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La rentrée de septembre coïncide avec l’apparition d’un nouveau titre de presse bi-mensuel pour les jeunes. L’Petit Mardi, magazine papier conçu par de très jeunes gens nés dans les années 2000, donne la couleur dès le sous-titre : « Un vent de fraîcheur sur la culture ».

L’Petit Mardi est donc un magazine culturel, vendu au prix modique de quatre vingt dix centimes et dont les auteurs se démarquent par leur jeunesse. Le jour de la parution du numéro 1 du magazine, Guillaume Benech, directeur de publication et élève de terminale à Rouen, séchait les cours pour venir répondre aux questions de Sonia Devillers sur France Inter. Celui-ci, déjà auteur de plusieurs romans pour la jeunesse reçoit de la part des médias sympathiques des surnoms mélioratifs, « l’ado surdoué de l’édition », « auteur et éditeur précoce ». Les choses sont claires, la jeunesse du personnage fait vendre. Que se passera-t-il quand avec son BTS en poche et ses nombreux contacts il entrera dans une grande maison et qu’il deviendra un éditeur normal, comprenez adulte ? Nul ne sait. Sans doute les médias l’auront bien vite oublié ; on est plus assez vendeur après 17 ans.

On découvre enfin que des lycéens peuvent être intelligents, cultivés, ouverts sur le monde, le savoir et avoir un goût pour l’écriture. 

Une jeunesse intellectuelle

La jeunesse n’est pas le seul élément séduisant de l’affaire. On découvre enfin que des lycéens peuvent être intelligents, cultivés, ouverts sur le monde, le savoir et avoir un goût pour l’écriture. En 2017, à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, des jeunes perdant leur énergie dans le papier, dans les mots, dans le journalisme, et dans l’analyse de l’actualité peuvent presque choquer. Paul Léautaud ne choquait pas quand à 23 ans il entrait dans le cercle intime des éditions du Mercure de France. Jean-Jacques Pauvert non plus ne choquait pas vraiment en soufflant ses 19 bougies en éditant au même moment Sartre, Montherlant, puis Sade. Victor Hugo choquait un tout petit peu quand il recevait encore enfant un prix de poésie de l’Académie Française… Considérer avec étonnement ou originalité le fait qu’une partie de la jeunesse de 2017 puisse aimer lire, écrire et réfléchir est une insulte contre laquelle ces marmots devraient se révolter. Au lieu de cela, Guillaume Benech ou la  jeune Philippine Dolbeau, fondatrice à 16 ans de NewSchool, une application pour une meilleure gestion de la vie scolaire dans les établissements, serrent des paluches, reçoivent des prix d’entreprenariat ou participent aux conférences TedX pour expliquer leur réussite.

Être un intellectuel ou souhaiter le devenir en travaillant sans cesse et tenant la haute culture avec estime est une chose, préférer passer pour un bon chef d’entreprise de seize ans en est une autre qui en dit long sur notre temps.

Malgré tout, cette jeunesse française se donne enfin une voix qui diffère des chaînes YouTube ridicules et du Bondy Blog. Enfin la jeunesse de France qui aime lire et écrire le crie aussi fort que les faux rebelles ou les demi clowns.

Les jeunes vieux : enfants d’Emmanuel Macron

Il y a quelques années notre revue publiait quelques lignes sur ces intellectuels au grand âge faisant tout pour plaire aux jeunes connectés du XXIème siècle. Présentement, la réalité s’est inversée : la jeunesse du magazine dont nous parlons se révèle à la lecture, bien sage, conformiste et polie. Lors de son entrevue avec Sonia Devillers, Guillaume Benech a répondu à cette question sur la « sagesse » du magazine en expliquant que la prise de position trop tranchée était un risque pour la durée de la publication. En effet, c’eut été bien courageux d’affirmer une position ferme, surtout lorsque l’on souhaite rester indépendant. Le Nouveau Cénacle en sait quelque chose. C’est ce courage qui n’a pas fait défaut à Jean-Jacques Pauvert quand il fut le premier à publier l’intégralité de l’Histoire de Juliette du Marquis de Sade à 21 ans ! Le numéro 1 du magazine manque d’ambition, tant dans son contenu que dans l’inégalité stylistique des articles.

Les thèmes abordés sont aussi variés que dans un magazine féminin et les articles trop courts manquent de références, comme si le décryptage d’une certaine culture ne demandait pas une analyse profonde. C’est la société du spectacle des situationnistes dans un magazine.

