Partagez sur "Sécurité aérienne : quand la France trafique la vérité"
Les enjeux économiques et technologiques sont considérables, ce qui explique pourquoi, parfois, les enquêtes consécutives à un crash aérien de grande ampleur « chargent » plus volontiers les pilotes – qui le plus souvent ne sont plus là pour se défendre – que des avions pourtant pas forcément exempts de tout reproche. Dans deux autres cas impliquant la France, il convenait de ne pas assumer une très probable bavure et de la maquiller afin de ne pas engager la responsabilité de ses très puissants responsables. Focus sur six drames aériens à conjuguer au plus que suspect dans lesquels le rôle des autorités françaises s’est révélé pour le moins trouble.
Un an presque jour pour jour après le crash du vol 9525 de la Germanwings, décidé par un copilote dont le cas relevait de la psychiatrie, deux ans après la prétendue disparition du vol MH370 de Malaysian Airlines, une affaire invraisemblable qui a accouché d’une multitude de théories plus ou moins plausibles et dont la quasi-totalité viennent d’être battues en brèche par la journaliste Florence de Changy dans un ouvrage brillant, la sécurité aérienne, par-delà l’essor du trafic et le recul statistique du nombre d’accidents, reste un sujet capital.
Un sujet passionnant et complexe aussi, où se mêlent des intérêts divergents, la crédibilité d’un avionneur et/ou d’une compagnie aérienne en premier lieu, face à la quête de vérité de familles endeuillées.
Un sujet passionnant et complexe aussi, où se mêlent des intérêts divergents, la crédibilité d’un avionneur et/ou d’une compagnie aérienne en premier lieu, face à la quête de vérité de familles endeuillées. Celle-ci n’est pas toujours à bonne à dire, voire inavouable, et il n’est pas rare que les conclusions des enquêtes officielles, fruits de longs mois d’investigations et autres recoupements (en sus, parfois, de recommandations qui découlent directement de la notion de retour d’expérience, fondamentale en aéronautique), laissent ces dernières circonspectes – doux euphémisme. Entre témoignages passés sous silence, subterfuges divers en aval, intimidations, intoxications voire pressions sur le BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la Sécurité de l’Aviation civile), qui en France a le tort immense de dépendre directement du ministère des Transports, la sûreté aérienne est tout sauf un microcosme d’enquêteurs imperméables aux injonctions émanant des plus hauts niveaux de l’Etat.
Le vol 1611 d’Air France, 11 septembre 1968
Le 11 septembre 1968, une Caravelle SE-210 décolle d’Ajaccio pour Nice. Un vol court, avec une météo favorable, en dépit d’un ciel assez nuageux, tout ce qu’il y a a priori de plus routinier. L’aéronef, qui transporte 89 passagers parmi lesquels le général René Cogny et six membres d’équipage, n’arrivera cependant jamais à destination. Officiellement, un feu à l’origine indéterminée s’est déclaré à l’arrière de l’avion, vraisemblablement dans les toilettes, avant de se propager à la cabine. Incontrôlable, la Caravelle s’écrase dans la Méditerranée, au large du Cap d’Antibes.
Cette version, de nombreux proches des disparus n’y croient pas. Parmi eux, les frères Paoli, dont les parents Ange-Marie et Toussainte se trouvaient à bord. Aujourd’hui encore, quarante-sept ans après les faits, ils se battent pour leur mémoire.
