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Née le 2 février en 1934 à Nice, Danielle Jacqui cette dame qui aura bientôt  83 ans impressionne par la passion dévorante qui l’habite.

Brocanteuse en 1970, ce métier du contact avec l’objet va la conduire très rapidement à dépasser son métier initial, voué principalement à l’acquisition et à la récupération, par celui de la création.

La peinture , en effet, va devenir très tôt sa véritable frénésie dévorante à telle enseigne qu’elle va transformer sa propre maison à Roquevaire (Bouches-du-Rhône) comme l’une de ses oeuvres les plus remarquables de son art singulier. Celle-ci dénommée la maison de « Celle-qui-peint » va même être comparée au célèbre « Palais idéal » du facteur Cheval.

Son art étonne et dérange à la fois, car elle poétise tous les petits objets du quotidien. Elle ne s’intéresse pas à l’ extraordinaire.

Ainsi lorsqu’elle commence à peindre sa maison, elle arrachera à chaque pièce et à chaque endroit leur poésie cachée pour la restituer ensuite sous forme de vrais habits de fête.

Rien n’échappera à cette volonté de transformation magique. C’est ainsi qu’elle métamorphosera aussi bien l’intérieur que l’extérieur de sa maison par la peinture, mosaïques et autres broderies.

Sa maison, son coin du monde !

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Le miracle a eu lieu et il a débuté par cette humble demeure ! Bachelard a écrit «  Notre maison est notre coin du monde ».

Plus loin, ce qu’il dit encore convient tout particulièrement à cette maisonnée de Jacqui située juste au-dessus d’Aubagne.

« La maison habite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison permet de rêver en paix (…). Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l’être humain (…) La vie commence bien, elle commence enfermée, toute tiède dans le giron de la maison. »

Depuis cette impressionnante réalisation, les visiteurs ne cessent d’affluer chez elle. La façade intrigue d’abord le curieux puisqu’il y découvre des ailes des moulins à vent?

Par ailleurs les matériaux utilisés qui recouvrent cette façade sont divers et composites comme les émaux, peinture, céramique.

« Pour moi, lance-t-elle, c’est la vraie reconnaissance. Cette façade m’a demandé dix ans de travail. J’ai commencé par peindre les volets avec des pots de peinture récupérés. Ensuite, j’ai collé des dessins.» (Journal La Croix, 24/08/2012)

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Et lorsqu’on accède à l’intérieur, on découvre une véritable « caverne d’Ali Baba. Du rez-de-chaussée à l’étage, des centaines de tableaux, draps peints, sculptures, poupées petites ou géantes en broderies, laines, tissus, boutons, morceaux de laiton… » (op.cit.)

ORGANuGAMME:

Mais son originalité ne connaît aucune limite. Déjà à « art brut », elle préfère « art singulier » pour qualifier son art.

En vérité, sa trajectoire artistique déborde, selon elle, tout ce que l’on peut imaginer d’où son besoin d’inventer un concept nouveau. « Les mots ne manquent pas si l’on est inventif » dit-elle à qui veut l’entendre. Ainsi elle s’est proposée d’inventer un nom: ORGANuGAMME !

Ce concept va qualifier non seulement son oeuvre artistique mais une ligne de conduite.Une forme de parcours artistique qui va jusqu’au bout d’une aventure.

Bref la faculté selon elle, de « celui qui sait se dépasser, aller au-delà de toute imagination, au-delà de lui-même, même s’il doit en mourir. » A partir de 2006, elle poursuit un travail qui va concrétiser son concept d’ORGANuGAMME: un travail d’ensemble sur plusieurs centaines de m2 de sculptures en céramique et de grès qui formeront ce « colossal », cet art qui va au-delà de toute imagination.

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Le colossal

Danielle Jacqui est à l’initiative du 1° festival d’Art Singulier de Roquevaire depuis 1990 et sa renommée dépasse les frontières de l’hexagone puisqu’elle a exposé à l’American Visionary Art Museum de Baltimore aux Etats Unis.

Une abstraction ambiguë

Les toiles de Jacqui méritent également une attention particulière car elles sont d’une modernité étonnante.

Etonnantes car elles s’inscrivent toutes dans les courants picturaux les plus novateurs.

Notamment les peintres que l’on rattache à l’abstraction ambiguë comme Richter ou encore le groupe Cobra.

Dans leurs différentes compositions, à côté des éléments figuratifs se glissent des signes abstraits signifiant le plus souvent le fantasme, l’angoisse de l’homme.

D’une manière générale on découvre une énergie dionysiaque qui peut facilement devenir incontrôlable.

« La beauté dans la confusion, selon Richter, la vérité par le choc ! »

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Ici, chez Jacqui, le fantastique se mêle au banal et la tendance aux démonstrations des forces inconscientes parfois rustiques et frustres s’exprime avec beaucoup de vigueur. Comme le résultat de l’automatisme surréaliste ?

Dans cette toile haute en couleurs, des formes s’agitent et l’on pense aussi à l’expressionnisme abstrait d’un certain Appel de Cobra avec des allusions figuratives qui ne disparaissent jamais totalement.

On y décèle également la violence de l’acte pictural, la « rage de peindre » de l’artiste avec une puissance visionnaire remarquable.

A l’évidence chez ce peintre, domine le besoin de détruire la forme, comme une attaque inconditionnelle et élémentaire contre le perfectionnisme. Son art n’est pas dominé par l’esthétisme mais par le besoin d’exprimer une vérité.

Très proche aussi d’ Asger Jorn, toujours du mouvement Cobra, malgré la fureur enragée de son pinceau et les explosions chromatiques, le travail de Jacqui n’aboutit pas à l’absence de forme.

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L’artiste maintient avec beaucoup de brio l’égalité entre abstraction et figuration (voir notamment l’oeuvre ci-dessus).

Les niveaux de réalité qu’elle nous montre sont en fait décalés, le monde visible devient irréel, la réalité « derrière les choses » est traduite par un monde onirique irréel.

« Aucune oeuvre d’art ne peut se faire si elle n’est pas déjà par elle-même un éloignement par rapport au monde existant « réel » ou « normal » » selon Jorn.

Enfin aussi à la manière d’un Dubuffet, Jacqui ne recherche pas le sensationnel, elle se contente de la banalité que l’on rencontre un peu partout sous forme de graffitis d’enfant, dans la rue, sur les murs d’immeubles…bref elle est toujours en quête de cette poésie cachée.

Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

 

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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