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Ada/ Ava par la compagnie Américaine Manual Cinema

Théâtre visuel

Théâtre du Chêne noir à 10h30

Note : 10/10

Le festival d’Avignon accueille, pour la première fois, une compagnie américaine qui n’a jamais tourné en France, la Compagnie Manual Cinema. Ces huit jeunes gens, originaires de Chicago, ont fait le voyage jusqu’en Avignon pour présenter leur spectacle Ada/Ava. C’est la première fois qu’ils se produisent en France et il est fort probable que nous les recroiserons dans les années qui viennent.

Est-ce à proprement parler du théâtre ? Quand on voit l’énergie que déploient ces comédiens pour recréer sur un écran suspendu au-dessus de la scène, un film fait d’ombres et de rétroprojection, on admet que la précision du jeu avec les masques et les objets rappelle fortement toute une tradition théâtrale. Les musiciens accompagnent ce film muet mais profondément poétique et nous embarquent dans un voyage aux confins de la Nouvelle-Angleterre, où vivent deux sœurs, Ada et Ava. L’ambiance rappelle les films d’animation de Tim Burton et la virtuosité avec laquelle les cinq comédiens enchaînent les transparents sur les rétroprojecteurs nous fait littéralement oublier l’appareillage technique pour nous plonger dans un monde onirique.

La technique de la rétroprojection en direct a déjà été employée par d’autres compagnies et le principe n’est pas nouveau. On peut penser notamment à la compagnie Anamorphose qui avait monté un Candide en utilisant le même procédé. Cependant la technique semblait l’emporter sur la narration et, pour le dire clairement, on s’ennuyait ferme à partir de la moitié du spectacle. Ici, rien de tout cela. Une mention toute spéciale à la chanteuse, clarinettiste et grande chef d’orchestre des bruitages ! Un petit bijou de poésie et un concentré de talent !

Dom Juan et les clowns, adapté de la pièce de Molière, Dom Juan

Par la compagnie Miranda (Nice)

Mise en scène : Irina Brook (à partir d’un premier travail de Mario Gonzalez)

Théâtre des Conditions des soies, à 15h20

Note : 9,5/10

La Compagnie Miranda, affiliée au TNN (Théâtre national de Nice), après avoir créé la pièce Dom Juan et les Clowns sous la houlette du maître Mario Gonzalez, nous propose ici une nouvelle version de cette pièce mise en scène, cette fois-ci, par Irina Brook dont on reconnaît la pâte dans les costumes, le maquillage ou encore le rythme de jeu. Si, avec Mario Gonzalez, comme nous l’ont confié Thierry Surace (Dom Juan) et Jérôme Schoof (Sganarelle), l’intrigue de la pièce s’était peu à peu effacée derrière l’improvisation clownesque, Irina Brook a réussi à conserver toute l’énergie des clowns et à suivre le texte et l’intrigue de Molière. La pièce entière est jouée, ce qui n’était pas forcément le cas dans les versions précédentes. L’addition de ces deux immenses talents du théâtre que sont Mario Gonzalez et Irina Brook – sans oublier, évidemment, le talent de tous les comédiens qui déroulent leur partition à merveille – a permis de retrouver toute la force du théâtre moliéresque.

Quel plaisir de voir ENFIN cette pièce interprétée et jouée comme ce qu’elle est à l’origine : une comédie ! Toute une tradition romantique, reprise par la plupart de nos metteurs en scène contemporains (et parfois avec une grande réussite !), a voulu voir dans le Dom Juan de Molière un personnage machiavélique. Or Dom Juan fait rire. C’est un petit marquis couvert de rubans et fardé de poudre qui ne sert que son propre intérêt et qui bondit de fleur en fleur. Mario Gonzalez, Irina Brook et toute la Compagnie Miranda font honneur à Molière. Les éclats de rire dans la salle tout au long de la représentation sont là pour le rappeler !

 

L’Avenir dure longtemps, texte d’Althusser interprété par Angelo Bison

Mise en scène : Michel Bernard

Théâtre aux Doms à 10h30 (jusqu’au 26 juillet)

 

Note : 9/10

16 novembre 1980, Louis Althusser étrangle sa femme, dans son appartement de la rue d’Ulm. Il sera interné, suite à cet acte, à l’hôpital Sainte-Anne, où il a déjà effectué des séjours. Angelo Bison, dans une mise en scène de Michel Bernard, incarne Althusser cinq ans après la mort d’Hélène en s’appuyant notamment sur son autobiographie, L’Avenir dure longtemps, qui donne son titre au spectacle.