La Caravelle a décollé à 10h05. Vingt-cinq minutes plus tard, alors qu’elle est à environ 20 milles nautiques de Nice, le commandant de bord Salomon rapporte des « ennuis » et réclame une « approche directe » sur la métropole azuréenne dans l’optique d’un atterrissage d’urgence. Il indique au contrôle aérien avoir le feu à bord. Son dernier message, à 10h33 et 28 secondes, glace le sang : « Feu à bord. Nous allons êtres obligés de crasher. Nous… Nous… »
« De la Caravelle tombée dans une zone de grande profondeur, sont récupérés huit tonnes de débris, soit à peine 15% de l’ensemble », rappelait Corse-Matin à la veille du quarantième anniversaire de cette catastrophe. Repêchées très tard, après un séjour prolongé dans l’eau de mer, les boîtes noires, elles, sont inexploitables…
Le ministre de la Défense de l’époque n’est autre que Michel Debré, le père de la Constitution de la Vème République, un ancien Premier ministre et, par-dessus tout, un très proche du Général de Gaulle, lequel a finalement « survécu » aux événements de mai et triomphé lors des élections législatives. Un intouchable donc qui, de toute sa puissance, d’un communiqué à en-tête sec comme un couperet publié quelques mois après le drame, balaie les rumeurs insistantes d’un tir de missile sur la Caravelle, sans pour autant parvenir à les dissiper.
Il faut dire que des exercices militaires avaient alors lieu dans la région, en particulier pour tester le missile Masurca qui, depuis l’île du Levant, distante de 75 kilomètres du cap d’Antibes, n’aurait néanmoins pas pu atteindre la Caravelle. A-t-il pu être tiré d’un autre endroit ? Toujours est-il qu’à compter de 1960, la mise au point dudit missile, d’une portée de 55 kilomètres, s’est poursuivie sur le navire « Île d’Oléron », un bâtiment d’expérimentation tout spécialement aménagé. En tout, 50 tirs ont été réalisés jusqu’en… 1968 et la validation opérationnelle du Masurca. Il va sans dire que son implication dans la destruction d’un avion civil aurait eu raison de son avenir et été synonyme de l’engloutissement de sommes astronomiques.
En décembre 1972, un rapport officiel établit, péremptoire, que « la perte de la Caravelle (a eu) pour cause un incendie d’origine indéterminée dans la cabine ». Le ministère de la Justice prononce un non-lieu l’année suivante. Les pouvoirs publics ne sont cependant pas certains de ne pas être rattrapés un jour par ce que les frères Paoli soutiennent être la vérité. Document à l’appui (des avis de tirs publiés dans la presse locale de l’époque), l’AFVCAN (Association des familles des victimes de la Caravelle Ajaccio-Nice) a en effet démontré que « des tirs ont bien été effectués dans la zone du crash, entre 8h30 et 18 heures le 11 septembre« .
Surtout, la justice a fini par rouvrir le dossier en mars 2012. Une vraie victoire pour les Paoli, quelle que pourrait être l’issue de la procédure, considérant qu’une précédente demande de réouverture de l’instruction sur la foi de nouveaux témoignages avait été rejetée par le parquet de Nice cinq ans auparavant. Leur plainte pour « homicides involontaires » avait été classée sans suite par le procureur de la ville, Eric de Montgolfier, quelques mois après que la ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie, a décidé de lever le secret défense.
Depuis, des langues se sont déliées, dont celle d’Etienne Bonnet, un chef de chantier qui, le jour du crash, se promenait sur le port de Golfe Juan (Alpes-Maritimes) muni de puissantes jumelles. « J’ai regardé la Caravelle qui était en approche et j’ai aperçu une lumière bleue pénétrer dans le réacteur gauche », a-t-il relaté, donnant crédit à la thèse d’un élément extérieur venu heurter l’avion. Bernard Famchon a de son côté rapporté, alors qu’il effectuait son service militaire dans une caserne de Suippes (Marne), avoir entendu un gradé se confier à l’un de ses collègues. Sous l’emprise de la boisson, « il disait qu’il était présent sur une base de tir le jour de l’accident et que c’était un de leurs missiles qui avait détruit la Caravelle ». Le témoignage de Michel Laty est peut-être plus fiable encore, lui qui faisait son service militaire à la Préfecture Maritime de Toulon en 1968 et a indiqué peu avant sa mort avoir tapé un rapport classé « Secret défense » attestant que le vol AF 1611 avait bien été touché par un missile…
Dans un autre registre, une hôtesse de l’air qui a officié chez Air France a enfin assuré que le personnel était « très bien formé » au maniement des extincteurs pour faire face à un incendie.
