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Les éditions Desclée de Brouwer publient un excellent livre de Robert Redeker : L’éclipse de la mort. L’ouvrage ne laisse pas son lecteur indemne car il lui permet ce qu’il y a de plus sain : la réflexion. 

L’origine grecque du mot « éclipse » cache le sens d’abandon, de défection. L’essai de Robert Redeker prend cet abandon de la mort souhaité par l’être humain contemporain comme thème central. Le point de départ du livre est une affirmation posée par l’auteur à laquelle nous devrions tous adhérer ; réjouissons-nous d’avoir à mourir. « La mort a mauvaise réputation » (p.14) et  les hommes et les femmes de notre temps semblent faire leur maximum pour la planquer. Selon Redeker cette disparition est due à la perte de deux sentiments : celui de la détresse et celui du tragique. Sans eux, point de salut, l’homme perd son humanité et aborde le temps du transhumanisme. Restaurer ces deux sentiments est l’objectif affiché par le philosophe. 

Les phobiques de la philosophie contemporaine doivent le savoir : ce court essai surprend par sa facilité d’accès. Malgré un premier chapitre exigeant, où l’auteur dresse un bilan de la place de la mort dans les philosophies et aborde ce qu’il appelle ses paradoxes, le livre se dévore en quelques heures à peine.  Même si la mort subit une mise à l’écart par l’ensemble de la société actuelle, elle n’en reste pas moins une réalité humaine présente en acte ou en théorie dans la vie quotidienne. Le lecteur voit toutes ses certitudes et tous ses préjugés abordés puis interrogés.

Il est des lectures qui vous ennuient et qu’on oublie, celle-ci laissera sans doute des traces dans les esprits.

Un livre à prescrire 

L’auteur prend le temps nécessaire pour expliquer comment notre temps contribue à ôter toute force symbolique à la mort, comment sa définition même a pu changer. 

Que le lecteur se tienne prêt, cet ouvrage lui permettra de repenser son rapport à la mort ou plutôt son absence de rapport à la mort. La postmodernité dans laquelle nous baignons en slip de bain a appris à tous les penseurs que Dieu était mort. En tuant Dieu, tout un pan de spiritualité a disparu. Redeker nous rappelle que la finitude de l’Homme crée une angoisse bien naturelle et que cette angoisse a pu trouver un sens, un réconfort dans les religions et les philosophies, ces « machines à produire ce sens exigé par l’angoisse » (p.23) La position du philosophe brille donc par son honnêteté et sa volonté réelle d’interroger une réalité humaine sans y apporter une réponse déjà prête, déjà cuite. L’auteur prend le temps nécessaire pour expliquer comment notre temps contribue à ôter toute force symbolique à la mort, comment sa définition même a pu changer. 

Les religions du monde pensent la mort comme un passage et non pas comme un point final. Or les sociétés mondialisées en perdant leurs identités profondes ont aussi perdu leurs traditions ; les droits de l’homme, de l’enfant, bientôt sans doute de l’animal font disparaître toutes notions d’évolution d’un stade à l’autre et ainsi rendent caduques les formes de rites de passage des différentes étapes de la vie, y compris la porte de sortie. « L’homme contemporain agit comme s’il était prêt à supprimer le passage initiatique suprême, (…) la mort. » p. 50.

L’auteur aborde même le problème central de l’homme du XXIe siècle. L’omniprésence du « moi », partout, tout le temps. L’imposture générale du monde qui nous entoure apparaît sous la plume parfois acide de Redeker, comme chez Philippe Muray en son temps. L’homme trop épris de lui-même ne peut plus perdre son temps à prévoir sa mort, à l’envisager, ni même à la croire probable. Il court pour la fuir en croyant faire du sport. Les débats actuels sur la fin de vie, l’euthanasie, pose aussi la question selon l’auteur des avantages de la mort. Il ne s’agit plus de l’accepter voire de l’attendre ni de la préparer, mais bien de lui trouver des intérêts par rapport à une situation donnée. Rien d’anormal dans notre monde si utilitariste.  

L’ouvrage de Robert Redeker passe en revue toutes les questions entourant la mort. Ce livre peut aussi faire d’utilité publique : nos aînés pourraient en le lisant retrouver dans la philosophie, dans la réflexion, dans la spiritualité, la place indiscutable que la mort doit avoir dans nos vies. 

La mort, les hommes, les animaux, les livres

La mort, qui fut une fierté patriotique, un passage obligé, une confrontation à la fragilité maladive, une acceptation de notre humanité, cette mort n’est plus présente que malgré nous.

L’auteur inscrit la fin de son essai dans la suite de Martin Heidegger qui dans Acheminement vers la parole réfléchissait sur la qualité humaine de la mortalité. « Les mortels sont ceux qui peuvent faire l’expérience de la mort comme mort. La bête n’en est pas capable. Mais la bête ne peut pas non plus parler. Entre la mort et la parole la relation essentielle scintille le temps d’un éclair mais elle demeure encore impensée » Heidegger envisage donc l’Homme comme le seul être vivant qui meure, là où l’animal périt. Redeker reprend en ajoutant que l’homme seul est gouverné par sa mort. Il n’y a en effet rien d’étonnant dans nos sociétés où la relativité a envahi tous les champs du savoir et de la pensée à voir la mort perdre sa valeur symbolique. 

La mort, qui fut une fierté patriotique, un passage obligé, une confrontation à la fragilité maladive, une acceptation de notre humanité, cette mort n’est plus présente que malgré nous. Le véganisme, qui  s’affiche parfois en sous-partie du transhumanisme fait apparaître une nouvelle relativité : l’homme en ne se nourrissant de produit animal protège et préserve ces espèces. Allez expliquer la pensée d’Heidegger sur les animaux qui ne meurent pas aux militants de l’association L.214 et vous toucherez du doigt l’impossibilité contemporaine. Les hommes se sont éloigné de tous ce qui faisaient leur humanité. On fuit le savoir, on fuit l’éducation, on fuit l’Histoire et la transmission, on fuit l’héritage, on fuit la reproduction sociale, on fuit même sa propre mort en l’évitant. On comprend pourquoi l’auteur du livre dont nous parlons se transforme parfois en Philippe Muray lors de quelques coups d’éclats. « La confiance des chrétiens c’est la résurrection des morts rappelle Tertullien. Notre contemporain, qu’il soit homme ou femme, est hanté par autre chose, de beaucoup moins spirituel, de beaucoup plus matérialiste (…). Radin et sans grandeur, il ne veut pas payer le prix de la mort pour obtenir en échange de l’immortalité. (…) Il ne sait pas, ne sait plus, ou ne veut pas savoir que la mort est une initiation » (p. 49). 

L’homme contemporain ne veut rien savoir, c’est bien son problème. Qu’il lise ce petit livre. Il saura un peu davantage. 

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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