Partagez sur "Les femmes, le métro et l’heuristique de disponibilité"
Récemment, on a vu Macholand sur le net, Osez le féminisme dans le métro, Hollaback dans la rue, faire la nique à l’homme malpoli au sein de l’espace public. La plupart du temps, elles sont dans le vrai, certains hommes font en effet preuve d’une goujaterie insupportable. Mais entre les pétitions qui répondent à d’autres pétitions, les interprétations de café du commerce à propos de telle ou telle production culturelle, on tombe parfois dans l’égarement. État des lieux.
Avant de nous lancer dans le vif du sujet, arrêtons nous sur une définition de cette heuristique de disponibilité. Ce biais cognitif se manifeste lorsque les individus évaluent la probabilité d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle des exemples instantanément disponibles leurs viennent à l’esprit. Ainsi plus nous avons été exposés à un fait (via la télévision, des lectures, des discussions, un vécu), plus nous surestimons sa probabilité.
Féminisme, transport en commun et heuristique de disponibilité
Nous ne disons pas ici que cela n’arrive JAMAIS, mais qu’entre la réalité et ce que ressentent les femmes, il peut y avoir une certaine disparité.
L’exemple le plus simple est la peur de l’avion par rapport au sentiment de sécurité que procure la voiture, alors que les accidents de la route sont en proportion 100 fois plus nombreux que ceux touchant l’aviation civile. La mini-psychose qui a suivi les crash récents d’Air Algérie et de Malaysia Airlines nous permettent de comprendre les ressorts parfois irrationnels de l’esprit humain. En effet, dès qu’on pense avion, on pense crash, c’est humain ; les représentations télévisées ou cinématographiques jouant aussi leur rôle, c’est une des premières choses qui nous vient à l’esprit.
Vous vous demandez si nous pouvons vous fournir un autre exemple. L’étude réalisée par la fondation Thomson Reuters, sur les femmes dans les transports urbains nous offre l’occasion de donner la mesure de ce biais. Pour la France, on observe un chiffre étrangement parfait : 100% des femmes ont été victimes d’harcèlement dans le métro.
Lorsque cette étude est sortie dans la presse française, on voulait faire de Paris le symbole du machisme intolérable, la honte de l’Occident. Notons d’abord que chaque pays a eu droit à son lot d’articles alarmistes, plus ou moins pertinents, dépendant de la situation locale. Ensuite, sur le cas français, on peut se demander si c’est réellement un symbole ; en supposant qu’il en soit ainsi, quelle est, entre toutes les significations qu’il peut renfermer, celle qui est véritablement la sienne, sans aucun doute possible ? Or, et on va le voir, le rapport entre le signe et la chose signifiée peut être fort éloigné.
Ainsi, si une grande majorité de Parisiennes sont à peu près certaines que les « gens ne viendront pas les aider si elles sont agressées » (Q4), en revanche, à la question « avez-vous déjà été tripotées ou agressées physiquement dans les transports en commun ? » (Q3), elles se situent en dernière place du classement. En effet, Mexico, Bogota, ou Tokyo (malgré tout le calme et la discipline qu’on peut A PRIORI entrevoir chez nos amis japonais) sont devant la capitale française. Nous ne disons pas ici que cela n’arrive JAMAIS, mais qu’entre la réalité et ce que ressentent les femmes, il peut y avoir une certaine disparité.
Par conséquent, en raison de ce phénomène d’heuristique de disponibilité , mais pas seulement, dans l’esprit de certaines femmes, le métro, le bus, voire la rue, sont remplis d’hommes violents et machos. Bref, nos égéries urbaines n’ont, semble-t-il, jamais été aussi oppressées.
Tout cela est relayé par des médias aux abois, où une histoire ponctuelle se transforme en phénomène de société, et permet de discourir sans fin sur les dangers du métro.
On voit donc que ce ne sont pas tant les agressions concrètes qui inquiètent, mais le sentiment de défiance au sein de la société française, et plus précisément en région parisienne. Encore une fois, on semble faire d’un épiphénomène une généralité. En cela, Twitter est un formidable outil de ce biais. Le même lien sera ainsi retweeté des centaines, des milliers de fois, et fait croire ainsi que la singularité d’une occurrence nauséabonde est générale. Le Hashtag permettra aussi de reproduire l’écho à l’infini. Ce n’est qu’une question d’heure pour que le fait – identique – mais répété à l’excès, arrive sur votre « mur » ou « TL ».
Quand David Fincher ose le masculinisme
L’autre biais se situe dans l‘interprétation de productions culturelles qui épouse parfaitement les idées qu’on défend. Osez le féminisme a décidé de s’attaquer à Gone Girl, le dernier film de David Fincher. Pour elles, ce film est le cheval de Troie des tenants de la thèse « masculiniste », et par extension un outil de propagande. On passera sur le fait qu’on choisit un film se situant exactement dans l’actualité pour tenter de faire du buzz, au lieu de tenter d’établir une quelconque histoire de l’iconographie masculiniste. On est dans la stratégie du coup d’éclat.