Guillaume Benech fait partie d’une catégorie de jeunes proche de notre nouveau Président. Ils ont des références et une certaine culture, une estime pour le savoir mais cherchent d’abord la réussite de leur petite entreprise. Il n’y a rien de honteux à cela. Mais quand on utilise allègrement sa jeunesse pour faire sa promotion il faut s’attendre au retour du bâton de l’oubli. Macron lui-même a pu reconnaître qu’il avait un côté « jeune vieux ». Avec la présidence de Nicolas Sarkozy la jeunesse a du choisir entre s’opposer vivement ou admettre la supériorité de l’argent, du capitalisme et de la réussite monétaire. En élisant Emmanuel Macron, nous Français, avons donné les clés de la maison au libéralisme complet : la jeunesse hyperconnectée en devient la plus belle représentante. Elle fait ce qu’elle veut, utilise sa propre image, produit avec ses propres moyens, n’attend pas qu’on lui donne les clés mais essaye de les prendre. Elle les demande encore trop poliment.

De manière anecdotique, en écoutant Guillaume Benech sur France Inter définir ce qu’était « le jeune » au singulier, je me suis senti comme Balavoine face à Mitterrand. Guillaume Benech semble avoir tout compris de l’esprit d’entreprise et il l’applique avec intelligence à sa volonté de réussir dans le monde des Lettres. Ce qu’à fait Alexandre Dumas en son temps. Cependant, L’Petit Mardi se lit comme un quotidien gratuit et n’a même pas la dimension nécessaire pour permettre aux clochards de se réchauffer les fesses sur le carrelage du métropolitain.

Contre la fixité de l’age

Malgré son jeune âge, Guillaume sent bon le « c’était mieux avant », et ce n’est pas pour nous déplaire.

La Palisse n’aurait pas refusé cette assertion : l’âge change. Ainsi Guillaume Benech aura bientôt 30 ans et aura sans doute réussi, il a le brushing pour. Philippine Dolbeau elle aussi portera talons hauts et costumes pour dames dans les garden-parties où elle pourra présenter sa nouvelle entreprise. Favoriser le jeunisme ou lutter contre lui paraît dénuer de sens puisque les représentants de la jeunesse finiront eux aussi par avoir des cheveux blancs. De même la sagesse d’un Finkielkraut, d’un Michel Serres ou d’un Alain Badiou n’existe pas en raison de leur âge, mais plutôt grâce à un travail honnête, référencé et profondément intelligent. Ne soyons pas de jeunes écrivains car on ne supporterait pas d’en être de vieux. Guillaume Benech conclut avec demi panache son premier édito d’un beau « Soyez heureux ». Souhait bien naïf au regard de l’état de la culture que son magazine présente. Comment être heureux quand la culture présentée aux jeunes se jouent entre la ronflante Comédie Française, l’inénarrable Amélie Nothomb, le facétieux Kendrick Lamar ou l’azimuté Petit Biscuit ?

La culture rend heureux si ses représentants sont des créateurs courageux, originaux et savants. Le directeur de la publication du Petit Mardi a indéniablement du talent. Hélas, certains de ses collègues n’ont pas sa plume : dans un dossier intitulé « la culture française, une culture internationale » les auteurs décrivent ainsi notre pays,  « Ah, la France… ses élections mouvementées, ses blessures dues au terrorisme, sa crise stagnante ». J’aurais préféré lire quelque chose à propos de clochers d’églises, de grands écrivains, de grands hommes, d’ouverture au monde, plutôt qu’un résumé des six derniers mois. Peut-être est-ce le problème de la jeunesse des auteurs : le manque de  conscience de l’histoire par rapport à l’immédiateté.

Enfin l’apport réel de ce magazine réside dans l’utilisation d’un support papier en complément d’un site déjà existant. Ce choix s’explique simplement par le constat que la jeunesse est encore, notamment par l’école, en contact permanent avec le papier. Peut-être y a t-il du côté de l’homme Benech un aspect conservateur. Malgré son jeune âge, Guillaume sent bon le « quand même c’était mieux avant ». Et ce n’est pas pour nous déplaire.

Si parfois les articles tiennent plus du journal lycéen que d’un véritable titre de presse, la lecture du premier numéro du Petit Mardi est fortement conseillée pour se faire une autre idée de la génération Youtube qui pour une fois choisit les mots plutôt que les tutos.

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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