Certains ont-ils eu besoin de soulager leur conscience à l’approche de l’ultime soupir ? Des militaires ont-ils été contraints de servir une version qui disculpe l’armée ? Une chose est sûre : aucun pays n’a jamais, dans toute l’histoire de l’aéronautique, assumé « spontanément » la responsabilité d’un tir de missile accidentel contre un avion civil. Dans le cas du vol KAL 007, abattu par l’URSS en 1983 alors qu’il s’était égaré, délibérément ou non, et violait son espace aérien, les Soviétiques ont été confondus par des enregistrements sans équivoque. De même, les Etats-Unis – qui ont été condamnés, mais ne se sont jamais excusés de leur grave méprise – ne pouvaient faire autrement que d’admettre leur responsabilité dans le crash de l’A300 vol 655 d’Iran Air, détruit par l’USS Vincennes, qui l’a confondu avec un F14 iranien, alors que la guerre Iran-Irak touchait à sa fin.
Des soupçons semblables à ceux entourant la Caravelle précitée ont pesé sur le vol TWA 800, un Boeing 747 qui a littéralement explosé en juillet 1996 peu après son décollage de New York, mais les Etats-Unis ont toujours réfuté eux aussi la thèse d’un missile, quand bien même des exercices militaires se déroulaient au moment du drame. On signalera enfin que la Russie et l’Ukraine ne se disputent pas la paternité du tir de missile BUK qui a eu raison du Boeing 777 MH17 de la Malaysian Airlines effectuant la liaison Amsterdam-Kuala Lumpur le 17 juillet 2014. Tout comme la France et les Etats-Unis ne disputeront jamais la paternité du missile venu frapper un DC9 d’Itavia près de l’île d’Ustica…
La tragédie d’Ustica, 27 juin 1980
Une tragédie hors norme se joue en cette belle soirée d’été, alors que l’Italie traverse une période trouble surnommée « Les années de plomb ». Dans ce contexte de violent activisme politique, avec des extrêmes remontés comme des pendules et qui n’hésitent pas à frapper des civils, la thèse d’une bombe paraît vraisemblable. Est-ce à cause d’un engin explosif que le DC9 d’Itavia effectuant la liaison Bologne-Palerme s’est abîmé en mer Tyrrhénienne, non loin de l’île d’Ustica, peu avant son arrivée ? Dans le cas contraire, l’avion a-t-il été abattu par erreur, « coupable » d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment ?
Les responsables de ce crash n’ont en tous les cas jamais été formellement identifiés et une théorie alternative des plus crédibles a émergé : celle d’un tir de missile qui devait cibler l’avion dans lequel se trouvait le très gênant Mouammar Kadhafi.
Les 81 personnes à bord, dont quatre membres d’équipage, trouvent la mort dans ce que la presse ne tarde pas à surnommer « Il strage d’Ustica » (« Le massacre d’Ustica »).
En ce début de décennie, le Raïs, qui dirige la Libye d’une main de fer depuis onze ans, est l’ennemi déclaré de plusieurs pays au premier rang desquels la France. Valéry Giscard d’Estaing rêve secrètement d’avoir la peau de cet agitateur par ailleurs ami du président du Tchad Goukouni Oueddei, qui bientôt suscitera l’ire de la communauté internationale et de Paris en particulier en annonçant la fusion de son pays avec la Libye. De quoi mettre à mal les intérêts français de la région et donner du travail aux services secrets.
De leur côté, les Etats-Unis sont dirigés pour encore quelques mois par Jimmy Carter, un président démocrate davantage attaché au respect des droits de l’Homme qu’au renversement de despotes encombrants et qui, surtout, reste sur un échec cuisant, dévastateur pour sa cote de popularité et de nature à réfréner bien des initiatives : l’intervention héliportée menée pour tenter de libérer des otages de l’ambassade américaine à Téhéran. La neutralisation de Kadhafi ne fait a priori pas (ou plus) partie de ses desseins.
