage ?

C.D. : On confond les deux termes Vatican et Saint-Siège alors que ce sont deux réalités différentes. Le Saint-Siège est le gouvernement de l’Eglise catholique dont le rayonnement est universel puisque l’on recense environ 1,2 milliards de catholiques à travers le monde. Le Vatican est un Etat de 44 hectares, une sorte de garantie temporelle pour le pape qui doit préserver son indépendance. Le chef de cet Etat minuscule est aussi le pape, entouré de quelques 500 citoyens et 4 000 employés. Mais quand un chef d’Etat visite le pape, il ne visite pas le chef de l’Etat de la Cité du Vatican. Non. Il rend visite au chef de l’Eglise catholique, au chef spirituel et à la puissance morale qu’il représente dans le monde. La France possède une ambassade près le Saint-Siège, et non pas près de l’Etat de la Cité du Vatican.

JdR : Quels mystères du Vatican ce dictionnaire révèle-t-il ? 

C.D. : On dit le Vatican secret. Il l’est, mais en partie seulement. Encore une fois, le Vatican est un Etat et, comme tout Etat, il existe un secret d’Etat ou si vous voulez un secret professionnel. On évoque les Archives secrètes du Vatican alors que celles-ci sont accessibles et que l’expression « secrètes » ne possède pas « le sens moderne de quelque chose de caché ou de mystérieux » mais celui « de privé ou de réservé », des termes longtemps en usage dans les chancelleries et les lieux de pouvoir des temps modernes. C’est ce qu’explique très bien Marie Levant dans le Dictionnaire.

Faire un dictionnaire sur le Vatican et le Saint-Siège révèle d’ailleurs que ce monde est bien plus accessible qu’on ne le croit. On peut en faire son histoire, montrer ses évolutions, ses héros et ses brebis galeuses. Le dictionnaire présente ainsi un large spectre de ce qu’est le Vatican : les hommes qui y vivent ou y ont vécu mais aussi les institutions, tous les aspects de sa vie quotidienne etc. Nous abordons largement la nature du pouvoir pontifical, ses symboles, son « charisme », cette puissance morale enfin dans un monde de puissances relatives… Nous avons aussi souhaité décrire la relation entre le Saint-Siège et les Etats du monde, ce qui constitue une histoire diplomatique ; mais aussi la relation des papes avec les grandes idéologies du XXe siècle (communisme, libéralisme, nazisme, relativisme…), ce qui relève donc de l’histoire des idées politiques… Enfin le dictionnaire est truffé de nombreuses anecdotes : le Vatican possède t’il une équipe de football ? Que mangent les papes ? Quelles ont été les relations entre des hommes d’Eglise et la mafia ? Qui sont les Zouaves pontificaux ?…

JdR : Faut-il croire pour être historien d’une religion ?

C.D. : Non et sur les 46 contributeurs du Dictionnaire, certains ne sont pas croyants. Mais j’inverserai aussi votre question : faut-il aimer l’histoire pour être religieux ? Dans le catholicisme, l’histoire possède une dimension particulière dans la mesure où la tradition, c’est à dire la transmission, en constitue le fondement. J’insiste beaucoup aussi dans mon introduction sur l’héritage du catholicisme. J’écris notamment : « L’histoire, maîtresse de vie et de vérité, évoque à elle seule ce que le monde doit au christianisme : sur le plan de la philosophie et de la théologie, des sciences et des structures d’enseignement, mais aussi dans les domaines juridique ou artistique. » Dans un monde déraciné, le christianisme en général et le catholicisme en particulier sont là pour nous rappeler d’où l’on vient. Je visitais dernièrement le musée de l’horlogerie du British Museum. J’y ai appris que ce sont les moines, qui souhaitaient prier à heure fixe, qui ont élaboré les premiers des systèmes afin de « garder le temps » comme le font les montres que nous portons au poignet. L’Eglise est régulièrement la cible de critique, mais l’histoire est là pour rappeler que notre quotidien a été en grande partie façonné par le catholicisme, sans que nous le sachions.

JdR : Vous insistez dans plusieurs notices sur l’influence du Vatican au niveau international. Quelle est sa véritable influence diplomatique ? 

C.D. : Le Saint-Siège possède 180 représentations diplomatiques dont le premier rôle est d’aider et de protéger les catholiques du monde entier contre les atteintes à la liberté religieuse : liberté de pratiquer, d’exercer le culte, d’enseigner, etc. Il s’agit d’une diplomatie bilatérale, d’Etat à Etat. Il arrive parfois, sans d’ailleurs que nous le sachions systématiquement, que la diplomatie vaticane soit aussi appelée en arbitre ou en médiateur afin de régler des différends temporels. Récemment, la présidente argentine attendait du pape François qu’il se prononce et qu’il agisse auprès du Royaume-Uni sur la question des Malouines. Le Saint-Siège est aussi intervenu dans des dossiers touchant des otages : Ingrid Betancourt, Florence Cassez mais aussi les soldats anglais capturés par l’armée iranienne en 2007. Enfin, le Saint-Siège est observateur ou membre de plusieurs institutions supranationales (ONU, FAO, UNESCO, etc). Comme toute politique, elle enregistre des succès et des désillusions.

JdR : Vous traitez du « renoncement » de Benoît XVI, a-t-on assez de recul ? Comment juger la portée de son acte ?

