Partagez sur "Charles Baudelaire : par-delà le bien et surtout le mal"
Les éditions Perrin publient une impressionnante biographie consacrée à Charles Baudelaire. Nul doute que cet ouvrage fera date dans l’histoire de la recherche littéraire. Marie-Christine Natta nous livre une vie du poète riche en révélations et en détails.
A en croire les vitrines et les avis dithyrambiques des libraires, la nouvelle biographie de Baudelaire est un véritable succès. Nous ajouterons que ce dernier est mérité. L’exercice était pourtant périlleux, mais Marie-Christine Natta transforme l’essai avec brio. Il y avait deux écueils majeurs : verser dans le psychologisme pour expliquer l’oeuvre baudelairienne, ou alourdir le propos avec des explications de textes aussi soporifiques comme nos manuels de lycée. L’auteur les évite. Mieux encore, sa plume alerte et agréable nous propose une rencontre inédite avec le dandy grâce à une plongée dans sa correspondance et, aussi, dans celle de ses proches bien plus révélatrices sur l’homme qu’il a été.
« Baudelaire est un beau vase qui a une fissure ».
Soyons francs : le livre est addictif. Il ne s’agit pas d’une collection d’anecdotes que l’on picore de temps à autres entre deux lectures. Non. Dès la première page, nous sommes dans le Paris du début du XIXe siècle, dans les faubourgs mal éclairés et les cabarets bruyants où se mène la mauvaise vie. L’enfant prodige fréquente les grands lycées parisiens, se rêve comédien et prend en grippe son beau-père. Théophile Gautier écrira justement : « Baudelaire est un beau vase qui a une fissure ».
Il fréquente rapidement les auteurs qu’il admire – Balzac, Gautier, Nerval – et découvre les « voluptés du haschich, alors peu connu à Paris ». Le général Aupick, redoutant le « pavé glissant de Paris » pour son beau-fils, décide alors de l’envoyer en voyage sur les mers du Sud. Le périple lui sera insupportable, mais il lui inspirera néanmoins quelques-unes de ses plus belles fleurs maladives.
Du socialiste Baudelaire au dandy antimoderne
Baudelaire n’a pas toujours été aussi méfiant à l’égard du progrès et des révolutions. Son ami Asselineau le confirme : « Baudelaire aimait la Révolution ; plutôt, il est vrai, d’un amour d’artiste que d’un amour de citoyen. Ce qu’il en aimait, ce n’était pas les doctrines, qui, au contraire, choquaient en lui un certain sens supérieur de mysticisme aristocratique; c’était l’enthousiasme, la fervente énergie qui bouillonnait dans toutes les têtes et emphatisait les écrits et les oeuvres de toutes sortes ». Baudelaire a été sur les barricades. L’engagement semble sincère.
« Le dandy est en effet criblé de dettes. Incontrôlable ».
Marie-Christine Natta nous explique : « L’infidélité politique de Baudelaire est un aspect de son dandysme. Un dandy peut, en effet, servir une cause sans se sentir lié à elle pour toujours ». Usant de son droit à la contradiction, Baudelaire découvre notamment Joseph de Maistre et devient « antimoderne », au sens qu’Antoine Compagnon lui confère. Non pas hostile au progrès technique, mais méfiant. Critique.
La mise sous tutelle judiciaire imposée par sa famille demeure sa principale blessure. Le drame qu’il ressasse jusqu’à son dernier souffle. Le dandy est en effet criblé de dettes. Incontrôlable. Tournant le dos à la fois à « l’art pour l’art » comme à la morale, il se concentre sur l’oeuvre de sa vie : Les Fleurs du mal.
Baudelaire et la question du Mal
Le poète n’était pas l’athée militant que l’on se figure. Bien au contraire. Il le confie d’ailleurs dans une lettre : « L’homme qui fait sa prière le soir est un capitaine qui pose ses sentinelles. Il peut dormir », et de poursuivre : « Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Mariette et à Poe, mes intercesseurs; les prier de me communiquer la force nécessaire pour accomplir tous mes devoirs ».
Victor Hugo : « Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de le recevoir ».
En 1857, Les Fleurs du mal sont condamnées pour offense à la morale publique et aux bonnes moeurs en raison de « l’effet funeste des tableaux » qui « dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». Si les termes du jugement prêtent à sourire aujourd’hui, ils n’en ont pas moins blessé Baudelaire. Les juges ne l’ont pas compris, et il regrettera l’incompréhension judiciaire même si elle consacre sa marginalité. Il ne voulait pas afficher une quelconque complaisance avec le Mal, mais plutôt le montrer tel qu’en lui-même. Nu. De Guernesey, Victor Hugo lui écrit : « Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de le recevoir. Ce qu’il appelle sa morale; c’est là une couronne de plus. Je vous serre la main, poète ». La condamnation sera annulée en 1949.
La biographie est passionnante. Baudelaire est un poète enivrant. Mais l’homme est lassant. Hormis Les Fleurs et plusieurs textes majeurs comme Le Spleen de Paris, chaque projet littéraire est avorté. Il ne parvient jamais à combler son déficit, malgré ses promesses. Même son déménagement à Honfleur n’est resté qu’une chimère. Mais tout Baudelaire est là : léger et grave. Poseur et libre. Poète génial et être insaisissable. Ce livre nous en donne la pleine mesure.
Liens
Baudelaire, sur le sites des éditions Perrin
Marie-Christine Natta présente son ouvrage sur Les Voix de l’Histoire
Cours d’Antoine Compagnon sur « Baudelaire, moderne et antimoderne »