(le texte en anglais sur le site suivant – Text in English on the following website: https://bottazziguillaume.wordpress.com/2015/10/01/guillaume-bottazzi-illuminates-the-walls-le-nouveau-cenacle/ )
Guillaume Bottazzi, artiste plasticien français né en 1971 s’est fait connaître pour ses nombreuses et monumentales « peintures sur parois« .
Déjà très apprécié au Japon avec une peinture géante de 900 m2 réalisée en 2011 sur la façade du musée de Sapporo (Miyanomori International Museum of Art), ce même artiste a été sollicité en décembre 2014 dans le Business District parisien pour une oeuvre de 216 mètres au pied de la tour D2 à la Défense.
Avec elle, il vient de réaliser sa 70 ème oeuvre dans un endroit mythique qui peut être qualifié à juste titre comme le plus grand ensemble d’art moderne et contemporain à ciel ouvert de France.
En effet ce quartier d’affaires regorge déjà d’une impressionnante collection d’œuvres d’art tout aussi diverses et variées (sculptures, peintures, vitraux, fresques…) que ne le sont les artistes eux-mêmes (de Calder à Richard Serra en passant par Miro, Bernar Venet, Takis et César). Dorénavant la Défense va compter une œuvre d’art de plus et les piétons qui passeront au pied de l’immeuble auront tout le loisir de la contempler. Ils seront assurément séduits mais peut être aussi intrigués par l’œuvre elle-même ?
Car ce qui fascine et intrigue le plus dans cette réalisation, c’est cette distorsion surprenante voire étrange qu’il peut exister entre les supports d’apparence froide et neutre et la douceur chaude, presque enchanteresse de ses compositions.
La froideur murale face à la douceur de sa peinture
L’artiste travaille habituellement sur des surfaces uniformes en ciment fibré même si parfois il s’agit en fait d’un support amovible (un mur sur le mur) ou support sur rail. Cela a été le cas notamment de son œuvre réalisée en 2013 sur un immeuble à la Ciotat (près de Marseille), plus exactement au quartier de l’Abeille.
Mais d’une manière générale les murs, qu’utilise G.Bottazzi, impressionnent toujours par leur monumentalité et leur froideur. Pourtant ils ne sont jamais amorphes. Ils dégagent toujours une force interne liée à leur matérialité. C’est pourquoi dans leur puissance, ils paraissent souvent graves, austères voire solennels.
Souvent ils constituent l’enveloppe et la carapace d’immeubles prestigieux (musées) ou de Centres d’Affaires (La Défense) mais aussi plus humblement d’immeubles d’habitation (La Ciotat). En revanche, ils ont tous une présence frontale : le vertical, dépourvu de centre, est le signe évident de l’élévation vers le sacré ! Le mur comme matériau peut évoquer aussi quelque chose de sourd, de muet et de sombre. Et c’est donc sur ce support mystérieux que travaille cet artiste. De plus, en utilisant presque toujours un échafaudage, il entretient un contact direct et privilégié avec lui.
Ainsi G.Bottazzi peut en permanence contempler le mur à l’exemple de Bodhidharma, appelé « le brahmane qui contemple le mur », le fondateur du chan, le zen japonais. L’on comprend mieux dès lors l’attrait particulier que porte cet artiste pour le Japon ! En effet ce même brahmane a passé 12 ans à méditer devant un mur pour atteindre l’illumination, c’est-à-dire la parfaite connaissance du réel. Par conséquent, le mur auquel on se heurte et qui est ressenti par nous occidentaux comme un néant, devient en réalité pour le zen une expérience différente.
Pour lui, l’essentiel est ailleurs, la transmutation du mur en illumination. Effectivement pour les mystiques, cette obscurité et cette illumination sont une seule et même chose. Et cette distorsion ou cette opposition que l’on croyait déceler entre la froideur murale et la chaleur picturale de l’œuvre ne serait-elle pas en définitive aussi absolue ?
D’où cette autre question qui n’est pas anodine: l’artiste n’aurait-il pas entrepris, lui aussi et à sa manière, un cheminement similaire à celui du brahmane ?
Cela pourrait expliquer le caractère nettement illuminé de sa peinture ? Mais sans avoir la prétention d’apporter une réponse définitive qui serait univoque, le débat restera donc largement ouvert. Pour autant, l’on peut affirmer, sans ciller, que la peinture de cet artiste semble marquée par une expérience très comparable à celle du zen.
D’autant qu’une telle allégation a l’avantage de nous familiariser avec l’oeuvre de G.Bottazzi, en particulier avec celle du Musée de Sapporo (voir ci-dessus).
En effet celle-ci résonne comme un puissant hymne coloré, plein d’espoir et d’optimisme à l’image de toutes ces formes bulbeuses qui s’enchevêtrent et s’enlacent harmonieusement. Le plus surprenant c’est qu’elles semblent vouloir prendre l’envol comme des montgolfières quittant le sol pour s’élancer dans le ciel.
Cette invitation au voyage est très révélatrice du phénomène de transmutation déjà étudié précédemment. Une transmutation qui permet de conduire à une transformation profonde d’une substance en une autre mais aussi à un déplacement d’un monde à un autre. Cela corrobore ce que dit Olivier Douville, psychanalyste et anthropologue, qui a perçu une sollicitation identique, lui qui affirme que :
« Les grands murs peints apparaissent comme des steamers s’avançant vers nous et nous invitant au voyage, clarifiant et relevant les tons et les rythmes des espaces urbains. »
D’ailleurs, G.Bottazzi, comme pour faciliter cette même odyssée, va utiliser sa technique éprouvée du glacis pour adoucir une certaine rigueur picturale et donc permettre un voyage sans écueil.
