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Le tramway, symbole du renouveau de la cité girondine, traverse sans bruit la ville, faisant entendre par moment son tintement strident afin d’avertir le piéton imprudent. La cathédrale Saint-André lance ses flèches vers le Ciel tandis que de jeunes femmes au teint hâlé, parfaitement coiffées et hissées sur d’élégants talons s’empressent de traverser la grande place qui s’étend devant le Palais Rohan, désormais siège de l’indéboulonnable maire de la ville, Alain Juppé. Bordeaux est une belle carte-postale. Les Bordelais, fiers de leur ville, encensent leur maire qui, à n’en pas douter, obtiendra un nouveau succès aux prochaines élections.

Pourtant ce dernier a commis un impardonnable crime : il a fait disparaître l’âme de Bordeaux. Bordeaux n’est plus qu’un vaste – et propre – désert culturel. La culture est étranglée. Elle ne parvient plus à respirer. Quelques musées, pourtant bien organisés, tentent de survivre à Bordeaux. Les théâtres et les compagnies, écrasés par les immenses machines subventionnées du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine (TNBA) et de l’Opéra,  tentent de (sur)vivre. Encore faut-il trouver une salle ou une scène.

La culture bordelaise de Roger Lafosse à Alain Juppé

Pourtant fut un temps où la culture à Bordeaux était florissante. Un exemple ? Le festival SIGMA, créé par Roger Lafosse en 1965 et qui s’éteignit petit à petit jusqu’à disparaître en 1996, sous les coups de butoir répétés du maire Alain Juppé. Ce festival donna ses lettres de noblesse à Bordeaux sur la scène européenne et, parmi les milliers d’événements artistiques qui se déroulèrent à Sigma durant ces trente années, citons la troupe de Zingaro, le Living Theatre, Jan Fabre, la troupe du Grand Magic Circus, Merce Cunningham, le Groupe 33 ou encore Miles Davis. Inutile de multiplier les exemples. L’énumération de ces noms ne fait qu’aggraver la faute commise par les instances municipales. Le CAPC  musée d’Art contemporain de Bordeaux consacre ainsi à ce festival magique une exposition constituée d’archives sonores et visuelles. Tel est le destin de la culture bordelaise : elle se meurt désormais dans les musées.

Le feu est entretenu par quelques femmes et quelques hommes qui continuent à pratiquer leur art coûte que coûte, dans des lieux parfois incongrus et peu pratiques. Mais ils entretiennent ce feu qui fit les grandes heures de Bordeaux. Ce sont à ces gens que je veux ici rendre hommage, à ces compagnies théâtrales qui créent en permanence, qui survivent avec l’aide de maigres subventions, à ces artistes qui répandent l’art dans les établissements scolaires, parfois dans des conditions misérables. Pendant ce temps l’Opéra de Bordeaux reçoit, de façon éhontée, des millions d’euros pour subventionner la venue d’artistes capricieux qui ont pris l’habitude de monnayer leur talent. La culture, à Bordeaux, est affaire de gros sous. Il faut que la vitrine culturelle soit clinquante. Peu importe la qualité. Le TNBA ne propose que peu de créations. Dominique Pitoiset, ancien directeur de cette structure administrative, nous a offert une adaptation – je dis bien adaptation et non représentation – pitoyable du Cyrano d’Edmond Rostand. Et il nous ressert cette ordure mal réchauffée cette année encore, avant de la répandre dans toute la France.

Il est temps de prendre une décision. Et il est temps de redonner sa place à l’art et au spectacle vivant. Bordeaux a trop attendu.

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

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