La narration commence par le meurtre, un matin froid de novembre. Hélène est étendue en robe de chambre sur son lit et Louis lui masse le cou. Tout s’enchaîne rapidement. Louis court dans les couloirs de la rue d’Ulm jusqu’à l’infirmerie du docteur Etienne qui confirmera la mort par strangulation quelques minutes plus tard. Angelo Bison, en repartant de la rencontre d’une frêle jeune fille sur un quai de métro, en 1946, nous raconte, au travers des mots d’Althusser, les étapes de la construction d’un amour infini et immense. En même temps que cet amour grandit, les souvenirs et les traumatismes de l’enfance du jeune Louis viennent le hanter. La lumière s’assombrit lorsqu’on plonge dans les tréfonds d’une âme profondément géniale mais troublée et tourmentée. La passion d’Althusser pour Hélène le conduira à l’acte horriblement suprême du sacrifice. Le philosophe met sans cesse à l’épreuve cet amour et l’épuise sans fin pour le pousser jusqu’aux plus extrêmes confins de ce que l’âme humaine peut supporter. Les périodes de dépression et les crises s’enchaînent. Hélène veut partir. Elle ne peut pas. Elle décide donc d’en finir.

Angelo Bison redonne la parole à celui qui a souffert de ce silence imposé par l’article 64 du code pénal et qui le prive de tout procès. « Le destin du non-lieu, c’est la pierre tombale du silence ». Althusser a eu besoin de dire cet amour. Les causes de l’étranglement, nul ne les connaît. Seules demeurent les conséquences tragiques d’un acte ultime et l’amour fou d’un homme.

Quelle interprétation magistrale d’Angelo Bisson, assis seul sur un tabouret pendant 1h20 ! On est fasciné par ce regard perçant qui nous fixe et nous transperce de part en part.

« Toute la vie est là en dedans, bien prise, les mains pas plus que les yeux ne sont aveugles, mais tous deux fermés sur cette vie qui bat comme un feu sourd dans l’automne. Et voici nos mains et nos corps à la recherche de ce monde reconnu, leur monde recomposé où les aveugles voient… Je m’arrête mon tout petit parce que si le silence a un sens… » (Lettres à Hélène, 1949)

Cap au pire de Samuel Beckett

Interprète : Denis Lavant / Mise en scène : Jacques Osinski

Théâtre des Halles, 22h

Note : 3/10

Je m’étais promis de ne parler que des pièces qui m’ont littéralement transporté. Mais je me dois de parler de la performance de Denis Lavant qui s’est emparé d’un texte tardif de Beckett, Cap au pire. J’aurais dû être plus méfiant et seul le nom de Denis Lavant, acteur fascinant et captivant, a su me convaincre d’aller voir cet objet théâtral complètement incongru. Le résumé, dans le programme, aurait dû aussi me mettre la puce à l’oreille : « Un homme s’enfonce dans une forêt des mots. Il sait qu’il ne trouvera jamais celui qui est juste mais il essaie. Encore. Il essaie toujours. Il sait qu’il va tomber mais il se relève. Il essaie malgré les mots qui trahissent. Les mots sont au bord du vide, il les rattrape, etc. ».

La scénographie : Denis Lavant, seul en scène, devant un immense voile blanc derrière lequel clignotent doucement des guirlandes de sapin de Noël. Au centre, sur l’avant-scène, le comédien est immobile pendant 1h40 ( !) et, sur le rebord d’un carré blanc lumineux qu’il fixe et au-dessus duquel il se tient, récite un texte sans queue ni tête. Au-delà de la performance que constitue l’apprentissage d’un tel texte et malgré toutes les qualités d’un acteur tel que Denis Lavant, si ce dernier parvient à rattraper les mots « au bord du vide », nous, nous chutons au fond du gouffre. La chute est lente et oppressante. On en vient même à penser comme Vladimir et Estragon : « Si on se pendait ? ».

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

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