Les 81 personnes à bord, dont quatre membres d’équipage, trouvent la mort dans ce que la presse ne tarde pas à surnommer « Il strage d’Ustica » (« Le massacre d’Ustica »). Six ans après le drame, le ministre italien du Trésor et vice-président du Conseil Giuliano Amato ordonne le déblocage de fonds pour que l’Ifremer (Institut Français de recherche pour l’exploitation de la mer) exhume le fuselage, immergé à 3 700 mètres de profondeur. Des traces d’explosifs sont détectées, ce qui achève de balayer la thèse d’un simple accident.
L’année suivante, la Commissione Stragi est formée. Chargée d’enquêter sur les attentats commis en Italie, elle s’auto-saisit du dossier et dénonce un attentat, avant d’archiver le dossier, qui revient spectaculairement sur le devant de la scène en 1999.
Selon une enquête du magistrat italien Rosario Priore, l’avion aurait en effet été la cible d’un missile tiré par erreur lors d’un combat aérien mettant aux prises des avions de l’OTAN et des MiG libyens. Deux d’entre eux se sont il est vrai envolés le 27 juin 1980 de Yougoslavie pour retourner en Libye et l’épave d’un MiG-23 Flogger a été découverte vingt jours plus tard en Calabre. Le Raïs, dont la vie a été un roman à bien des égards, aurait-il pu se trouver à bord d’un de ces MIG ? Plus plausiblement, ces derniers auraient-ils pu assurer la protection d’un président libyen qui aurait voyagé dans son propre avion ? Les forces de l’OTAN auraient-elles pu être informées de la présence de Kadhafi dans la zone ?
Les regards se tournent vers les Etats-Unis, qui officiellement jouent la carte de la transparence. « Mais lorsqu’ils expliquent les mouvements du porte-avions USS Saratoga, ils s’enlisent dans une série de contradictions. Selon le Pentagone, le porte-avions se trouvait dans la rade de Naples, ses radars éteints pour ne pas brouiller les fréquences de la télévision italienne. Un porte-avions américain avec les radars éteints, justement ce jour-là ? », s’est interrogé Le Monde diplomatique en juillet 2014. Et de poursuivre: « puis on apprend que les bandes d’enregistrement des radars secondaires ont été livrées à un commandant de la VIe flotte qui s’est présenté à bord le matin du 28 juin, et ont depuis disparu. Tout comme l’original du livre de bord. Détruit et réécrit au propre, sans aucune annotation particulière. »
De telles négligences semblent suspectes, et en admettant que le tir fatal ne soit pas américain, « on peut soupçonner une implication indirecte des Etats-Unis, du moins par leur volonté de couvrir la France », persiste le mensuel.
Car la France pourrait bien avoir quelque chose à se reprocher dans cette tragédie, sinon être sa principale responsable. D’après ses déclarations officielles, il n’y avait aucun chasseur français dans le ciel d’Ustica au moment où le DC9 d’Itavia s’est écrasé et les chasseurs de la base de Solenzara auraient terminé leurs vols autour de 17 heures. Problème de taille : la transcription de la bande magnétique du radar de Poggio Ballone, sur la côte toscane, a révélé des traces d’avions de chasse qui décollent de la base corse bien après minuit. Deux d’entre eux se dirigeaient même vers le sud de la mer Tyrrhénienne peu avant le massacre, ce qui change bien sûr radicalement la donne.
L’officier qui commandait la base le 27 juin 1980 est décédé peu après d’un infarctus. Le sous-officier qui était devant l’écran s’est pour sa part suicidé le 30 mars 1987 en se pendant à un arbre. Des juges italiens se sont intéressés au cas de cet homme qui, d’après leurs travaux, était persuadé d’être visé par les services secrets du redoutable comte Alexandre de Marenches, patron du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) au moment de la catastrophe. Ces morts très suspectes ne pouvaient quoi qu’il en soit pas mieux tomber pour court-circuiter d’éventuelles investigations supplémentaires de nature à établir de nouvelles responsabilités.
