Bernard Pivot, Sabine Azéma, Philippe Dana, Laura Smet, Salma Hayek, Cyril Hanouna, Nicolas Bedos, William Macy, Eric Naulleau, Jamel Debbouze, autant de personnalités qui éveillent en nous de la joie, parfois de la peine, en tout cas un intérêt fertile et persistant. Je les ai croisées. Paris y est pour beaucoup. On a toujours cette impression qu’ils paraissent si loin de nous, mais restent irrémédiablement proches, dans une ville où le monde semble se marcher sur les pieds.
D’autres encore évoquent en nous une certaine nostalgie, une course contre le temps, perdue d’avance. Dans un monde où le Moi atteint des niveaux jamais vus, est-il bien raisonnable de saluer des célébrités dans la rue ?
Surtout, on se demandera évidemment si la star se souviendra de nous. Pire, on se prend à rêver d’une amitié calculée, calibrée, pour nous changer en distributeur de bonheur.
« Attends mais je le reconnais ! Je suis sûr de l’avoir déjà vu quelque part ! »
Qu’est-ce qu’une personne célèbre ? C’est d’abord une relation au monde, asymétrique par essence.
On peut définir la célébrité comme un individu donné, dont le nombre de personnes qu’elle connaît est moins élevé que le nombre de personnes qui la connait, dans des proportions irraisonnables. Ainsi, vous avez sûrement été dans une situation où quelqu’un vous reconnaît, vous salue, mais vous ne parvenez pas à mettre un nom ou un souvenir sur cette personne. C’est un instant de célébrité.
Qu’est-ce qu’une personne célèbre ? C’est d’abord une relation au monde, asymétrique par essence.
Si une personnalité a un jour connu la vie vraie, cette hyperbole millénaire, elle n’en a pas toujours le souvenir voire l’expérience. Ainsi parfois, cette dernière, ou plus trivialement « le mec connu » peut sembler parfois un peu rustre, voire méprisant, notamment pour les plus « faciles » d’entre eux. Facile. Un début idéal dans le domaine artistique est toujours équivoque, car c’est dans les inépuisables trésors de la vie, les remous de l’existence, et non dans les généralités abstraites que l’acteur, le comédien, doit puiser la matière brute de ses créations. Elle produit paradoxalement une certaine modestie, une pudeur, face à ce que la vie nous offre. Mais pour ceux arrivant dans le métier en quelque sorte « déjà arrivé », cela n’est pas possible, et ne le sera jamais.
Une célébrité déjà arrivée pourra s’avérer ainsi moins accessible qu’une autre, ayant traversé des moments plus délicats.
La rencontre du troisième type ?
S’il ne sert à rien de diviniser ces êtres, le mythe, quel qu’il soit, entraîne la vénération.
Lorsqu’on croise une personne qu’on voit partout sauf en réalité, c’est un sentiment étrange. On observe un être humain, hors de son milieu que l’on a considéré jusqu’ici comme « naturel ».
Le naturel est parfois rafraîchissant. Les acteurs, il est vrai, jouissent d’une certaine immortalité ; ils sont de tous temps et se font goûter de tous les horizons, sans forcément en avoir une idée précise ou concrète. Cependant, dans cette opposition qui se manifeste entre l’homme de la rue et la star, on hésite entre la subjectivité de l’instant et la rationalité sociale, qui voudrait qu’on ne salua pas l’intéressé, afin de maintenir un certain aplomb. Nous sommes personne, certes, mais nous n’allons tout de même pas nous abaisser à proclamer notre amour pour une apparition qui n’a aucune idée de notre existence.
Mais nous, moi en l’occurrence, y allons de bon cœur. Qu’à cela ne tienne se dit-on, « j’ai les mains propres ». Une poignée de main n’a jamais tué personne. Pour les femmes, une phrase bien sentie fera l’affaire. Ainsi avec Mme Azéma, « Je ne suis pas très familier de votre œuvre, mais vous m’apparaissez comme une personne fort sympathique » nous a valu un sourire radieux de l’actrice.
S’il ne sert à rien de diviniser ces êtres, le mythe, quel qu’il soit, entraîne la vénération. Celle-ci n’a rien de symbolique, car l’être est réellement vivant, cependant adoré, semble-t-il comme l’existence divine ou en tout cas hors de toute humanité dans sa représentation.
En effet, et c’est salutaire pour le genre humain, l’esprit se maintient dans sa nature propre face à la réalité sensible. La star devient une aura et la mine réjouie du quidam fait office de sacerdoce. Il fait parfois face à une figure sans sérénité, comme pétrifiée. Elle se doute qu’elle déclenche son petit tumulte sur le monde, mais ne peut s’empêcher de s’étonner lorsqu’un individu fait irruption dans sa bulle. En cela, elle embrasse l’aventure humaine et ses imprévus, car tout ne peut se résumer à des tournées sur les plateaux tv, scènes mille fois rejouées, et autres arrivées à des soirées « photographiées ».
Finalement, doit-on saluer les célébrités dans la rue ? Sans aucun doute, ils sont humains après tout. On doit cependant trouver en l’individu salué une certaine empathie, une complexité improvisée. Au surplus, la célébrité ne semble pas boire les rencontres impromptues et bruyantes avec le monde. La subtilité et le calme seront récompensés, enveloppés d’une certaine normalité, mot malheureusement qui a perdu, en tout cas dans notre pays, toute valeur. La faute peut-être à une communication politique qui, sans doute, en manquait cruellement.