“Cela apporte beaucoup de douceur à la peinture.” selon ses propres mots.
Mais en réalité sa peinture ne se réduit pas à des détails seulement anecdotiques.
En privilégiant prioritairement le mouvement, G.Bottazzi, inscrit tout simplement son oeuvre dans une démarche artistique plus vaste et plus prestigieuse, puisqu’elle emprunte la voie initialement tracée par un certain Kandinsky.
Ce peintre prestigieux avait fait, en effet, le choix de la peinture abstraite mue par le changement et le déplacement au lieu des formes géométriques immuables.
Une abstraction fondée sur le mouvement et le changement
En fait l’abstraction contemporaine a très tôt développé deux voies opposées, l’une fondée sur les formes géométriques et l’autre sur les formes organiques.
Ces deux approches correspondaient à deux visions très différentes de la nature de la réalité. L’abstraction géométrique qui s’inscrit dans la pensée platonicienne devait conduire à une peinture plus formaliste, à l”art pour l’art” selon les conceptions de pureté énoncées par le critique d’art américain Clément Greenberg. Un art débarrassé de toute forme de narration, de représentation et de sujet. Cette orientation de l’abstraction a été développée abondamment par le mouvement De Stijl avec Mondrian, mais on le retrouve également exprimée dans les oeuvres géométriques plus statiques comme celles de Barnett Newman et de Mark Rothko.
Mais si Kandinsky était tout autant fasciné par l’aura mystique de la géométrie, en revanche l’abstraction dévoilait, selon lui, une réalité toute autre. Elle était fondée principalement sur le mouvement et le changement et concernait le vivant. Ce grand peintre a ouvert la voie à l’abstraction organique.
Chez G.Bottazzi aussi, on découvre cette même vision de l’art abstrait et tout d’abord dans ses formes aux contours adoucis et “naturels”. Ensuite dans celles qui apparaissent comme des organes vivants. En effet l’artiste aime la vie et ne se prive pas de le dire dans sa peinture. Le corps est souvent convoqué même s’il s’agit de formes allusives ou réductrices, comme celles s’apparentant à un embryon ou à un foetus (voir plus loin la toile de 2008). En vérité ce peintre privilégie les métamorphoses de toute sorte. Elles excitent son imagination et donnent sens à son art.
Toutefois le mouvement et le rythme restent mesurés chez G.Bottazzi. Car il tempère toujours ses émotions.
Sans titre – Huile sur toile – 200 x 200 cm – 2008 ©
A la différence d’une gestuelle incisive et intrépide qu’on peut découvrir chez un de Koning ou un Pollock, le travail de G.Bottazzi s’apparente davantage à celui discipliné et rythmique d’un calligraphe asiatique.
Parfois même, l’artiste, comme beaucoup de peintres actuels, franchit allégrement les frontières de l’organique et du géométrique pour retrouver le plaisir visuel perdu.
Le retour vers l’op art et vers l’idée de beauté
Ainsi dans les années 1960, à l’initiative de certains peintres américains qui rejetaient les principes puritains de la pureté de l’abstraction géométrique, beaucoup vont rejoindre les figures de l’abstraction organique.
Leur souci était alors de retrouver les joies de l’esthétisme.
En fait tous ces peintres abstraits vont souvent se “mélanger” à l’exemple de Brice Marden.
La plupart vont utiliser l’abstraction organique pour marquer un retour à l’op art.
Ainsi Philip Taaffe et Roos Bleckner vont réhabiliter un art tendant vers la beauté.
De même, on retrouve une démarche identique pour l’op art chez G.Bottazzi.
Dans certaines de ses oeuvres, l’artiste utilise des surfaces vibrantes dans le but évident de cultiver “l’esprit de l’oeil”.
Lui non plus n’hésite pas à fusionner le géométrique et l’organique en vue du seul plaisir visuel !
Même sans parler d’un illusionnisme spatial à la manière d’un certain Al Held, cet artiste reste toutefois un adepte fervent des compositions flottantes qui exploitent toutes les techniques de la perspective.
D’où ses différents motifs évanescents qui semblent souvent en suspension dans une zone d’apesanteur.
Dans cette dernière toile, l’artiste crée un espace également magique et avec toujours ces formes organiques qui flottent et une perspective de la profondeur. Et cela grâce à ces agencements de motifs qui virevoltent et semblent parfois se dissimuler sournoisement. Tout cela conduit à une beauté presque irréelle proche de l’austérité minimaliste. Mais une question demeure: ce besoin de retourner à la beauté n’est-il pas anachronique de nos jours ?
Actuellement l’art ne prétend plus séduire car la “Beauté boite” selon Jean Cocteau! Pourtant l’affirmation selon laquelle “la beauté sauvera le monde “ de Dostoïevski n’a jamais été aussi vraie et justifiée de nos jours. Ce message est notamment porté et magnifié par des artistes qui comme G.Bottazzi hisse le monde grâce à cette attirance vers le beau.
Même si le propre de l’art contemporain est avant tout de questionner voire de scandaliser, l’art restera toujours fondamentalement une manifestation de la beauté liée à la passion.
A ce titre il paraît utile de rappeler les propos de Bernard Bro sur la passion des artistes:
“La passion des artistes n’est pas celle des saints.
Cependant c’est quand même une “passion”.
De génération en génération, elle est plus forte qu’eux, et ils rappellent que la quête du beau commence par un effroi, par le vertige de cette solitude que connaît tout homme livré à sa liberté.
Un jour celui qui voit que “la vie ne vaut rien”, découvre aussi que “rien ne vaut la vie” “.
(Bernard Bro, La beauté sauvera le monde, ed. Cerf,1990, p.364)
Christian Schmitt
le site web de G.Bottazzi