En tout, une vingtaine de décès douteux ont suivi le drame d’Ustica. Le rapport de l’OTAN a, lui, entériné la présence d’un porte-avion occidental (français ou américain) dans la zone du drame ainsi que celle de onze avions militaires, dont un AWACS américain équipé d’un radar très puissant et qui a de fait probablement tout vu.
En février 2007, l’ancien président de la République Francesco Cossiga, qui était chef du gouvernement au moment de la tragédie, a affirmé que l’appareil ayant neutralisé le DC9 d’Itavia était français. « Il le tiendrait du chef des services secrets italiens de l’époque », a relaté Le Figaro en juin 2010.
Fortement suspectée depuis plusieurs années, la France a à ce jour répondu à… quatorze commissions rogatoires ayant trait aux vols possibles d’avions français partis de la base de Solenzara en Corse ou du porte-avions Foch. Elle persiste à nier des mouvements d’aéronefs aux abords d’Ustica dans la soirée du 27 juin.
Désireux de faire la lumière sur les attentats perpétrés lors des « années de plomb », le président du Conseil italien Matteo Renzi a de son côté ordonné la déclassification de nombreuses archives en avril 2014, peu après son accession à la fonction suprême, un geste qu’il motive par « un devoir de mémoire envers les citoyens et les proches des victimes ». Un geste dont il n’est cependant pas écrit qu’il suffira à résoudre le mystère.
La catastrophe d’Habsheim, 26 juin 1988
La compagnie a obtenu une dérogation pour survoler la piste à très basse altitude avec des civils à bord.
C’est peu de dire qu’Airbus a beaucoup misé sur l’A320, son dernier né, un bijou de technologie qui consacre le triomphe de l’informatique embarquée. Cet appareil révolutionnaire pour les pilotes a vocation à incarner l’aviation civile de demain. Il a effectué son premier vol en février 1987 et a été mis en service en avril de l’année suivante.
Deux mois plus tard, le 26 juin, se tient un meeting aérien à Habsheim, dans le sud de l’Alsace. La star de cette manifestation est un A320 d’Air France qui a décollé de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. La compagnie a obtenu une dérogation pour survoler la piste à très basse altitude avec des civils à bord. Michel Asseline est commandant de bord sur ce vol 296 qui va défrayer la chronique, avec Pierre Mazières à ses côtés.
L’avion se présente trains d’atterrissage et volets sortis, il évolue à trente mètres de hauteur et à très basse vitesse au-dessus du petit aérodrome haut-rhinois. L’A320, qui transporte 130 passagers et six membres d’équipage, devra regagner de l’altitude avant de prendre la direction du Mont-Blanc. Las ! L’ordinateur de bord, qui redoute un décrochage alors que le nez de l’avion est très cabré, nettement au-delà d’une manoeuvre classique d’atterrissage, va à l’encontre des décisions de Michel Asseline, lequel tire en vain sur le manche de l’avion pour reprendre de l’altitude. C’est le drame, filmé par de nombreux spectateurs. L’A320 s’enfonce dans la forêt voisine, sa queue heurte des arbres et un bruit sourd se fait entendre. Très vite, un incendie se déclare. L’accident fait 3 morts et sème immédiatement le trouble sur la fiabilité de l’A320, avion de conception nouvelle qu’Airbus a qualifié de « plus sûr du monde ». C’est la panique tant chez l’avionneur que chez les autorités françaises.
« J’ai voulu remettre les gaz, mais ça n’a pas répondu », soutient Michel Asseline, dont les propos font énormément de tort à Airbus. Le rapport officiel d’enquête incrimine cependant le pilote et non sa machine. Condamné plus tard à 6 mois de prison ferme (10 mois après son appel) et 12 mois avec sursis, Michel Asseline a également déclaré que l’altimètre indiquait 100 pieds alors que les vidéos du crash montrent que l’appareil se trouvait environ trois fois plus bas.