C.D. : Le temps fait son œuvre, mais force est de constater que la crise de la curie romaine a été un élément déterminant voire au centre de la décision de Benoît XVI. Le pape allemand avait aussi un sens élevé du service. Le pape est qualifié de serviteur des serviteurs de Dieu depuis des siècles. Or ce service, Benoît XVI ne se sentait plus capable de l’assurer. La papauté est une charge et, comme toute charge, elle peut avoir une fin. Mais seul le pape, en son âme et conscience, prend la décision de renoncer.

JdR : Benoît XVI avait une image austère. Peut-on le considérer comme le premier Pape punk qui a renversé le système en renonçant à sa fonction ? 

C.D. : Si votre qualificatif vise à dire qu’il était en décalage, oui sans nul doute : la renonciation à un tel pouvoir reste un acte exceptionnel au sens propre. Mais je tiens à nuancer cette image d’austérité : qui est capable de réunir deux millions de personnes en plein mois d’août comme il l’a fait en Espagne en 2011 à l’occasion des JMJ ? Peu après son élection d’ailleurs, en 2005, les jeunes réunis cette fois à Cologne s’attendaient à voir un « père la morale ». Ils virent un professeur d’une grande humilité qui leur parla d’amour. Benoît XVI était un vrai pédagogue et les audiences du mercredi n’ont jamais désempli pendant son pontificat. A-t-il bouleversé le système et désacralisé la charge? Pas vraiment car être pape n’est pas un sacrement mais une charge. Et on voit surtout avec le pape François que le pape reste un personnage hors du commun, avec un charisme particulier et intact.

JdR : Les médias ont salué son attitude, mais Jean-Paul II n’a-t-il pas été plus courageux en montrant à l’humanité sa finitude ? Benoît XVI renonce, il est un homme, Jean-Paul II lutte en souffrant, il n’était qu’un homme. 

C.D. : Je vous renvoie à ce que je disais à propos du service. Les deux hommes sont différents, sans nul doute. Le cardinal Ratzinger, futur Benoit XVI, a souffert de voir « son » pape Jean-Paul II dans l’agonie. Il lui demanda de renoncer à sa charge, et s’en excusa après en larmes. Mais Ratzinger a aussi vu que la barque de Pierre était dans la tempête et qu’elle avait besoin d’un chef au gouvernail.  Dans les dernières années du pontificat de Jean-Paul II, ce n’était plus le cas. Huit ans plus tard, ce gouvernail, Benoît XVI ne se sentait plus capable de le tenir. D’où sa décision. 

JdR : Au regard des récents évènements (Manif pour tous etc ..) publier un dictionnaire sur le Vatican, n’est-ce pas prendre le risque de passer pour une Frigide Barjot bis ?

C.D. Non, parce que je ne porte pas de perfecto et je n’ai jamais chanté dans un groupe du type des Dead Pompidou’s comme elle… Plus sérieusement, nous ne travaillons vraiment pas dans le même registre et le dictionnaire s’inscrit dans le cadre d’une étude historique. Néanmoins, il existe aujourd’hui un retour du religieux et des valeurs : il suffit pour s’en convaincre de voir le succès du film Des hommes et des dieux ou le niveau des ventes de l’incontournable Frédéric Lenoir. Les gens sont en quête de spirituel dans un monde en crise. Souvenez-vous de la fameuse phrase de Malraux sur le XXIe siècle… Dans un climat de postmodernité, la foi fait son retour. Mais ceux qui, en Occident, ont une démarche de foi, peinent à se rapprocher de l’institution ecclésiastique, mais quand ils le font, c’est dans un engagement total. On voit d’ailleurs une jeune génération de prêtres qui entretient une forme de radicalité religieuse. Je dis bien une radicalité, et non un radicalisme.  

JdR : Pour en revenir à la place de la religion catholique en France, ne pensez-vous pas que cette « festivisation » de la foi (JMJ, Manif pour tous, happenings médiatiques), nuit à la religion, fondée sur le secret, le silence, la méditation ?

C.D. D’abord, je ne mettrai pas sur un même pied d’égalité les JMJ, la Manif pour tous etc. Ce sont des événements qui procèdent d’une motivation différente. Jean-Paul II a eu l’intuition des JMJ pour donner une visibilité à l’Eglise, visibilité qu’elle n’avait plus à la suite de la crise des dernières années du pontificat de Paul VI. Nous étions en 1978…. Aujourd’hui on sait le succès réel de l’événement. Pour répondre à votre question, les JMJ offrent un programme au cours duquel le fidèle s’offre des moments de silence. Une vidéo sur Internet montre un de ces moments de silence : toujours à Madrid en 2011, après un orage d’une ampleur terrible, le pape a fait prier en silence plus de 2 millions de personnes. Lui, le pape de la parole, de la pensée et de la théologie a montré sa part mystique en menant une foule dans la prière silencieuse (La vidéo ici). La religion catholique doit garder cette part de silence, de recueillement. Elle l’avait en partie perdu, elle la retrouve de façon saisissante. Les renaissances de l’Eglise, c’est une constante de l’histoire, se sont faites dans le silence, celui des cloîtres.

Entretien avec Julien de Rubempré.

Le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, éditions Robert Laffont, collection Bouquins.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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