share on:

Effacé ou sublimé, le moi de l’écrivain est un élément fondamental de la littérature classique ou contemporaine. Sujet de prédilection à travers une oeuvre ou argument de vente, cet ego ne cesse de fasciner.

Les polémiques autour des existences d’Homère ou de Shakespeare ne cessent d’agiter la critique littéraire et pourtant, nous continuons de parler de « L’Odyssée d’Homère » en vertu de cette unité tant stylistique que poétique qui unit l’Iliade et les aventures d’Ulysse. Et le constat est identique concernant Corneille qui aurait écrit des pièces de Molière (et vice-versa) : la notion d’auteur, telle qu’elle est à présent comprise par la critique littéraire, n’est plus cet être de chair parfaitement identifiable mais plutôt un créateur reconnaissable à ses thèmes et à son style. Mais d’Homère à Houellebecq, cette figure a été bouleversée, réinventée, malmenée.

Du moyen-âge à Sainte-Beuve : l’avènement d’une singularité

La littérature médiévale ignore à la fois la création et l’unicité de l’écrivain. Les parutions étaient bien souvent anonymes et le « roman » n’était au final que la traduction des grands mythes en langue vernaculaire, et il a fallu attendre le XVIe siècle et le Gargantua de Rabelais pour voir un auteur se présenter sous le titre, à travers l’anagramme « M. Alcofribas, abstracteur de Quinte Essence ». Grâce à Rabelais, l’auteur se montre pour la première fois comme un être-écrivant, un homme qui revendique la paternité de son ouvrage. Au même siècle, Montaigne se présente dans ses Essais comme la « propre matière de son oeuvre ».

En d’autres termes, Sainte-Beuve tente de percer les secrets d’un livre en étudiant la vie de l’écrivain parce qu’au XIXème siècle, l’œuvre et son auteur sont devenus indissociables. 

Les Lumières, au XVIIIème siècle ont prolongé cette réflexion sur l’individu doué d’une raison singulière, et les Confessions de Rousseau sont l’incarnation de cette exploration du Moi que le romantisme d’abord allemand et anglais puis français exploitera avec génie, grâce aux mémoires de Chateaubriand ou à travers les poésies intimes de Victor Hugo. Cette passion égocentrique se retrouve dans la critique littéraire et dans les textes de Sainte-Beuve qui analyse les œuvres de manière biographique. En d’autres termes, Sainte-Beuve tente de percer les secrets d’un livre en étudiant la vie de l’écrivain parce qu’au XIXème siècle, l’œuvre et son auteur sont devenus indissociables. 

De Roland Barthes aux posters de Marc Lévy

L’auteur est devenu une marque, un visage sur une affiche dans les couloirs du métro, un acteur capable de vendre beaucoup d’exemplaires à condition de réussir sa prestation télévisée.

Au XX ème siècle, la critique structuraliste, emmenée par Roland Barthes, a déconstruit la méthode sainte-beuvienne en proclamant « La mort de l’auteur », à savoir la fin de l’analyse biographique. Il s’agissait dès lors de se focaliser sur le texte et rien que le texte et de le décortiquer grâce à la linguistique, la sociologie ou la psychanalyse (ce qui n’empêcha pas, ô ironie, au maître structuraliste d’écrire Roland Barthes par Roland Barthes).

Et puis la télévision fit son apparition dans les salons,et Bernard Pivot lança Apostrophes, faisant à nouveau de l’écrivain un être incarné, de nouveau au premier plan. Par conséquent, le pouvoir médiatique a pu promouvoir à l’envi des auteurs « vendeurs », comme Marc Lévy, en dépit de l’inconséquence totale de leurs livres. L’auteur est devenu une marque, un visage sur une affiche dans les couloirs du métro, un acteur capable de vendre beaucoup d’exemplaires à condition de réussir sa prestation télévisée.

Mais comme l’indique le Figaro Littéraire dans son édition du 6 novembre (d’après une étude Librinova / Youbox), le nom de l’auteur n’aurait pas d’importance pour 63 % des lecteurs !  Comme le rappelle le journaliste Mohammed Aïssaoui, l’échantillon est faible (594 personnes interrogées), mais le chiffre n’en interpelle pas moins.

Les cartes sont-elles rebattues ? Les structuralistes signent-ils une victoire posthume ? Nul ne peut trancher un débat aussi épineux, tant la perception de l’écrivain a varié dans l’Histoire. Antoine Blondin ne disait-il pas : « On écrit avec un dictionnaire et une corbeille à papiers, tout le reste n’est que litres et ratures » ?

mm

Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

Laisser un message