Dans les jours qui suivent l’accident, Airbus se défend et rapporte avoir signalé tout récemment à Air France dans un bulletin officiel qu’il était possible de rencontrer ces deux problèmes. Un bulletin que la compagnie n’avait pas jugé bon de transmettre aux pilotes, ce qui ne veut surtout pas dire que l’A320 est en soi au-dessus de tout soupçon…
Les enjeux commerciaux sont immenses et les autorités font main basse sur les deux boîtes noires, qui sont intactes et donc parfaitement exploitables. La DGAC (Direction générale de l’aviation civile) s’en empare et les remet à la police dix jours plus tard. Le temps de trafiquer ce qui pouvait l’être pour décharger Airbus de toute responsabilité ? Tout porte en tout cas à croire qu’elles ont été ouvertes et manipulées dans la mesure où elles comportaient de 4 ou 8 secondes de « blanc » pour le moins curieuses au moment de l’impact. Les arbres de la forêt ont quant à eux été coupés, ce qui, c’est un fait, empêche de mesurer la hauteur de l’obstacle des arbres qui ont « accroché » l’avion.
Très véhément au départ, Michel Asseline est depuis rentré dans le rang. Condamné à de la prison avec sursis, Pierre Mazières a quant à lui poursuivi normalement sa carrière à Air France. Parce qu’il a « fermé sa gueule », dixit Michel Asseline, selon lequel il aurait été passé à tabac par des faux policiers au domicile parisien de sa maîtresse, laquelle se serait vue raser la moitié du pubis en guise d’intimidation ? Etant marié, Pierre Mazières n’a pas déposé plainte et a obéi. De son côté, Michel Asseline est sorti de prison ruiné, rapporte le journaliste aéronautique François Nénin dans son ouvrage Ces avions qui nous font peur. Ne pouvant plus voler en France, il a été carreleur avant de revoler à l’étranger dans l’aviation d’affaires.
Louis Mermaz a en outre porté plainte contre Norbert Jacquet, qui l’a accusé d’avoir participé personnellement à une substitution d’enregistreurs après l’accident d’Habsheim.
Norbert Jacquet n’a pas eu cette chance. Ce pilote qui officie chez Air France sur Boeing 747 s’est immédiatement inscrit en faux contre la version officielle, qui dénonce une « hauteur de survol du terrain très faible, et inférieure à celle des obstacles environnants ; une vitesse très lente, en régression pour atteindre l’incidence de vol maximale possible » ainsi qu’une « remise des gaz (trop) tardive ». Norbert Jacquet a chargé Airbus frontalement et est allé jusqu’à remettre en cause la conception-même et la certification de l’A320.
Mis à pied pour des motifs psychiatriques, il s’est ensuite vu retirer définitivement sa licence de pilote, alors même qu’aucun expert n’avait rien constaté d’anormal. Ministre des Transports au moment des faits, Louis Mermaz a en outre porté plainte contre Norbert Jacquet, qui l’a accusé d’avoir participé personnellement à une substitution d’enregistreurs après l’accident d’Habsheim. Auteur en 1994 d’un livre au vitriol, intitulé Airbus, L’assassin habite à l’Élysée, il se dit aujourd’hui SDF, mais continue d’envoyer de nombreux mails dans lesquels il dénonce, avec la même vigueur, l’attitude générale des autorités françaises s’agissant des accidents aériens. Celui de l’AF447 est son nouveau cheval de bataille et l’enquête serait selon lui un autre mensonge d’Etat. A-t-il fait de cette posture contestataire un fond de commerce ? Le fait est que la version officielle, qui incrimine elle aussi les pilotes, semble également sujette à caution à bien des égards.
Quant à l’A320, il est bel et bien devenu le succès commercial espéré. Plus de vingt-cinq ans après sa mise en service, sa version NEO (« New Engine Option »), moins énergivore, est même un blockbuster inédit dans l’histoire des constructeurs aéronautiques.