Qu’est-ce que la propagande, très simplement : «une action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines.» Par exemple, « les juifs veulent dominer le monde ». Cependant, Gone Girl est tiré du livre du même nom écrit par Gillian Flynn, une femme, et ce livre a remporté le Grand prix des lectrices ELLE. Mais pour Osez le féminisme, ça reste de la propagande masculiniste. Car on «ose». On ne reprendra pas ici la célèbre citation tirée des Tontons Flingueurs pour apporter un peu de légèreté au propos, sous peine de se noyer sous une pluie de tweets et d’insultes.
Par ailleurs, pour justifier que c’est effectivement un film de propagande, il faudrait prouver par une démonstration sans faille les intentions de l’auteur ou du réalisateur de modifier sciemment les schémas de pensée d‘une population donnée. J’ai vu le film, et en sortant de la séance, je n’ai ni eu envie d’attaquer, ni d’insulter aucune femme. Ou alors David Fincher est encore plus doué que je ne le pensais.
À côté de ces soldats de la féminité péremptoire, on retrouve des sites de rencontre comme Sugardaddy, what’s your price, ou seekingarrangement. Concrètement, un homme d’âge avancé, riche, seul, choisit de supporter financièrement une personne du sexe opposé en échange de faveurs affectives ou sexuelles. On peut évidemment penser que c’est une dégradation, une ignominie sans nom à l’égard des femmes. Jusqu’à ce qu’on lise leurs témoignages. La plupart sont extrêmement cyniques à ce sujet et y voient un moyen comme un autre de maintenir leurs finances. Tout n’est malheureusement (ou heureusement) pas tout blanc ou tout noir.
L’inéluctable dilution du message
Les « coups d’éclat » en remplaçant d’autres, sur une base hebdomadaire, la consistance du message s’évapore.
Et on se retrouve devant une situation inédite dans les mouvements sociaux, car les diverses associations n’agrègent pas autour d’elles, à chaque cause son groupe, chaque combat son arme. On se créé sa propre escarmouche pour mieux la mener avec des armes qu’on aura créées ex-nihilo pour l’occasion. Ainsi, la taille assez réduite de ces entités fait que justement, il n’y a aucune volonté d’aller vers le compromis. On reste dans l’extrême car on est jamais remis en cause par ses pairs, dans une sorte d’auto renforcement constant. Moins on est nombreux dans un groupe, plus il y a de chances qu’on ait exactement le même avis.
La conséquence est assez funeste, car la kyrielle de groupes, lobbies, et autres mouvements voulant sanctionner tel ou tel manquement à la bienséance dilue le message. Les « coups d’éclat » en remplaçant d’autres, sur une base hebdomadaire, la consistance du message s’évapore.
C’est dommage, car cela ne rend service ni aux victimes, ni à ceux qui se proposent de les défendre.
Évidemment, les campagnes ne s’adressent pas à tous les hommes, mais aux « hommes qui ». Personnellement, je ne me sens aucunement visé par ces gesticulations qui ne règlent rien, bien au contraire. Peut-être aurait-il fallu remplacer le vocable « homme », sans doute un peu généralisant, par « goujat » ou « malotru » ; ç’aurait sans doute été plus subtile. Mais il est vrai que la subtilité passe inaperçue dans les grands médias.
Car précisément, en France, la majorité des hommes ne fait pas cela, même si ceux qui se livrent à ce genre d’actes sont les plus visibles, leurs « exploits » relayés par un bouche à oreille dévastateur. Qui n’a jamais entendu l’histoire du « mec qui se masturbait dans la rame » ? Évidemment, ce comportement est inadmissible. Mais les hommes qui agressent ne manquent pas d’éducation en tant que garçon, ils manquent d’éducation tout court. Concrètement, la récupération de ces histoires sordides par des groupuscules ne pensant qu’à leur survie ne fait pas grand-chose pour régler la situation. Car si les hommes doivent tous être considérés comme des prédateurs sexuels, selon la même logique, les femmes sont toutes des hystériques en puissance. À un cliché donné, un autre répondra forcément.
Ces rassemblements associatifs, aidés par la presse, sont obligés d’entretenir un « business » et de dire haut et fort que tout va de plus en plus mal pour justifier leur existence, d’attaquer une fois par mois avec un relais médiatique conséquent, au risque que les gens se rendent compte de leur efficacité pour le moins aléatoire. Ainsi, depuis que SOS Racisme et le MRAP existent, bizarrement, la France n’a jamais été aussi raciste.
On a devant nous une espèce jamais vue dans la faune politico-médiatique : l’extrémiste inoffensif. Un nouveau militant, qui s’énerve et s’agite en interprétant des événements d’une manière si alambiquée que plus grand monde, mis à part les adulateurs de la première heure, ne soutient la démarche. Comme dit l’adage, ceux qui s’appliquent trop aux petites choses sont incapables des grandes. Et Dieu sait que les femmes sont grandes, bien plus grandes que ces cabotinages.