Partagez sur "« Sortir du Bataclan » : Un témoignage époustouflant"
Publié aux éditions Bréal, Sortir du Bataclan est un ouvrage mêlant à la fois le témoignage et la réflexion. Co-écrit par Charles Nadaud, Anne-Clémentine Larroque et Jean-Baptiste Guégan, ce livre est une analyse à la fois précieuse et terrible de l’attentat survenu le 13 novembre 2015. Qu’il me soit exceptionnellement permis d’employer la première personne pour évoquer l’épreuve d’un ami.
« Je serre la main de l’officier qui nous a libérés et le remercie. L’émotion se lit dans ses yeux. Lorsque je lui demande comment ça s’est passé pour les autres, il répond que nous avions sans le savoir la meilleure planque. J’ajoute ironiquement qu’à l’overdose de plomb, nous avons préféré le cancer lié à l’amiante du toit. Nous sourions ». Tout Charles Nadaud est résumé dans ces quelques lignes. La gravité et l’humour. La réserve et la rigolade. Celles et ceux qui le connaissent depuis l’université, qui l’ont vu arriver le matin à la bibliothèque avec son piercing à l’arcade et Albert Camus dans la poche de son manteau, ne seront pas surpris par le ton de son témoignage qui fait autant couler de larmes qu’il fait éclater de rires.
« Bien au chaud dans mon appartement, j’étais figé. Le terrorisme s’invitait dans ma petite vie. Ma copine. Mon pote. Et les autres ? »
Le soir de l’attaque du Bataclan par une horde de fous d’Allah, nous étions quelques anciens camarades (dont son ami d’enfance Pascal, alias Andrés Rib, qui s’entretiendra avec Charles peu après les évènements dans ces colonnes) à recevoir un message de sa part pour nous indiquer qu’il était caché sous les toits du Bataclan. Affalé dans mon canapé à regarder le match de l’équipe de France, davantage préoccupé par ma bière pas assez fraîche que par les centres de Patrice Evra, j’ai comme beaucoup été au courant de cette série d’attaques meurtrières via Twitter. Déjà pétrifié parce que ma copine se trouvait au Stade de France, mon sang se glace lorsque je reçois le message de Charles. Je lui réponds sur le ton de la drôlerie, parce que notre bande de copains communique comme cela depuis dix ans.
A chaque épreuve, on plaisante (parfois très lourdement), pour exorciser le chagrin. Pas de pathos entre nous. Alors je lui écris quelque chose comme ça : « Courage, tiens bon quelques instants et ensuite tu seras un héros et on fera un film sur toi. Essaie de planquer des gens ». Mais bien au chaud dans mon appartement, j’étais figé. Le terrorisme s’invitait dans ma petite vie. Ma copine. Mon pote. Et les autres ? Les réseaux sociaux s’agitent. Nous continuons d’échanger jusqu’à tard dans la nuit, mais comme pour effacer ce souvenir, j’ai depuis supprimé ces messages.
Un témoignage unique sur le Bataclan
Ces SMS, d’ailleurs, échangés avec sa femme ou avec ses amis, sont parsemés tout au long de son récit. Souvent au second degré, ils tranchent avec la précision clinique de certains faits. En le lisant, sans décrocher une seule seconde tant ses mots sont forts et la « narration » haletante, j’ai revécu nos échanges qui auraient pu être les derniers.
« Les quelques citations de ses groupes de rock favoris rendent impeccablement l’ambiance de ce soir qui aurait dû se finir comme tant d’autres, dans l’ivresse des guitares et les litres d’Heineken ».
Lorsque les tueurs sont entrés dans la salle, Charles était au balcon avec un ami. Ils ont pu prendre une sortie et se cacher dans le faux plafond. Juste le temps de voir les corps dans la fosse tomber comme lorsque le vent « balaie un champ de blé », avant de tout entendre. De tout imaginer. Jusqu’à l’assaut des forces de l’ordre. Jusqu’à la prise en charge par les secours. Jusqu’aux séquelles de ce traumatisme qu’il n’osera pas s’avouer tout de suite.
La force de son témoignage est en cela terrible : il est impossible de fermer ce livre. Page après page, par voyeurisme peut-être, on est littéralement au Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Les quelques citations de ses groupes de rock favoris rendent impeccablement l’ambiance de ce soir qui aurait dû se finir comme tant d’autres, dans l’ivresse des guitares et les litres d’Heineken, mais qui se prolonge dans la tragédie parce qu’une bande de petits lâches écervelés ont décidé de punir du kuffar.
On regrettera simplement le milieu du livre avec cette tentative d’analyse géopolitique (« padamalgamiste » diront certains) très doctrinales qui tranchent avec la force du récit de l’attaque. La troisième partie de l’ouvrage est un dialogue sur les suites de l’attaque, à travers lequel Charles Nadaud et Jean-Baptiste Guégan prennent de la hauteur et s’expriment sur la politique. N’y attendez rien de sulfureux, d’ailleurs. Posément, Charles explique son attachement aux valeurs républicaines et à l’ouverture au monde, mais sans plus choisir un parti. Il m’expliquera par la suite avoir demandé à être radié des listes électorales.
Le monde d’après
Lors de la « Fête des survivants » organisée par ses soins et un autre ami, nous avions de nouveau tenté quelques blagues après quelques verres. Charles n’était pas encore tout à fait « dans l’après ». Il avait ri. Ce que je n’avais pas osé lui dire, toujours parce que nous essayons bêtement de rester des bonhommes, c’est que j’ai prié pour lui. Pendant l’attaque, et après. C’est peu, c’est vrai. J’ai même pleuré. Lors de l’avant-match au Parc des Princes (qui avait malgré tout eu lieu juste après les massacres du Bataclan), les kops avaient déployé des drapeaux avec une tour Eiffel. Un orchestre était venu jouer la Marseillaise. J’ai chanté l’hymne comme jamais jusqu’à la moitié, avant que les sanglots ne m’étranglent. Parce que je pensais à Charles dans sa planque.
« Il faut donc absolument lire ce livre. Pour comprendre, mais aussi se forcer à revivre ces instants dégueulasses ».
Comme pour le 11 Septembre, comme pour Charlie, nous savons toutes et tous ce que nous faisions à l’instant précis de la nouvelle. Mais depuis les attaques du World Trade Center, l’étau se resserre. Beaucoup ont perdu des amis, des proches, dans cette salle de concerts ou bien sur les terrasses des cafés (nous pensons ici à Christophe, à qui Guillaume Duhamel écrira ces lignes).
Il faut donc absolument lire ce livre. Pour comprendre, mais aussi se forcer à revivre ces instants dégueulasses. La France a connu des épreuves bien pires, elle triomphera de ces faibles d’esprit, de ces couards qui, déjà petits, certainement, devaient se mettre à plusieurs pour dépouiller et tabasser un plus jeune qu’eux. Cette prière que j’évoquais dans ma lettre à la France, je ne parviens toujours pas à le formuler. Je préfère de loin chanter ces quelques paroles d’AC/DC avec Charles : « If you think it’s easy doit’ one night stands / Try plain’ in a rock roll band / It’s a long way to the top / If you wanna rock’n’roll ».